Ce pays est déjà détruit, il n’y a plus rien à détruire. » Les mots récemment prononcés par le président Félix Tshisekedi avaient-ils été anticipés par le ministre de l’économie Jean-Marie Kalumba ? Vous avez déjà compris comment ce super Warrior a eu l’ingénieuse idée de se lancer dans le commerce de denrées alimentaires. Maintenant, nous allons découvrir comment il a, avec l’aide de tout le gouvernement congolais, opéré un miracle : fabriquer du poisson salé sans sel.
Le deuxième acte de notre enquête commence le 30 décembre 2021. Tôt le matin, les habitants de « Iveco », un coin sans histoire du quartier Kingabwa, dans la commune de Limete, reçoivent des visiteurs « VIP ». A leur tête, le Premier ministre congolais en personne. Jean-Michel Sama Lukonde traîne avec lui une meute de caméras et de suiveurs venus tous, selon la communication officielle, observer «l’effectivité » de la distribution des chinchards au juste prix. « Je suis venu pour constater l’effectivité de la distribution des produits de froid, notamment les chinchards avec lesquels on a commencé pour nous assurer d’abord de la disponibilité du stock et nous assurer que les distributeurs sont effectivement bien servis et que la population bénéficie », récite le Chef du gouvernement, visiblement soulagé.
La machine communicationnelle, l’une des rares choses que ce gouvernement maîtrise depuis l’arrivée du spécialiste Patrick Muyaya au ministre des médias, sort un clip vidéo avec effets spéciaux, montrant des Kinois en train de recevoir leur cadeau, sans oublier d’y glisser le nom du président Félix Tshisekedi dans le rôle du père Noël. Néanmoins, ce que Sama Lukonde et ses cinématographes de science-fiction ne disent pas, c’est qu’ils sont là en train de réaliser un film congolais qui renverrait Steven Spielberg aux études.
En effet, dans cette République gouvernée selon les Réseaux sociaux, les faits ne sont souvent pas ceux qu’on croit être. Derrière les caméras et la tournée du Premier ministre, se cache doublement un combat de populisme et une tentative de rattrapage d’une bourde gouvernementale. Tenez, la petite histoire remonte à novembre 2021. Les médias namibiens sont les premiers à ouvrir le feu. Ils titrent à la une que le gouvernement de la RDC risque de perde l’équivalent de 6 millions de dollars des frais de licence de pêche s’il ne s’exécutait pas avant le 31 décembre. Le 10 décembre 2021, la rédaction haineuse de POLITICO.CD titre à la une « La Namibie exige la RDC de pêcher d’ici le 31 décembre ses 27 300 tonnes de poissons commandées, aucune prolongation ne sera accordée ». Elle fait ainsi écho d’une mise en garde faite à la RDC le jeudi 9 décembre par le ministre namibien des pêches et des ressource marines, Derek Klazen. On apprend ainsi que la RDC, son ministère de l’Économie surtout, avait payé 85,7 millions de dollars namibiens pour un quota de pêche de Chinchards sur les eaux Namibiennes. « Le gouvernement de la RDC a été dûment informé de la fin de la session de pêche de l’espèce de chinchard, que le gouvernement de la RDC a achetée. Le même gouvernement a mis en place des mesures pour s’assurer qu’ils captureront toutes les tonnes avant la fin de la saison de pêche, qui est le 31 décembre 2021 », a déclaré le ministre namibien des pêches et ressources marines.
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Problème, le gouvernement congolais s’est planté dans ses calculs. D’abord le fait que le ministre de l’Économie, Jean-Marie Kalumba, n’avait pas bien compris la procédure de pêche. « En payant la licence de pêche, il croyait que la Namibie allait lui fournir des chinchards déjà emballés dans des cartons », explique une source anonyme au sein de son cabinet. Et puisque l’absurde n’a pas de limite, Kinshasa n’avait non plus planifié de bateaux adéquats pour récupérer, avant le 31 décembre 2021, son quota de 27.000 tonnes de Chinchards grâce auxquels il tentait alors de jouer au Père noël auprès des populations Kinoises. Mais Kalumba n’allait pas être abandonné. D’autant plus qu’il n’a pas agi de son propre chef. C’est là que le miracle commence à s’opérer. « Il fallait à tout prix trouver une solution, d’autant plus que la polémique commençait à monter sur les réseaux sociaux. Il ne fallait surtout pas perdre la face », explique notre source.
