En matière de lutte pour les droits de l’homme en République démocratique du Congo, il y a un avant et après 2 juin 2020. Ce matin-là, la voix sèche de Jeff Ngoy réveille le pays sous le choc sur les ondes de la radio onusienne Okapi, la station la plus suivie à l’époque. Le journaliste congolais annonce dans son journal la découverte du corps sans vie de Floribert Chebeya, figure de proue de la lutte pour les droits de l’homme en RDC, dans l’ouest de Kinshasa. Une nouvelle qui transformera à jamais le règne de Joseph Kabila. D’autant plus qu’à cette date, le Chef de l’Etat congolais, de plus en plus décrié à l’international à l’approche du cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays, va faire face à un torrent de condamnations.
Le monde a, en effet, le droit d’être choqué. Non seulement que Chebeya était respecté, c’est surtout l’état dans lequel sa dépouille est retrouvée qui choque. Aux alentours du quartier Mintendi, le président de l’ONG « La Voix des Sans Voix » est retrouvé à l’arrière de sa voiture, les mains liées dans le dos et le pantalon baissé à mi-cuisse. Et le communiqué publié par le Général Oleko, Chef de la police de Kinshasa à l’époque, viendra énerver un peu plus l’opinion tant nationale qu’internationale. « Une voiture abandonnée, un corps sans vie allongé sur le siège arrière, celui de Floribert Chebeya, pantalon baissé, autour de lui deux préservatifs usagers, des ongles artificiels, des mèches de cheveux et des capsules de Viagra », affirmait-il, avant d’ajouter sans rire que « le corps ne montrait aucune trace visible de violence ».
Le crime est ainsi insolent que la société civile et l’opposition politique n’auront pas besoin de talent de Sherlock Holmes pour identifier le commanditaire présumé de ces odieux assassinats. Floribert Chebeya avait écrit à sa femme, Annie Chebeya, lui informa qu’il avait rendez-vous avec John Numbi, le Chef de la police congolaise, dans les locaux de l’Inspection provinciale des forces de l’ordre au centre-ville de Kinshasa. Il a été vu vivant la dernière fois dans ces locaux. Un témoin affirme y avoir vu John Numbi également ce jour-là. Débute alors une quête de justice. Une longue, très longue même. D’autant plus qu’en face, le pouvoir de Joseph Kabila ne facilite pas les choses. Le suspect principal est en fait un de ses dépositaires.
Néanmoins, au Congo, les apparences sont toutes trompeuses. La quête pour la justice autour de l’affaire Chebeya étant devenue un moyen de locomotion pour tous. Tenez, quand on décide de plonger finalement son nez dans cette marée et de tenter de voir les choses autrement qu’elles sont présentées, on découvre, à titre d’exemple, un cas qui interpelle. Celui du Général Zelwa Katanga, alias « Djadjidja ». Dans cette enquête à lire sur POLITICO.CD, nous voyageons au cœur du destin de cet enfant des armées congolaises qui est sur le point d’être bouffé par elles. Il est placé en résidence surveillée à la suite d’interviews médiatiques d’anciens policiers qui avouent avoir tué Chebeya et avoir enterré la dépouille de son chauffeur, Fidèle Bazana, dans « la concession du Général Djadjidja ». La réaction des autorités congolaises ne se fait pas attendre. Mike Hammer lorgne sur le dossier et traque John Numbi.
Car depuis le départ de Joseph Kabila et l’arrivée de Félix Tshisekedi, plus personne ne protège les anciens maîtres du Congo. Instigué par Washington, Tshisekedi se rebelle d’ailleurs contre son prédécesseur en rompant leur accord au sommet du pouvoir. Sanctionné par les Etats-Unis, l’Union Européenne et l’ONU, John Numbi sait qu’il est dans le viseur de cet ambassadeur qui affectionne un peu trop le « poulet » Kinois. Mais l’ancien Chef de la police — au moment de l’assassinat de Chebeya — réussit à filer entre les doigts de Tshisekedi et ses instigateurs américains. « Djadjidja », cité publiquement, est le seul gros poisson dans les parages. Logiquement donc, puisqu’une plainte est déposée contre lui par la famille de Fidèle Bazana, il est envoyé à Makala. Et tant pis si le Général porte à son tour plainte contre ses accusateurs. Tant pis si également, après plusieurs jours de fuies assistées par la MONUSCO et sous le regard de la Société civile, l’armée ne trouve pas de dépouille dans la parcelle de Djadjidja, qui n’avait finalement pas de concession à Mitendi.
Au cœur du procès en appel qui attend son verdict la semaine prochaine, où « Djadjidja» comparaît comme « Renseignant », en attendant son procès à lui qui viendra sans doute un jour à la manière du Christ, le Général Katanga apprend stupéfait, dans une tentative de reconstitution des faits par le Tribunal, que ses accusateurs situent finalement le lieu présumé de l’enterrement dans une parcelle qui ne lui appartient pas. Oui ! Vous apprendrez des choses dans ce dossier. Comme le fait que les médias internationaux sont un peu dans les vapes dans cette affaire. Surtout ceux de la Belgique. La grande agence de presse Belga, le médias La Libre Afrique ou encore le journaliste français Christophe Rigaud vont tour à tour annoncé des fausses informations. Celle de la découverte des « ossements dans la concessions de Djadjidja », lui portant un peu plus préjudice, alors que ce dernier est au gnouf, et prie pour que les politiques daignent laisser le judiciaire l’emporter. Jamais ces « Fake news » ne seront démenties par ces médias. Comme tant d’autres. Comme la quête de revanche d’une journaliste de RFI arrêtée par « Djadjidja » durant les répressions de la période électorale à Kinshasa.
Bref, bienvenue dans cette affaire où nous tenterons, tant soit peu, d’avoir un peu de recul. Car une quête de justice ne saurait être utilisée comme moyen de pression politique. Ni un moyen de promotion de carrière. La mort de Chebeya, un homme qui est le symbole de sacrifice pour la fragile démocratie congolaise, ne peut être utilisée comme outil de géopolitique, encore moins une occasion de régler des comptes entre protagonistes. De son vivant, de par son engagement juste, Chebeya n’aurait jamais laissé un homme innocent croupir en prison par besoin politique et cosmétique. En faisant cela, en laissant faire, nous tuons une deuxième fois cet homme et son Chauffeur.
Certes il y n’a pas eu que de mauvaises choses. Grâce à la détermination des acteurs internationaux et ceux de la société civile congolaise, grâce à la détermination d’opposants politiques dans les rues de Kinshasa, nous avons réussi aujourd’hui à faire éclater la vérité. Reste plus qu’à aller chercher le commanditaire en Russie et les ramener devant un tribunal à Kinshasa pour qu’il soit jugé. Mais une chose est sûre : où qu’il soit, il n’existera aucun recoin assez sombre où la justice ne saurait s’y rendre pour l’y extirper et le placer à la lumière du jour. C’est juste une question de temps. Si vous êtes de passage à Moscou, saluez-le de la part du Fondé !
Litsani Choukran,
Le Fondé.