Moïse Katumbi peut souffler. L’exercice redouté du débat télévisé entre candidats à la Présidentielle de 2023 ne lui sera peut-être pas imposé. Quitte à se faire piquer par une piqûre, la scène politique congolaise, réputée déjà imprévisible, vient de frapper et l’y extirper. Tenez, Félix Tshisekedi, qui s’apprêtait à lui tomber dessus, fier de la diatribe apprise sous l’arbre à palabre à Limete, aux côtés du Grand-Maître en la matière, Etienne Tshisekedi, aurait peut-être à présent un adversaire à sa taille.
Certes ! Il ne s’agit pas de Martin Fayulu ni du Docteur Denise Mukwege, les Congolais semblent avoir finalement braqué leurs haches de guerre en direction de Kigali. Ni même Vital Kamerhe, qui hurle cependant autour de la Primature promise. Quant à Matata Mponyo, ça serait déjà un « gingatesque défit » pour lui de participer à cette élection. Et comme la nature a horreur du vide, le renfort de l’opposition vient du même Rwanda : Paul Kagame a mis le costume de l’opposant principal et challenger à Félix Tshisekedi.
La dernière fois que Paul Kagame s’est présenté devant les électeurs c’était en 2017. Le président rwandais a été plébiscité avec plus de 98% des voix à l’issue du scrutin présidentiel. Lorsque l’on remporte une élection d’une telle manière, il est tout à faire normal de se prévaloir d’une maîtrise du sujet. On parle tout de même d’un score qui rend à ce jour Staline en personne jaloux. Tout à coup, le Rwanda deviendrait tout petit. Et on rêvait d’autres scrutins? Sauf que l’homme a tout remporté: présidence de l’Union Afrique, marché de sécurisation d’intérêts pétroliers français au Mozambique… le voilà s’ennuiyer profondément, jusqu’à ce que le Congo pointe son nez!
Dictateur, mais spécialiste en élections démocratiques
Le week-end dernier, à Kigali, face à son Parlement, tel un Johny Walker éméché, mais qui tient débout, Paul Kagme a dévoilé ses ambitions politiques pour la RDC, dans un monologue ahurissant où il a repris même des notes de Fayulu. Bombant le torse d’être le dieu de la Guerre dans les Grands-Lacs, le président rwandais est allé jusqu’à contester l’élection Félix Tshisekedi à la tête de la RDC en 2018, avant d’accuser le président congolais de chercher à faire reporter les élections prévues en 2023 : « Il [Tshisekedi ] n’avait pas remporté les premières élections et essaie de reporter les prochaines »., premier coup ! « S’il [Tshisekedi ] essaie de trouver un autre moyen de faire reporter les prochaines élections, alors je préférerais qu’il utilise d’autres excuses, et pas nous », deuxième coup ! Martin Fayulu sort de ce corps !
Le confrère Kenyan Mwangi Maina est le premier à en être stupéfait. «Paul Kagame went bananas today », aux anglophones de traduire. A Kinshasa, Félix Tshisekedi s’ennuyait d’une « opposition facile ». Il n’en fallait pas plus pour sortir le président congolais, avide d’esclandres, de son ennuie. Et la réponse n’allait pas tarder. Une droite : « En 2020, il fallait taire les armes en Afrique. Malheureusement, nous n’y sommes pas arrivés à cause des dirigeants tels que Paul Kagame ». Puis, une gauche : « Et il est fier d’être un spécialiste des guerres. Moi à sa place, je me cacherai. C’est honteux et diabolique ». L’ Uppercut arrive : « Les Rwandais et les Rwandaises sont nos frères et sœurs. Et, d’ailleurs, ils ont besoin de notre aide, parce qu’ils sont muselés, pour les libérer. Ils ont besoin de notre solidarité pour nous débarrasser et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades qui ramènent les méthodes des années 60 et 70 » ! Siffler. Balle au centre. La VAR confirme. Etienne Tshisekedi sort de ce corps !
Si le président rwandais revient autant sur l’élection de Félix Tshisekedi, c’est surtout parce qu’il a milité, en 2019, alors président de l’Union Africaine, pour que Martin Fayulu, candidat soutenu alors par Moïse Katumbi l’emporte. « Notre candidature est très soutenue, nous avons des soutiens des Chefs d’Etat des pays voisins », avouait Katumbi dans une interview vidéo, faisant référence à la candidature de Martin Fayulu qu’il soutenait. A l’époque, jouissant de ses liens avec l’homme d’affaires et philanthropes Mo Ibrahim, Moïse Katumbi avait noué une alliance avec Paul Kagame. A l’issue d’une réunion à huis clos à Addis Abba sous forte influence de Paul Kagame, l’Union Africaine avait conclu « qu’il y avait des doutes sérieux sur la conformité des résultats provisoires, tels qu’ils ont été proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni)« . Des résultats proclamés le 10 janvier 2019 et annonçant la victoire de Félix Tshisekedi. L’Union Africaine demandera la « suspension » de la proclamation des résultats électoraux définitifs ainsi que l’envoi d’une délégation de « haut niveau » à Kinshasa. Mais Joseph Kabila décidera autrement.