Kinshasa a acheté du chinchard aux fournisseurs namibiens
Subitement, le gouvernement annonce avoir réceptionné, le lundi 29 novembre 2021, la première livraison d’au moins 1000 tonnes de gelés et surgelés à Matadi, dans le Kongo-Central. Le ministère de l’Economie précise par ailleurs que cette livraison entre dans le cadre de l’accord signé entre le gouvernement de la RDC et la Namibie. « Il s’agit de la première livraison de plusieurs tonnes des chinchards qui vont inonder le marché de la RDC, et plus particulièrement de Kinshasa. La même source ajoute que, ce processus va se poursuivre », savoure le service des communications du ministre de l’Economie Nationale. Le 16 décembre, le ministre congolais de l’Économie file à Windhoek, la capitale namibienne, pour y rencontrer le vice-Président namibien Nangolo Mbumba. Officiellement, il ne serait question que d’une visite visant à « couper court aux rumeurs qui couraient, depuis quelques jours, sur une éventuelle dégradation des relations entre les deux États au sujet notamment du quota de pêche obtenu par le gouvernement congolais. » Et puisqu’on lui avait bien pointé un micro, Jean-Marie Kalumba en profite pour dénoncer ce qu’il appelle une « campagne de diabolisation menée par des opérateurs économiques véreux, opposés au processus de rationalisation des prix des produits surgelés sur le marché. » Officieusement pourtant, il s’agit de négocier une prolongation du délai pour son quota afin de ne pas perdre les 6 millions de dollars payés.
A Windhoek, le ministre Kalumba fait une révélation miraculeuse. « L’argent investi dans l’acquisition de ce quota et le financement des opérations de pêche (qui se poursuivent), a permis à la RD Congo d’obtenir des quantités importantes des poissons chinchards qui seront bientôt disponibles sur le marché et vendues à juste prix », dit-il. Mais en ce jour du 7 janvier 2022, la République démocratique du Congo n’a entrepris (encore) aucune opération de pêche sur les eaux Namibiennes, comme le certifient plusieurs sources et documents à POLITICO.CD. Alors que s’est-il passé ? Plusieurs documents douaniers parvenus à POLITICO.CD attestent finalement une pêche miraculeuse du gouvernement congolais.
Le premier lot concerne le navire MV Solanjo, qui a accosté fin novembre à la SCTP Matadi avec 1.100 tonnes de poissons « Chinchards ». Il s’agit du lot présenté ci-haut par le ministre Kalumba et son cabinet, affirmant qu’il s’agirait du lot provenant de la pêche dans le cadre du quota signé avec les autorités namibienne. Mais les documents relatifs à ce navire contredisent la version du ministre congolais. En réalité, comme le renseignent les documents ci-dessous, ce lot de poissons a été fourni par la société namibienne dénommée Tucanor Fisheries LTD. La société confirme à POLITICO.CD avoir vendu du poisson au ministre congolais de l’Économie pour une valeur de 1,2 millions de dollars. La facture ci-dessous atteste cette version des faits.
Le 22 décembre, le navire MV Solanjo accoste à nouveau au port de la SCTP à Matadi. Cette fois, il transporte, pour le compte du gouvernement congolais 36 667 cartons de poisson, faisant 1.100 Tonnes, valant encore 1,7 million de dollars. La marchandise est vendue par la même société namibienne Tucanor Fisheries LTD.
Le 25 décembre, c’est le navire MV Tokachi Frost qui accoste tel un père Nöel à la SCTP Matadi. Il transporte 71 244 cartons de Chinchards faisant 2.126 tonnes pour une valeur de 2,62 millions de dollars. Cette fois, la marchandise est achetée auprès de la société namibienne ERONGO Marine Entreprise (Pty) LTD, qui est basé à Walvis Bay, est une ville portuaire située sur la côte de la Namibie.
