Octobre 1356: dans la grande salle du Parlement de Paris sont réunis les délégués des états généraux — les mêmes qui, en 1789, lanceront les hostilités contre la monarchie absolue. En 1356, déjà, on les a appelés pour leur faire voter des taxes. Nous sommes au début de la guerre de Cent Ans, le roi de France est captif en Angleterre, une demande de rançon importante se prépare et son jeune fils le dauphin Charles assure tant bien que mal la régence. Il faut donc trouver de l’argent, et pour cela il faut lever un impôt extraordinaire.
Un débat houleux a lieu. Les états généraux veulent bien payer, à condition de savoir où va leur argent. Ils voteront l’impôt s’ils peuvent contrôler ensuite comment le régent l’utilise, en plaçant certains de leurs membres dans des institutions-clé, depuis les officiers chargés de la levée des impôts jusqu’à ceux qui siègent au conseil du roi. Ils proposent en fait une forme de contrôle public. Après discussions, bras de fer et atermoiements, les états généraux finiront par voter un accord en 1439 qui obligera, jusqu’à ces jours, les Français à payer les impôts.
Bref, quel est le lien entre cette histoire lointaine relatée par Pauline GUéNA (Nonfiction.fr), et la République démocratique du Congo ? Il n’aura ni états généraux ni débat au Congo pour instaurer un impôt royal en pleine démocratie. L’histoire relate plutôt qu’il y a d’abord une famille royale. Son Roi n’est pas captif en Angleterre comme celui des Français en 1356. Mais elle livre une certaine guerre, même si elle n’égale pas celle de 100 ans. La famille royale du Congo a accédé au pouvoir après 36 ans de lutte pour l’avènement de la démocratie au pays. Son histoire commence en 1980, cette année-là, le père du Roi ose descendre dans la rue, au Pont Cabu, pour rouspéter contre le Dictateur Mobutu, exigeant la démocratie. Il sera incarcéré, interné même dans un hôpital psychiatrique et déclaré « fou ». Le père du Roi n’est pas seul. Il est rejoint, dans sa lutte, par d’autres Parlementaires qui en ont marre de chanter pour Mobutu. Parmi eux, il y a un certain Frédéric Kibassa Maliba qui se lie d’amitié avec Etienne Tshisekedi, le père de l’actuel Roi.
Aux origines d’une famille Royale
Tshisekedi et Kibassa se rapprochent et vont même le faire davantage. Ils envoient leurs familles en exil en Europe, où elles vont vivre ensemble pendant un temps dans des foyers Bruxellois. Et c’est là que l’histoire devient intéressante. Jean-Claude Tshisekedi, frère aîné de l’actuel Roi, tombe amoureux d’une Kibassa. La famille royale se forme. Mais loin de tout règne. Loin de toute opulence. Non. Au contraire. Ils vont broyer du noir en Europe à vivre une existence plus ou moins anonyme. La politique va venir compliquer les relations entre les deux. En 1987, Frédéric Kibassa Maliba trahit Etienne Tshisekedi et rejoint le gouvernement de Mobutu comme ministre de la Jeunesse et des Sports. Le mariage entre la fille Kibassa et le frère de Félix devient un problème familial. Mais l’amour est plus fort que la politique.
L’histoire va durer longtemps. Et il n’y aura pas assez d’espace dans un seul papier pour tout coucher. Vous avez surement le scandale de « dealeuses » de Kinshasa à lire. Résumons. Le 1er Février 2017, le Sphinx, père du futur roi, meurt à Bruxelles. Le Prince monte sur le trône. Il initie une réconciliation avec son « beauf » Augustin Kibassa, lui aussi héritier politique de sa famille. Les deux forment l’alliance qui solidifie la famille royale. Arrive enfin le Pouvoir, le Graal tant recherché par le paternel qui aura trépassé sans l’avoir. Félix Tshisekedi accède au pouvoir et se doit donc de récompenser sa famille. Rappelez-vous, cela fait 36 ans qu’elle broie du noir. Augustin Kibassa est catapulté Ministre des Postes et télécommunications.
