Quand tout le monde fait route vers l’impasse il peut être nécessaire de rappeler aux acteurs politiques de la RDC quelques principes fondamentaux afin d’éviter à la République démocratique du Congo de s’enliser dans une crise plus profonde encore que celle qui a conduit le pays aux cycles actuels de dialogues politiques.
Le premier, dit de l’Union africaine s’est déroulé sous la facilitation d’Edem Kodjo accompagné d’un comité international de facilitation, et s’est conclu le 18 octobre 2016 par un accord politique jugé insuffisamment inclusif par la classe politique congolaise et la communauté internationale. Le second, dit accord de la St-Sylvestre s’est tenu au Centre interdiocesain de Kinshasa sous les bons offices de la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo) et s’est provisoirement conclu le 31 décembre 2016 sur un accord que certaines personnalités refusent de signer, cette signature étant le préalable pour aborder la question de l’arrangement particulier devant régler la question de la gestion inclusive des mandats non électifs.
Avant d’exprimer pourquoi à mon avis de citoyen, mais aussi à mon avis de technicien chargé du Suivi et de l’Evaluation de la mise en oeuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, en l’occurrence l’engagement 6 de cet accord concernant la tolérance, la réconciliation et la démocratisation, points visés par le cycle actuel des dialogues politiques à finalité électorale, les réfractaires à la signature de l’accord de la Cenco n’ont pas tort en l’état actuel du texte à signer, je vais brièvement synthétiser et comparer l’accord de l’Union africaine, que j’appellerai accord-Kodjo et l’accord du Centre interdiocesain, l’accord-CENCO.
L’accord-Kodjo s’articule autour de 12 chapitres majoritairement consacrés au processus électoral conformément à la résolution 2277 du Conseil de sécurité (qui rappelle les résolutions 2098, à laquelle sont annexés certains engagement de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, 2147 et 2211 demandant un dialogue politique à finalité électorale en RDC).
On observe que ce dialogue convoqué le 28 novembre 2015 par le Président Joseph Kabila est conforme aux recommandations du Conseil de sécurité et son préambule rappelle clairement son articulation autour des termes de la résolution 2277. En substance les 12 chapitres de l’accord-Kodjo demandent donc respectivement 1) un nouveau fichier électoral prenant en compte la diaspora, en invitant le Gouvernement à donner les moyens à l’ONIP pour la création d’un futur fichier général permanent 2) la séquence électorale et le calendrier électoral sont abordés du point de vue des aspects techniques et des moyens disponibles 3) les questions d’équité et de transparence sont clairement approchées 4) la sécurisation du processus électoral a été abordée suivant les responsabilités des acteurs électoraux 5) Le Gouvernement, la CENI, les partis politiques, l’autorité coutumière, les confessions religieuses, la MONUSCO, le CSAC et la société civile sont interpellés chacun dans ses domaines de compétences 6) La sécurité des personnes et des biens est envisagée sous l’angle de l’élimination des menaces qui pourraient affecter négativement le processus électoral, notamment les groupes armés, la criminalité, le contrôle des forces de sécurité, la délinquence, les déplacés internes, l’autorité de l’État et les frontières en proposant des mesures à prendre 7) le budget et le financement ont été discutés conformément à la résolution 2277.
La CENI est appelée à produire un budget national assorti d’un plan de mise en oeuvre et le Gouvernement est appelé à mobiliser les ressources 8) un code de bonne conduite élaboré par la CENI devra être signé par les différents acteurs électoraux 9) en ce qui concerne le fonctionnement des institutions durant la période de dépassement technique il est admis que le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau président élu, il en est de même pour les députés nationaux et provinciaux, les sénateurs, les gouverneurs et les vices-gouverneurs. Un gouvernement doit être formé dans les 21 jours dirigé par un Premier ministre issu de l’opposition politique 10) un certain nombre de mesures de confiance et de décrispation sont proposées, notamment le réaménagement de la CENI dans le sens d’une meilleure liaison avec les parties prenantes, sur le respect de la liberté des médias, le caractère apolitique de l’administration et des forces de l’ordre 11) la mise en oeuvre de l’accord est confiée à un comité de suivi chargé du suivi du chronogramme, de l’interprétation de l’accord et de son évaluation périodique avec le soutien de l’UA, de la SADC, de la CIRGL autres organismes internationaux 12) les dispositions finales ouvrent l’accord à la signature d’autres parties prenantes, qui s’engagent à en respecter les termes.
L’accord-Kodjo apparaît comme essentiellement technique, centré autour des recommandations formulées par le Conseil de sécurité dans la résolution 2277. Il a été obtenu avec l’appui d’une facilitation internationale appelée à soutenir sa mise en œuvre et ne souffre que de son manque d’inclusivité, étant conclu entre la majorité et une petite frange de l’opposition, jugée peu représentative par l’opinion et la communauté internationale.
