Des rumeurs faisaient grand bruit dans les villes congolaises sur un appui présumé de l’Ouganda aux rebelles du M23 qui se sont emparés de la cité de Bunagana frontalière avec l’Ouganda.
La République Démocratique du Congo est en guerre. Depuis plus d’un mois, le Rwanda camouflé derrière le mouvement terroriste du 23 Mars (M23) selon les autorités congolaises, occupe illégalement Bunagana, une cité frontalière avec l’Ouganda et cela, en violation de tous les traités internationaux. Cependant, le Rwanda ne serait pas seul derrière ce mouvement terroriste qui d’après, la mission onusienne en RDC (Monusco) ressemble à une « armée conventionnelle » avec une puissance de feu exceptionnelle. L’Ouganda serait de mise.
Si le doute persiste encore dans le chef du gouvernement congolais, du moins officiellement, sur le soutien de l’Ouganda au M23, le Rwanda et le Parlement congolais par le truchement de son président, Christophe Mboso ne tergiversent pas. « L’Ouganda a joué un rôle important dans la chute de Bunagana ».
En effet, accusé par la RDC de parrainer militairement le mouvement 23 Mars-M23, Kigali continue de nier son implication dans l’exhumation de ce mouvement terroriste défait et désarmé complètement 2013 par les forces armées de la République Démocratique du Congo et alliés.
Le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, Alain Mukuralinda qui intervenait à l’émission « Appel sur l’actualité » sur les antennes de la Radio France Internationale (RFI) le 23 juin dernier avait affirmé à vive voix que la faction du M23 qui avait trouvé refuge au Rwanda après sa défaite a été désarmée et placée à plus de 200 kilomètres de la frontière de la RDC.
Le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais avait par ailleurs, accusé l’Ouganda d’avoir servi de base arrière aux rebelles du M23 qui ont refait surface vers la fin 2021.
« On sait très bien que le M23 a été défait en 2013. Il y’a une partie qui est partie en Ouganda et ceux qui sont venus au Rwanda , qui ont été désarmés et placés à plus de 200 km de la frontière congolaise . Aujourd’hui ceux qui ont repris les armes, ils sont venus de l’Ouganda . Pourquoi on en parle pas ? Mais on est entrain de dire que ceux sont là sont soutenus par le Rwanda parce que aujourd’hui ils parlent Kinyarwanda ? Les rebelles qui ont repris les armes sont venus de l’Ouganda. Je l’affirme, il n’y a même pas à hésiter », affirmait Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais.
Cette position a été soutenue également par la partie rwandaise lors du sommet tripartite RDC-Rwanda et Angola tenu récemment à Luanda sous la direction du président Joâo Lourenço.
Le ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula a indiqué qu’en réunion ministérielle, lorsque le général James Kabarebe a pris la parole, « c’était pour nous dire que le général Makenga, qui est à la tête du M23 qui nous attaque, ne réside pas au Rwanda. Il réside en Ouganda. Ceux qui nous attaquent ne sont pas les M23 du Rwanda qui ont été désarmés, mais plutôt ceux de l’Ouganda qui leur donnent la logistique et les matériels ».
Aussi, peu avant la tripartite, le président ougandais Museveni a appelé le Chef de l’État Félix Tshisekedi pour lui dire que Paul Kagame et lui étaient en mesure d’obtenir du M23 leur retrait du territoire Congolais. Et Félix Tshisekedi a rappelé à Paul Kagame qu’ils ont une magistrature d’influence incontestable pour obtenir le retrait du M23, nonobstant les dénégations par rapport à son soutien.
Si le Rwanda se décharge de toute responsabilité dans les récentes attaques du M23 couronnées par l’occupation de la cité frontalière de Bunagana, les autorités congolaises et particulièrement, les députés nationaux ont dénoncé aussi la complicité de l’Ouganda.
Christophe Mboso, deuxième personnalité du pays, a relevé le comportement du lieutenant général Muhoozi Kainerugaba, fils biologique du président ougandais, Yoweri Museveni qui, dans une série de tweets, a réitéré son soutien à Paul Kagame alors que le M23 accusé d’être soutenu par Kigali, selon Kinshasa, mène des attaques dans le territoire de Rutshuru, en terre congolaise.