Depuis le 27 décembre, le Navire MV Libra est arrivé à Banana. Surprise, la cargaison vient de la société GESPECAN, basée en… Espagne ! Précisément au Las Palmas, qui est la capitale de Grande Canarie, l’une des îles Canaries de l’Espagne, au large de la côte nord-ouest de l’Afrique. Étrangement, alors que la cargaison vient de la Namibie, ce navire, dont les marchandises ont commencé à être déchargé depuis le 3 janvier 2022, transporte 151 526 cartons de poissons pour un poids de 3671 tonnes, aurait coûté 966 384 USD. « Il y a clairement sous-évaluation du prix d’achat de la marchandise dans le but de frauder la douane. Si vous comparez tous les importations, vous remarquerez que pour le premier et deuxième navire, le prix d’achat est de respectivement 1120 $ par tonne et 1162,91 $ par tonne. Étrangement, pour ce navire, le prix est de 209 $ par tonne », explique un expert à POLITICO.CD
Dans une enquête publiée l’année dernière par la rédaction de POLITICO.CD, il a été démontré que les importateurs de marchandises ont tendance à minorer la valeur de leurs importations pour réduire le coût de la douane. Ce qui constitue une fraude. « Ce cas prouve que le ministère de l’Économie, qui s’était insurgé contre la fraude douanière, viendrait lui-même de frauder à la douane en minorant la valeur de son importation », dit notre expert qui a requis l’anonymat.
Du poisson salé sans sel
Selon des estimations recueillies auprès des fournisseurs du secteur, la capitale congolaise Kinshasa a besoin de plus au moins 10.000 tonnes de poissons chinchards chaque mois pour sa consommation. Le gouvernement congolais avant commandé un quota de 27.000 tonnes qu’il n’a toujours ni péché, ni livré aux populations kinoises. L’opération pour camouflet cet échec a permis, selon nos calculs, de livrer près de 8.000 tonnes de poissons à Kinshasa. Soit à peine un mois de consommation. Une situation qui illustre parfaitement la vision du gouvernement qui n’investit nullement dans le long terme. « Les 27.000 tonnes ne représentaient que 3 mois de consommation. Et on n’a même pas été capable de les livré. Nous n’avons livré à peine 1 mois de consommation, en plus d’avoir perdu énormément du temps et de l’argent, puisque nous vendons à perte », explique notre source au ministère de l’Économie.
En effet, alors qu’il s’est fixé l’objectif de prouver aux importateurs qu’il peut distribuer le poisson chinchard selon la nouvelle structure de prix mise en place et qui fait polémique, le ministre de l’Economie est obligé de vendre le poissons importé à bas prix. Mais ceci n’est pas une réalité non plus. Plusieurs militants se réclamant de l’UDPS/Matadi ont dénoncé les modalités et les prix auxquels se vendent ces chinchards importés par le gouvernement. Avec des calicots et drapeau du Parti, ces militants avec leur Président sectionnaire ont manifesté, le jeudi 6 janvier dans l’après-midi, devant la chambre froide Ledya qui, du reste, est le seul point de vente de ces chinchards au Kongo-central. D’après la radio onusienne, ces militants de l’UDPS/Matadi ont fustigé également les modalités de vente, qui ne consistent qu’à vendre aux grossistes, capables d’acheter à partir de cent cartons.
POLITICO.CD n’a pas pu recueillir la réaction du gouvernement congolais, encore moins celle du ministère malgré ses efforts. Toujours est-il que nous venons enfin de découvrir comment le gouvernement a pêché ses chinchards de fin d’année sans avoir à pécher, alors que la menace de la perte de son quota lui pendait au nez. Par ailleurs, malgré ces documents qui atteignent des achats combinés de près de 7 millions de dollars, plusieurs sources au ministère des Finances attestent à POLITICO.CD que ces opérations auraient couté autour de 36 millions de dollars au Trésor public. Des chinchards assez salés dans les assiettes des seuls kinois.
LITSANI CHOUKRAN.