Vital Kamerhe avait multiples rendez-vous lorsqu’il se présente devant ses partisans et la presse locale le 7 septembre au centre-ville de Kinshasa. L’ambiance sur place laissait déjà entrevoir l’enjeu même de ce grand retour tant attendu. Billy Kambale, le jeune « Général » de son parti, n’arrêtait pas de chauffer l’assistance, annonçant quasiment la résurrection de son « Mwalimu ». Tous les hauts cadres de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) sont là. Surtout ceux qui sont membres du gouvernement. Molendo Sakombi, ministre des Affaires foncières et Aimé Boji, Ministre du Budget, avaient obligation de se présenter, étant restés au gouvernement alors que leur leader croupissait à la prison centrale de Makala.
L’homme finit par faire irruption, sous les vivats. Vital Kamerhe arbore une cravate de couleur rouge-sang de son parti. Il est visiblement heureux. Mais surtout attendu au tournant. Sur les réseaux sociaux, sa « brigade numérique » est euphorique. Un événement bénin dans cette République démocratique du Congo certes préoccupée par la nouvelle guerre d’agression dans sa partie Est. Et ce conflit s’invite même dans cette conférence de presse de Kamerhe, pourtant placée sous le signe du « retour ». En prenant la parole, l’ancien dicteur de cabinet de Félix Tshisekedi remercie d’abord « ceux qui l’ont soutenu pendant la période difficile ». Il fait sans doute allusion à son emprisonnement depuis le 08 avril 2020. Néanmoins, personne n’est là pour le passé. Aussi, Kamerhe ne fera pas attendre son monde pendant longtemps. Il annonce, sans surprise, une tournée dans l’Est du pays où il promet d’y présenter « sa proposition pour la paix ».
Toutefois, la personne de Kamerhe reste à la fois intrigante et cristallisante au pays. Le souvenir de l’affaire de 100 jours étant encore frais dans la mémoire des Congolais. Mais surtout, ses alliés au pouvoir, qui l’ont « réhabilité », le surveillent étroitement. Kamerhe s’en rendre compte lorsqu’il appellera à un « leadership éclairé » pour faire face aux difficultés du pays. Une phrase qui frustre les proches de Félix Tshisekedi au point de pousser le président de l’UNC à inventer un communiqué, plus tard dans la soirée, qui ajoute cette fois-là « leadership éclairé du président Félix Tshisekedi ». Mais voilà, il était dès lors clair que ce retour pompeux allait être surveillé. Aussi, cette tournée que Kamerhe annonce, aux contours certes flous, allait servir d’un véritable test pour sa relation tumultueuse avec le président Tshisekedi.
Une tournée de tous les dangers
C’est à Bruxelles, capitale de l’ancienne puissance coloniale, que tout a commencé début septembre 2022. Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ont rendez-vous très important. A Tangla Hotel Brussels, situé dans la commune de Woluwe-Saint-Lambert, les deux « alliés » doivent se rencontrer et « mettre les choses au points ». Car depuis son acquittement, Vital Kamerhe est à nouveau au cœur du jeu politique en RDC. Cet homme aura longtemps incarné l’immortalité politique en RDC. D’abord donné pour mort à la suite de sa condamnation à vingt ans de prison pour corruption à l’issue du très médiatisé procès autour du programme de 100 jours. Mais à la surprise générale, le président Félix Tshisekedi tiendra des propos très dithyrambiques à l’endroit de son allié dans une interview à la télévision nationale depuis Goma, capitale du Nord-Kivu, en juillet 2021. Malade en prison, Vital Kamerhe sera exfiltré pour « des soins appropriés », pour atterrir finalement à Paris.