Kagame a mal choisi son moment
C’est la mi-temps pour le duel Tshisekedi-Kagame, qui aura donc lieu. Dès ce lundi matin, les trolls anonymes de Kigali prennent les réseaux sociaux d’assaut pour se moquer tantôt de Tshisekedi, tantôt du Congo ; en usant, comme d’habitude, d’un discours rafistolé entre un génocide imaginaire contre des Tutsi au Congo ou encore des FDLR à traquer. Du côté congolais, Kagame tombe sur un os. Pour la petite histoire, retenez que les partisans de Félix Tshisekedi sont surnommés « les Talibans », en référence à leur combattivité historique, qui vire souvent à l’intolérance. S’ils ont passé toute leur vie à s’opposer à des dictatures, ils retrouvent ici un vrai dictateur, alors qu’ils se perdaient au pouvoir, à jouer parfois aux opposants.
Mais avant que les « Talibans » n’interviennent, les Congolais ne se laissent plus prendre au piège. Car s’attaquer à Tshisekedi est une chose, endeuiller le Congo en est une autre. A contrario d’un Joseph Kabila isolé, qualifié à tort de rwandais par les partisans d’un certain… Etienne Tshisekedi, le fils de l’ancien opposant actuellement au pouvoir traine avec lui une coalition populaire qui n’a pas hésité à descendre dans la rue pour tenir Kigali par la gorge le dimanche dernier. Denis Mukwege, attaqué jadis par des partisans de Tshisekedi alors qu’ils lui attribuaient des ambitions politiques, est le premier à monter sur le ring et dénoncer le paiement de 20 millions d’euros de l’Union Européenne à l’armée rwandaise. A la Radio Vatican, le Prix Nobel de la Paix n’a pas retenu ses coups contre le Rwanda, dénonçant nommément le régime de Paul Kagame pour ses crimes dans les massacres des Congolais. Car, rien que la semaine dernière pas moins d’une centaine de civiles, dont des femmes et des enfants, ont été exécutés à Kishishi, démontrant une fois de plus le visage effroyable de l’agression rwandaise dans l’Est de la RDC.
Avant lui, Martin Fayulu, qui conteste toujours l’élection de Félix Tshisekedi, avait mis sa rancœur de côté pour monter au front contre le Rwanda. Pareil pour Adolphe Muzito. L’ancien premier ministre, qui était allé jusqu’à proposer une annexion du Rwanda, ne pouvait pas louper cette occasion. Augustin Matata Ponyo n’est pas non plus resté loin du front, annonçant son soutien aux Forces armées congolaises et dénonçant le Rwanda. Vital Kamerhe, fâché avec Tshisekedi qui rechine à le nommer Premier ministre, a cependant publié un communiqué dénonçant à peine « l’agression », tout comme Jean-Pierre Bemba, dont le cœur n’y est plus depuis sa libération de la Cour Pénale Internationale.Le seul silence éloquent au Congo vient de la coalition de Moïse Katumbi. Mais là encore, un communiqué au verbiage gré-romain a été publié. Même si, dans le fond, l’ancien gouverneur du Katanga ne peut nier ses liens étroits avec Paul Kagame.
Toujours est-il que Paul Kagme rate son coup à s’attaquant aussi fatalement à Félix Tshisekedi dans une affaire interne. Cette sortie d’un président rwandais de puis en plus mal à l’aise et en perte de vitesse, dévoile une perte totale de contrôle sur une énième aventure militaire responsable désormais de crimes de guerre et qui pourrait bientôt se retourner contre lui. Du côté congolais, nonobstant des brebis galeuses qui gardent encore un silence coupable, en protégeant leurs liens de connivence avec Kigali, le front anti-Kagame ne fait que grossir, dans un pays où, plus que jamais, la population est consciente de la menace rwandaise et se déclare prête à en découdre.
Des stars internationales, Gims ou Youssoupha, à des soutiens inattendus en plein parlement européens, la pression constante sur la complaisance française vis-à-vis de Kigali, ou encore sur « l’hypocrisie » de l’Union Européenne sur les crimes du Rwanda dans l’Est de la RDC en sont des parfaits exemples. Les Etats-Unis, qui ont rapidement compris cela, ont préféré se ranger face à Kigali, n’hésitant pas à appeler le régime rwandais à retirer son soutien au M23.
Litsani Choukran,
Le Fonde