« Nous nous sommes entretenus avec le ministre des Affaires étrangères. D’ailleurs, il est d’accord avec nous, avant même que ceci nous arrive, avant que ces troupes fassent ce qu’ils ont fait, nous avons dit à la suite du pacte que le fils de Museveni a signé avec le Rwanda, nous ne laissons pas passer cet accord. Il nous a montré qu’il avait signé son pacte, il vient de nous trahir. Nous avons dit, nous n’acceptons pas », a précisé le président de l’Assemblée nationale.
En plus des affirmations rwandaises et celles du parlement congolais, dans une lettre adressée au conseil de sécurité des Nations-Unies, datée du 10 juin 2022, les membres du groupe d’experts de l’ONU sur la République démocratique du Congo sont largement revenus sur le fonctionnement du mouvement du 23 mars – communément appelé « M23 » – considéré par Kinshasa comme un groupe terroriste.
Dans cette lettre, les experts du conseil de sécurité des Nations-Unies expliquent explicitement comment le Rwanda et l’Ouganda – deux pays frontaliers de la RDC et soupçonnés de soutenir ce mouvement rebelle – ont servi de béquille pour que le M23 se réorganise, se réarme et recrute de nouveaux hommes dans ses rangs.
Les experts du conseil de sécurité de l’ONU notent qu’en janvier 2017, cependant, « le M23/ARC a commencé à se reconstruire lorsque des combattants dirigés par le « général » Sultani Makenga, visé par les sanctions, ont quitté le camp de Bihanga en Ouganda pour établir une base sur le mont Sabinyo dans le parc national des Virunga, en République démocratique du Congo ». Toujours pendant leur inactivité, « les ex-combattants du M23 se sont retirés dans des camps en Ouganda et au Rwanda. Peu sont restés en République démocratique du Congo ».
L’Ouganda, ce vrai-faux allié
La RDC a été poignardée dans le dos par l’Ouganda, son «vrai-faux allié».
En effet, depuis fin novembre 2021, Kinshasa et Kampala sont passés à la vitesse supérieure en lançant des opérations militaires conjointes contre les terroristes ougandais (ADF) et les milices congolaises qui écument les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri depuis quelques décennies.
En dépit de cette collaboration, l’Ouganda combattrait à la fois avec la RDC dans la lutte contre les ADF qui menacent ses intérêts mais tuent en masse dans la région de Beni plus particulièrement, alors qu’en même temps, il soutient en connivence avec le Rwanda, les terroristes du M23. Point n’est besoin de rappeler que plusieurs sources ont affirmé que les terroristes du M23 qui se sont emparés de Bunagana sont arrivés de l’Ouganda.
Kinshasa s’est rendu compte du rôle que joue son « allié » Kampala dans cette crise. Dans cette optique, le président congolais Félix Tshisekedi a dépêché en Ouganda, une délégation conduite par le ministre des Infrastructures, Alexis Gisaro et constituée des hauts gradés de l’armée congolaise pour « implorer » l’aide de Museveni.
Alexis Gisaro, mandaté par le président Félix Tshisekedi auprès de Museveni, a estimé que Kampala a un rôle important à jouer pour mettre fin aux hostilités dans l’Est du pays.
« Nous considérons que ce groupe du M23 a des soutiens étrangers. Notre présence se justifie par le fait que nous sommes parfaitement conscients de votre (Museveni) influence dans la sous-région et nous sommes convaincus qu’il est difficile qu’une solution soit trouvée en dehors de vous. Nous sommes là pour échanger avec vous sur les pistes de solutions à cette crise », a confié Gisaro.
Devant ses hôtes, à la recherche des solutions de paix dans l’Est, le Président Ougandais Yoweri Kaguta Museveni a réitéré l’appel des plusieurs chefs d’États surtout membres de l’EAC qui persistent sur un cessez-le-feu imminent dans la zone des combats. Dans le même sens, Museveni souligne l’importance d’arrêter les armes où se trouvent les belligérants.