La suite est connue. Vital Kamerhe est acquitté. Le voilà reçu même par le président le 28 juin à Kinshasa et prêchant surtout le « pardon ». C’est peut-être là que se cache l’enjeu même de cet énième retournement politique au Congo. Autour du président Félix Tshisekedi, il a tout de suite été clair que la situation du pays, avec la crise sécuritaire dans l’Est et une population de plus en plus en colère, la présidentielle de 2023 est redoutée. À cela, il faut ajouter le nombre croissant de rivaux. Outre Moïse Katumbi qui parait être le challenger principal, il y a également les nouvelles défections, dont celle de Jean-Marc Kabund, qui secouent le palais. Il faut également considérer les guerres aussi de l’entourage du président, qui continuent de faire des victimes. François Beya, un élément de poids autour du Président, est tombé en disgrâce. Rapidement, Vital Kamerhe est donc vu comme un allié capable d’aider Félix Tshisekedi à arracher un deuxième mandat. Originaire de l’Est de la RDC, Kamerhe est le député le mieux élu du pays. Mais il est surtout une machine politique à lui tout seul, l’ayant démontré durant la campagne électorale qui a propulsé Tshisekedi à la Présidence.
Kamerhe non plus, n’est pas dans une position confortable. Qu’il prêche la paix en public, il n’est pas sans oublier « les humiliations » subies dans ce qu’il a toujours considéré être une « affaire politique » du procès de 100 jours. Mais il a cependant perdu de son influence d’un pouvoir qu’il s’est toujours targué d’avoir « fabriqué ». Outre les besoins économiques, à la suite d’un procès qui l’a dépouillé, Vital Kamerhe voit également un certain Modeste Bahati monter en puissance comme son « successeur » aux côtés du président Félix Tshisekedi.
Le président du Sénat a en effet effectué plusieurs tournées dans le Sud-kivu d’où il est originaire, et a semblé s’attaquer à Kamerhe, qui est originaire également de la même province. « Pour Bahati, Kamerhe est une menace directe. Il rêve de conserver son influence autour du Président Tshisekedi. Et surtout sa place du « dauphin » du régime. Étant originaire du même coin que lui, étant également le principal partenaire de Tshisekedi dans son arrivée au pouvoir, Kamerhe pourrait amoindrir son influence grâce à ce retour, surtout s’il est nommé Premier ministre », explique notamment Stephie Mukinzi, rédacteur en chef de POLITICO.CD.
Démineur de Tshisekedi dans l’Est
Bien plus qu’une tournée et un simple retour en grâce, Kamerhe tient d’une promesse du Chef de l’État ayant conduit à son acquittement par la justice congolaise. Des sources au sein de son parti affirment en effet que le président de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) devrait être désigné Premier ministre du prochain gouvernement en RDC. « En tout cas, depuis qu’il a été rappelé à Kinshasa après son séjour à Paris, le Président [Tshisekedi] lui avait clairement signifié qu’il comptait sur lui et qu’il allait lui confier le prochain gouvernement », révèle un proche de Kamerhe à POLITICO.CD. « Il fallait donc attendre d’abord que la justice ne l’acquitte, ensuite, les choses allaient être mises en place », ajoute-t-il.
Mais il y a deux Tshisekedi au Congo. Celui qui promet et celui qui réalise. Et bien souvent, les deux ne vont pas dans la même direction. Si Vital Kamerhe est bel et bien acquitté en juin 2022, la nomination à la tête du gouvernement n’arrive toujours pas. C’est ainsi que la rencontre à Bruxelles entre les deux alliés s’est improvisée. Mais là encore, Kamerhe n’obtient toujours pas le Graal. Selon plusieurs sources proches de deux camps, le président Félix Tshisekedi lui aurait alors promis un « poste de premier plan ». Certes, Kamerhe connait visiblement très bien son allié. Aussi, il manœuvre et offre à Tshisekedi qu’il attend clairement de lui. « VK a clairement réaffirmé son engagement à FATSHI, lui promettant notamment de tout faire pour qu’il soit réélu.
En échange, le président ne lui a pas clairement promis la Primature. Il lui a juste dit qu’il aura un poste de « premier plan » pour avoir les moyens de se préparer à la campagne électorale », raconte notre source. Durant la même réunion, Vital Kamerhe parle alors de la crise dans l’Est du pays au président Tshisekedi, proposant ainsi de s’y rendre « pour mobiliser les forces vives du pays contre l’agression rwandaise ». « Le président avait bien accueilli cette idée. Il a même promis son soutien. Il était clair que cette tournée n’était pas pour les intérêts de VK, mais de mobiliser les notables autour de la paix et autour de la vision du Chef de l’État », explique un proche de Tshisekedi.