Une taxe de la belle-famille du Roi
Et comme celui qui mettra des oreilles à un ventre affamé n’est pas encore né, l’aile Kibassa de la famille Royale accouche d’une idée de choc. Celle-ci passe par une sœur d’Augustin. Elle sèche l’hiver Bruxellois pour venir profiter du pouvoir de sa famille. Dans son nouveau sac Louis Vuitton, elle amène le Registre des Appareils Mobiles (RAM), proposé par une société qui a étrangement ses préférences. L’idée est banale : c’est un service, mais obligatoirement imposé à la population. Une taxe ? Non, dira Patrick Muyaya. Mais le RAM ponctionne du crédit de télécommunication des abonnés pour certifier l’originalité de leurs téléphones ! Un service demandé par personne ! Pire, le service ponctionne les cartes sims, au nom des Appareils. En d’autres termes, un appareil de deux sims paient deux fois ! Mais encore, le service ponctionne les Congolais autant de fois qu’il le souhaitera. Sur des périodes qui rendraient le calendres grecs fous.
Il est lancé avec pompe. A peine habillé et maquillé comme pouvant doter des université de connexion WIFI. Une entourloupette qui ne passe pourtant pas. Car braquer le domicile de chaque congolais aurait été plus facile à accepter. Mais cette famille royale est déterminée. Si celle de France levait l’impôt pour libérer son Roi captif en Angleterre et livrer la Guerre de 100 ans, celle du Congo a d’abord une guerre contre sa pauvreté à livrer. Une guerre où elle se doit de récupérer son retard de jouissance. Par ailleurs, alors que la démocratie s’est installée en RDC, il faut bien tout faire pour conserver le pouvoir. Et l’argent reste le premier moyen en allant vers l’échafaud de la campagne électorale en 2023.
C’est ainsi qu’en octobre 2021, après un tollé de la population, le Roi du Congo, qui conserve certes l’âme bien aimée de son père, amoureux de la bonne gouvernance, se ressaisit et demande la suspension de ce maraudage. Mais sa belle-famille ne lâche pas l’affaire. Une nuit, elle va chercher le fou du Roi à Kingabwa, et un autre Bouffon du Roi à Limete. Les deux vont mettre en garde le Roi : « Si le RAM est suspendu, alors il n’y aurait pas de manne pour la campagne électorale 2023 ». L’histoire raconte qu’il aurait suffi d’y ajouter le nom de Moïse Katumbi et ses millions pour que l’affaire soit bouclée.
Une sourde oreille suicidaire
Quelques jours après, le Conseil des ministres annonce la suspension du RAM… pour les appareils 2G, soit près de 10% des appareils concernés. Le 90% des appareils congolais vont continuer à payer l’addition. Ponctionner son électorat pour être réélu ! Telle est l’idée qu’applique la Famille Royale du Congo. Une idée qui ne saurait être prise par un homme sobre. Ni un homme qui aime vraiment le Roi. Nous sommes donc à la Cour du roi Pétaud. Car si les défenseurs du RAM veulent bien le justifier par des explications dignes de Lambert Mende, ils doivent savoir que le Peuple n’a jamais refusé de payer d’impôts. Néanmoins, il veut bien payer, à condition de savoir où va leur argent. Avec le RAM, ni l’Etat, encore moins le peuple volé n’a réellement su où partait l’argent. Et la présence de la belle-famille du Roi autour de ces opérations n’a fait qu’accroitre l’illégalité et les magouilles dans ce braquage contre un peuple déjà démuni et qui attendait de ses autorités non de le dépouiller de son dernier tissu, mais de le couvrir tant soi peu du froid. Et la sourde oreille du Roi, de ses proches, et de tous ceux qui sont en charge de la destinée des Congolais, malgré les rapports de l’Assemblée nationale, malgré les dénonciations de citoyens, combinée à la manipulation de la justice qui n’est pas allée de main morte pour ballonner les poursuites contre cette taxation… ne sauraient s’expliquer par un simple retrait.
Cependant, ce « Peuple d’abord » n’est pas dupe. A Kinshasa, le fils du Sphinx s’en est rendu compte bien trop tard. Il suspend la taxe de sa belle-famille royale contre les Congolais. Non sans avoir causé tant de tort. A moins de deux ans des élections, il est peu sûr que la manne récoltée puisse suffire pour obtenir un deuxième mandat. Tous les fonds de la Réserve fédérale des États-Unis ne suffiront pas ! Mais Félix, à qui l’on pourra prêter tous les torts du monde, sait néanmoins écouter son peuple. Et s’il pourrait tomber sur ces incantations du Fondé, le Président de la RDC sait qu’il se doit de faire amande honorable et trouver un moyen d’effacer le tort causé par le RAM à son peuple. Il en va de son deuxième mandat. Car comme en France, c’est les mêmes états généraux qui votaient les impôts qui ont fini par décapiter le pouvoir royal.
Litsani Choukran,
Le Fondé.