Considéré comme l’un des plus influents dans l’entourage du Président congolais, François Beya Kasongo, Monsieur sécurité de Félix Tshisekedi est sous le verrou depuis le 5 février 2022, dans les installations de l’agence Nationale des Renseignements (ANR) à Kinshasa. Soupçonné d’être l’auteur des agissements menaçant la sureté intérieure du pays, pourtant conseiller spécial en matière de sécurité du Chef de l’état, l’interpellation « manu militari » de celui qui se surnomme « Fantômas » a suscité de remous non seulement dans la capitale congolaise mais également à l’extérieur du pays.
Grâce à son carnet d’adresses, François Beya peut compter sur des soutiens sur le continent africain, aussi bien en Europe qu’en Amérique. Les bruits de son interpellation inattendue, ont fait écho à la 35ème session extraordinaire de l’Union Africaine, à laquelle participait Félix Tshisekedi. Plusieurs diplomates ont confié même à POLITICO.CD que l’affaire Beya a été évoquée au siège de l’organisation panafricaine, sujet des « discrets appartés » entre les délégations des pays de l’Afrique centrale.
Si pour Kinshasa, vu la nature des soupçons qui pèsent sur le « spécial » – comme l’appelait Tshisekedi -, François Beya ne s’en sortira pas indemne mais l’homme peut néanmoins compter sur son réseau tissé depuis plus au moins 40 ans, aux côtés successivement de Mobutu, Kabila père et fils ainsi de Félix Tshisekedi.
Pur produit des renseignements, dans lesquels il a fait toute sa carrière, François Beya est resté très connecté à Brazzaville, Bangui et Luanda. Formé au Shin Beth, le contre-espionnage israélien, il a été également depuis longtemps un « interlocuteur privilégié des services de sécurité occidentaux, notamment américains, français et israéliens ».
Très connecté dans la sous-région
De Brazzaville à Luanda, en passant par Libreville et Kigali, François Beya a des bonnes connexions dans la sous-région. Au Congo d’en face par exemple, il est un familier de Jean-Dominique Okemba, Monsieur renseignement de Sassou Nguesso.
« Les deux hommes se connaissent de longue date : « JDO », qui a longtemps vécu à Kinshasa, était ainsi déjà un interlocuteur régulier de Beya lorsque celui-ci était à la tête de la puissante Direction générale de migration (DGM) sous Joseph Kabila », explique le magazine Africa Intelligence qui précise que « très lié à Okemba, le conseiller sécurité de Tshisekedi s’est en effet imposé depuis l’élection du Chef de l’État congolais, en 2018, comme la principale courroie de transmission entre les services de sécurité du Congo et de la RDC ».
Le jour même de son interpellation, alors que le Président Denis Sassou Nguesso comme Félix Tshisekedi étaient au 35ème sommet de l’UA en Éthiopie, « plusieurs émissaires de Brazzaville ont discrètement pris attache avec Kinshasa dans la soirée du 5 février pour faire part de l’attention particulière qu’ils porteraient au traitement infligé à Beya au vu de son rang », apprend-on.
Cette intervention arrive dans un contexte de coopération très poussée entre les agences de renseignement de deux pays. Une coopération affermie par l’arrestation à Kinshasa, sur demande de Brazzaville, de l’opposant au pouvoir, Marcel Makomé, gardé à l’ANR avant d’être libéré une dizaine de jours plus tard.
Le sécurocrate en « disgrâce » avec Kinshasa a aussi des entrées à la Direction générale de la documentation et de l’immigration (DGDI) au Gabon d’Ali Ben Bongo. À Luanda, chez João Lourenço, où il entretient également un « important réseau », « Fantômas » a des bonnes relations avec Fernando Garcia, le patron du renseignement intérieur angolais.
« Ce dernier, parfaitement francophone et très bien connecté dans la sous-région, a attiré l’attention du président João Lourenço », révèle Africa Intelligence.
Toujours dans la sous-région, François Beya peut compter également sur Yoweri Museveni, le Président Ougandais. D’ailleurs, bien avant sa « disgrâce », Beya s’est régulièrement entretenu – dans le cadre de l’état de siège en vigueur en Ituri et Nord-Kivu – avec le Président ougandais, Yoweri Museveni, et ses responsables du renseignement militaire.
À Kigali de Kagame, Beya a noué une « relation privilégiée » avec le patron de renseignement rwandais. Dans le cadre de coopération bilatérale Rwanda-RDC, il a participé à plusieurs rencontres en format restreint entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame.
Au Burundi comme en République Centrafricaine, il maintient de bonnes relations. En RCA, « il s’y rend souvent en jet privé sur les bords de l’Oubangui, pour s’entretenir entre autres avec le Président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, dont il est proche. A l’automne, ce dernier avait même tenté par l’entremise de Beya de faire passer plusieurs messages à Paris ».
Aussi présent en Europe et en Amérique
Fruit du contre-espionnage israélien Shin Beth, Beya a multiplié les formations dans le monde, dont la dernière session à la National Defence University, en Virgine (États-Unis, entre 2009 et 2011), ce qui lui permet de développer son réseau en Europe et en Amérique. Depuis 2018, il est même devenu un « interlocuteur plus régulier » de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) française.
« Ces derniers mois, il a ainsi rencontré à plusieurs reprises le patron de la DGSE, Bernard Emié. Au printemps, les deux hommes s’étaient longuement entretenus à Paris, en marge du Sommet sur les économies africaines. Emié et Beya avaient notamment évoqué les pistes de renforcement de la coopération sécuritaire dans l’Est de la RDC, en proie à un regain d’activité des groupes armés depuis un an. Principal sujet de préoccupation et de collaboration : la lutte contre l’Allied Democratic Forces (ADF) – un groupe armé d’origine ougandaise qui a prêté allégeance à l’Etat islamique (EI, ou Daech) en 2019 – aux confins de la province du Nord-Kivu et de l’Ituri », relate Africa Intelligence.
Bien que formé en partie par les services israéliens, François Beya a gardé une relation avec l’ancien directeur du Mossad -l’une des trois puissantes agences de renseignement d’Israël -, Yossi Cohen, qui s’était rendu en personne à trois reprises à Kinshasa.
« François Beya a aussi longtemps préservé une relation de confiance nouée sous Mobutu et renforcée durant les guerres du Congo, avec la diplomatie américaine et la CIA, ce dont il ne se cachait pas auprès de certains de ses homologues d’Afrique centrale ».
Revirement…
Du haut de ses 67 ans et après avoir servi successivement quatre régimes, François Beya est suspecté de « vouloir renverser le pouvoir de Tshisekedi ». Sur la RTNC – télévision publique -, la Présidence de la République a évoqué « des indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale ». Tshisekedi a de facto nommé Jean-Claude Bukasa, l’un des assistants de Beya, pour assurer l’intérim à la tête du stratégique conseil national de sécurité (CNS). Contrairement à François Beya, il n’est pas issu des cendres de la galaxie Kabila, mais fait partie des hommes de confiance du président et a battu campagne pour lui en 2018.
Plus tôt que ce revirement de situation, François Beya « encombrait », pour plusieurs proches de Tshisekedi, la présidence. Adopté sur recommandation de Joseph Kabila, François Beya a « aidé le président Tshisekedi à assoir son pouvoir et son régime, parce qu’il jouait le rôle de trait d’union avec l’ancien président Kabila », confiait à l’AFP un ex-agent de l’ANR à la retraite. Au-delà de tout, il a toujours été perçu comme un pion de Kabila au palais de la Nation.