Quant à l’accord-CENCO conclu grâce à une mission de bons offices des Évêques congolais, qu’il faut saluer pour leur investissement, il comprend 6 chapitres dont un seul, le chapitre 4, est véritablement consacré au processus électoral proprement dit. Son préambule met en présence les signataires de l’accord-Kodjo du 18 octobre 2016 avec le Rassemblement, le Front pour le respect de la Constitution et la société civile, parties non signataires, afin d’obtenir plus d’inclusivité, principale faiblesse de l’accord-Kodjo. Il est précisé que la résolution 2277, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et la Constitution sont les cadres autour duquel se discute l’accord-CENCO. Il est à noter qu’il est judicieusement fait référence à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, contrairement à l’accord-Kodjo, étant regrettable que pour les deux accords le Mécanisme National de Suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba n’ait malheureusement pas été retenu comme observateur.
Les six chapitres de l’accord-CENCO exposent successivement 1) les concepts de base en définissant les parties prenantes, signataires et non signataires de l’accord-Kodjo ainsi que la période préélectorale et électorale, délimitée comme le temps qui va de la signature de l’accord-CENCO qualifié de « compromis » jusqu’à l’installation effective des institutions issues des élections 2) le respect de la constitution est rappelé, avec l’interdiction de révision ou de changement, cela en reconnaissant que Joseph Kabila a clairement précisé devant le Congrès qu’il ne briguerait pas un troisième mandat non prévu par la constitution.
La nécessité de respecter les institutions est rappelée, ainsi que les lois de la République. Les parties s’engagent à promouvoir la démocratie et à exécuter le compromis de bonne foi 3) le fonctionnement des institutions est précisé dans les mêmes termes que l’accord-Kodjo, avec un délai de dépassement de douze mois maximum et la signature d’un arrangement particulier relatif à la gestion inclusive de l’exécutif national, annexé à l’accord-CENCO. Ce troisième chapitre confie la primature à l’opposition non signataire de l’accord-Kodjo et spécialement à un membre du Rassemblement, ce point constituant une rupture fondamentale avec l’accord-Kodjo 4) l’unique chapitre consacré au processus électoral appelle une refonte du fichier avec une séquence électorale qui se tient en une fois pour les présidentielles, les législatives et les provinciales au plus tard en 2017, les élections locales et municipales étant renvoyées en 2018. Des recommandations pour le financement du processus sont faites au Gouvernement, à la communauté internationale et au Parlement.
Le suivi du processus est confié à un Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA), remplaçant le Comité de Suivi du Dialogue de l’accord-Kodjo. La CENI devra être redynamisée par un ajustement de ses différentes composantes. Le CSAC doit se voir nommer de nouveaux membres. La sécurisation du processus électoral est abordée pratiquement dans les mêmes termes que l’accord-Kodjo avec l’introduction d’une plate-forme d’alerte pour les défis sécuritaires et les violations des droits de l’homme 5) la décrispation est abordée de manière plus précise à travers la création d’une Commission de hauts Magistrats. Les bénéficiaires des mesures de décrispation sont nommément cités 6) le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus électoral sera créé par une loi organique.
Il apparaît que l’accord-CENCO est plus politique que technique et s’écarte de l’accord-Kodjo sur quelques points, dont certains sont des points de blocage. Il est qualifié de compromis entre signataires et non signataires de l’accord-Kodjo, sachant néanmoins que la mission de bons offices de la CENCO devait initialement viser à obtenir plus d’inclusivité relativement à l’accord-Kodjo. Ce compromis adopte de donner la Primature à une composante spécifique de l’opposition, le Rassemblement, sans que des raisons claires ne justifient cette insistance.
Du strict point de vue des techniques de la négociation (j’ai participé à de nombreuses négociations internationales et à la mise au point de nombreux textes, communiqués, accords etc.) les aspects politiques de la gestion de la période de dépassement devaient être abordés distinctement des questions techniques du processus électoral, seulement à l’étape de la négociation de l’arrangement particulier pourtant sur la gestion inclusive des mandats non électifs.
La modification du Conseil de Suivi du Dialogue de l’accord-Kodjo en Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus électoral, la redynamisation de la CENI ou du CSAC, la plateforme d’alerte, la désignation nominative des bénéficiaires des mesures de décrispation ou la modification de la séquence électorale ne justifient pas à elles seules la signature d’un nouvel accord, étant entendu que ces innovations auraient pu être intégrées dans un accord-Kodjo « révisé » accompagné d’un arrangement particulier « CENCO » pour les aspects relatifs à la gestion politique de la période électorale sous ses bons offices.
Ceci étant précisé après une approche comparée de l’accord-Kodjo et de l’accord-CENCO il est nécessaire de rappeler quelques points fondamentaux aux participants du dialogue-CENCO.