Le triompe et la polémique
Si les esprits se chauffent, c’est surtout que la tournée qui s’est achevée le mercredi 28 septembre à Kisangani n’a pas plu aux proches du président Félix Tshisekedi qui se méfient toujours de Vital Kamerhe. « C’est un véritable Kamerhéon », a ironisé un proche du Chef de l’État congolais auprès de POLITICO.CD. « Tu prends l’argent du Chef (de l’état) pour faire une tournée de paix pour que tu en profites pour booster ton parti, sans parler du Chef et de sa vision. Et même, pendant la tournée, tu prends le temps de laisser qu’on le critique. On vous attend à Kinshasa », a électriquement lancé ce conseiller du président Tshisekedi sous le sceau de l’anonymat. En substence, c’est surtout les allures de la tournée qui dérangent du côté de Félix Tshisekedi. Dès la première étape de la tournée, Vital Kamerhe s’est affiché à son aventage, aux côtés tantôt de son épouse, tantôt des cadres de son parti. Par ailleurs, selon des proches du président Tshisekedi, le président de l’UNC aurait strictement fait savoir à ses proches de ne pas évoquer le nom du président Tshisekedi durant cette tournée.
Des affirmations rapidement démenties du côté de Vital Kamerhe. « Il faut dire la vérité. Le président Kamerhe avait bien expliqué au Chef de l’État que cette tournée n’était pas politique. C’était question de déminer le terrain. Nous savons que cette partie du pays commence à devenir très hostile au président et qu’il fallait d’abord rétablir le contact avant de commencer à leur demander de soutenir le Chef de l’État. Ce n’était pas une campagne électorale », rétorque-t-on du côté de Kamerhe. « Nous n’avons rien reçu du Chef de l’état mais nous lui avions prévenu de tout ce que nous allions faire », ajoute ce proche qui fait remarquer que la tournée du leader de l’UNC n’était pas politique. « Nous avons évité soigneusement de parler politique ». En en croire d’autres proches de Kamerhe, le président Tshisekedi serait avisé du fait qu’il ne fallait pas aborder son nom.
Toujours est-il que cette tournée a néanmoins été un véritable triomphe de popularité pour Kamerhe, qui a semble-t-il éteint son principal rival Modeste Bahati. Dans une contrée qui vaut près de la moitié de l’électorat congolais et qui est plus que jamais hostile au président Tshisekedi, le leader de l’UNC se positionne comme le seul véritable soutien du Chef de l’Etat pour ce rendez-vous fatidique de 2023 qui s’approche à grands pas.
Néanmoins, Kamerhe n’a pas réussi à vaincre ses démons. Ceux qui poussent souvent ses adversaires à douter de sa sincérité et à se méfier de lui. En laissant chanter ses partisans à Kisangani « nous allons te voter », le leader de l’UNC a fait une peur bleue aux Tshisekedistes qui le soupçonne alors de manœuvrer pour « rouler pour son propre compte en 2023 ». A l’UNC toutefois, on s’attend à ce que le président « honore le Mwalimu ». « Vous savez, de tout ce qu’on pourra dire de VK, il a été le plus fidèle du Président de la République. Là où beaucoup l’ont trahi, Vital Kamerhe a préféré d’abord renoncer à l’accord de Nairobi qui faisait de lui Premier ministre. Il a également accepté de souffrir en prison plus tôt que d’éclabousser le Chef de l’Etat. Aujourd’hui, avec sa tournée monumentale, le Président sait qu’il peut compter sur lui pour l’Est. Mais tout ceci ne peut se faire que si Mwalimu était honoré et que les promesses qui lui ont été faites sont réalisées », explique ainsi ce proche de l’ancien directeur de cabinet de Tshisekedi.
Du côté du président Félix Tshiseked, on ne voit pas les choses de cette manière. « Il devait déjà dire merci d’être en liberté dans ce pays », va même lancer un proche du président.