« Ma proposition est de trouver une solution de façon complète. Mettre un cessez-le-feu en place. Là où ils (terroristes du M23) sont, pas de combats. Les kényans vont venir. À ces moments-là, on va diviser les forces et on va trouver une solution dans ce problème-là », a-t-il suggéré.
Rapprochement entre Kampala et Kigali contre la RDC
Entre Kampala et Kigali, deux anciens alliés et bourreaux dans l’agression de la RDC vers la fin des années ’80, la brouille qui a duré près de trois ans, en raison de l’entêtement de Kigali et de Paul Kagame principalement semble être résorbée. Fermée à l’initiative de Kigali en raison de vagues soupçons de soutien de Kampala aux mouvements armés hostiles au régime de Paul Kagame entre autres le parti d’opposition RNC (Rwanda National Congress), les rebelles hutus rwandais et le régime de Kampala, Il a, de ce fait, en février 2019, brusquement interdit à ses ressortissants de traverser la frontière commune, passage essentiel au commerce de la région. Kigali l’a également fermée aux Ougandais souhaitant exporter au Rwanda. Puis en mars, les autorités rwandaises ont publiquement accusé l’Ouganda d’avoir enlevé des Rwandais et de soutenir des rebelles voulant renverser son gouvernement.
Le poste frontalier de Gatuna-Katuna entre les deux pays a été rouvert le 31 janvier 2022 à minuit, après trois années de fermeture au grand dam de Kampala. Parce que pour la seule année 2018, les exportations ougandaises vers le Rwanda représentaient plus de 211 millions USD alors qu’elles s’établissaient à 13 millions USD de marchandises vers l’Ouganda, selon la Banque Mondiale.
4 jours avant la réouverture du poste frontalier de Gatuna-Katuna le 31 janvier dernier, Muhoozi Kainerugaba, qui appelle Paul Kagame «Tonton» en souvenir du passé militaire commun entre son père et lui, s’était rendu à Kigali. Le fils Museveni avait eu des entretiens jugés «cordiales, productives et tournées vers l’avenir sur les préoccupations du Rwanda et les mesures pratiques nécessaires pour rétablir les relations entre le Rwanda et l’Ouganda » par la partie hôte, rapporte la même source.
Les accords Économiques avec la RDC
Le président ougandais a néanmoins trouvé la parade à cette perte commerciale en se tournant vers son voisin congolais, Félix-Antoine Tshisekedi. Au terme de négociations demeurées discrètes depuis 2019, les deux chefs d’Etat se sont rencontrés le 16 juin 2021 à la frontière entre les deux pays à Kasindi, pour y lancer des travaux de rénovation des routes d’intérêts commerciaux communs.
« Au lieu de construire des murs entre nous, il vaut construire des ponts et cette initiative est vraiment un exemple de ce que nous devons multiplier comme échanges entre nos deux pays et nos deux peuples », avait déclaré le chef de l’Etat de la RDC, se réjouissant de l’initiative prise par son collègue de l’Ouganda.
Par ces accords, Kampala s’engageait ainsi à rénover les axes routiers Mpondwe (Ouganda) – Beni (RDC), 84 km ; Beni (RDC) – Butembo (RDC), 54 km ; Bunagana (RDC) – Rutshuru (RDC) – Goma (RDC), 94 km. Le financement du projet s’inscrivant dans le cadre d’un partenariat public-privé impliquant l’intervention d’une société indienne basée en Ouganda chargée de financer les travaux à hauteur de 60 %, contre 20 % pour l’Ouganda et 20 autres pour la RDC.
L’autre intérêt du projet de rénovation routière ougando-congolais, et pas des moindres, est sécuritaire, notamment sur l’axe Beni-Kasindi où des embuscades des rebelles ADF contre les véhicules des commerçants sont courants.
Face à ce soutien avéré de l’Ouganda au M23, l’Assemblée nationale, Chambre basse du Parlement de la République démocratique du Congo (RDC) a décidé de geler le processus de ratification des accords économiques conclus entre le gouvernement et l’Ouganda à cause des déclarations du chef de l’armée de terre ougandaise qui a fait état d’accords récemment conclus entre l’Ouganda et le Rwanda.