En démocratie on ne peut pas prétendre diriger des institutions que l’on ne reconnait pas. Ce principe fondamental est d’ailleurs rappelé au chapitré 2, point 3 de l’accord-CENCO. En effet l’article 90 de la constitution dit clairement que l’investiture d’un Premier ministre est subordonnée a l’approbation à la majorité absolue d’un programme à l’Assemblee nationale. Il est également indispensable que la formation politique qui présente un Premier ministre ait une représentation parlementaire, par laquelle elle défend son projet de société, au nom d’une fraction du peuple souverain. En nommant Samy Badibanga à la Primature Joseph Kabila a respecté non seulement les prescrits de la Constitution, mais également l’esprit de l’accord-Kodjo auquel les non signataires étaient appelés à apporter leurs contributions, tout en reconnaissant so’ bien fondé. Joseph Kabila a donc suivi la logique institutionnelle. Le point 1 du chapitre 3 de l’accord-CENCO semble mettre le cap sur des écueils qui vont immanquablement faire chavirer l’ensemble du processus électoral.
Qu’un compromis se soit porté sur le Rassemblement est déjà très discutable, mais à quel parti politique du Rassemblement? Il n’est pas concevable que l’on confie la Primature à un parti qui ne reconnaît pas les institutions et qui plus est n’a pas de représentation parlementaire car ce serait contraire aux articles 91 et 92 de la Constitution. L’art. 91 alinéa 3 précise que le gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité. Il est donc exclu de confier un tel pouvoir à un parti qui ne reconnaît pas ses propres députés. En l’occurrence soit l’UDPS reconnaît les institutions de la République et les parlementaires élus sous sa bannière en 2011 et la question de la Primature a été réglée suite à l’accord-Kodjo dans un sens qui lui est favorable, soit elle ne les reconnait pas et il s’agit d’une scission interne qui doit être tranchée en faveur de l’UDPS/Parlementaire par respect pour le souverain primaire qui a désigné ses représentants au sein des institutions.
Un dialogue politique ne peut pas être instrumenté pour porter à la tête des institutions une formation qui les a récusées, sous la menace d’un appel à la rue. C’est une forme de coup d’État. L’art. 100 de la Constitution précise ainsi que le Parlement contrôle le gouvernement. Si un membre de l’UDPS « non parlementaire » est nommé à la Primature, va-t-il accepter ce contrôle? Il est donc hors de question de sortir de la logique institutionnelle pour cause de dialogue politique. Les partis prétendant à la Primature dans les circonstances actuelles doivent reconnaître sans équivoque les institutions de la République avant de prétendre contrôler les éléments de la puissance publique. L’accord-CENCO apporte des innovations intéressantes et insiste sur les gardes-fous, mais il présente le défaut d’avoir intégré une dimension politique qui relève de la logique institutionnelle dans un accord dont la substance devait demeurer technique et spécifiquement électoral.
Car en effet, les participants au dialogue du Centre interdiocesain ont perdu de vue que la désignation d’un Premier ministre par le Président de la République ne suffit pas à sa prise de fonction, le denier mot revenant aux parlementaires pour son investiture. À ce stade il est important de considérer que les composantes politiques et civiles au dialogue de la CENCO ne forment pas une constituante. Il serait par ailleurs judicieux que la CENCO, tenant compte des différents points de blocage accepte de reprendre les discussions en distinguant les aspects techniques des aspects politiques qui ne peuvent être abordés dans un seul et même texte, ce qui constitue d’ailleurs le fond du blocage. Supposons que Samy Badibanga et les réfractaires, signataires de l’accord-Kodjo acceptent de signer l’accord-CENCO dans sa formulation actuelle, et que le prochain Premier ministre désigné sur la base de cet accord par le Rassemblement, de l’UDPS « extra-parlementaire », soit rejeté par le Parlement, le blocage sera total à partir de la session parlementaire de mars.
L’opposition accusera la majorité d’être de mauvaise foi alors qu’un tel scénario est d’ores et déjà prévisible. À ce stade les dialoguistes doivent se surpasser, laisser l’actuel Premier ministre Samy Badibanga travailler à la préparation du processus électoral jusqu’à la session de mars au moins et s’atteler à la rédaction d’un accord qui pourra être présenté devant le Parlement lors de cette session afin que le peuple, par la voix de ses représentants, se prononce sur sa praticabilité, dans l’intérêt général.
2 commentaires
De rien nous donnons plus forte raison a Honoré Nguanda. On a roulé les rassemblement
Ce monsieur qui analyse les deux dialogues, croit bien en sa vérité. S’il était animé d’une bonne volonté, il n’allait pas dire des bétises. Il oublie bien que la période normale où l’on puisait la légitimité par élection. Raison pour la quelle il y a DIALOGUEc.àd moment anormal. Tous, doivent se conformer aux décisions de ce dialogue. Vous sous estimez la population. Elle-même va trancher.