Une coalition. Un grand « parti ». Une formation pour sauver le Congo. Une famille politique des hommes de conviction, certes présumée, regroupés au sein de la plus grande coalition politique du pays, une coalition bâtie sur la ferme volonté de « sauver » le Congo. Le Front Commun pour le Congo, le FCC que le professeur Néhémie Mwilanya Wilondja, dernier directeur de cabinet de Joseph Kabila, présentera longtemps comme son « bébé ». Déjà des prémices de fourberie. Car si ce professeur, qui deviendra l’un des hommes les plus puissants du Congo aux dernières heures du pouvoir Kabiliste, a le culot de prétendre qu’il a mis en place la plus importante force politique capable de maintenir Joseph Kabila au pouvoir, cette coalition n’est rien d’autre qu’un château de cartes constituée à coup de débauches, loin de tout idéal. Au Showbuzz, le jeudi 7 juin 2018 à Kinshasa, ils vont tous signer, ni contraints, ni même sélectionnés. Pris en vrac donc. Ni idéal. Ni rêve. Seulement le nombre, où chacun y va avec son rêve et ses factures à payer. Kabila laissant faire, n’étant certes néophyte.
1ère part : une coalition bâtit sur un château des cartes
Le 20 décembre 2020, Félix Tshisekedi proclame la fin de sa coalition avec Joseph Kabila, fatigué des menaces d’Emmanuel Shadary et celle de Jeanine Mabunda, ou encore des fatwa de Célestin Tunda ; mais surtout attiré par l’activisme de l’ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, qui cache derrière lui les ambitions de Moïse Katumbi, redoutable et farouche adversaire de Kabila. Tout à coup, toute une majorité de plus de 350 députés s’écroule en une semaine. Du jamais vu. A surprendre un médium!
Du jour au lendemain, Félix Tshisekedi récupère la seule suprématie politique que Joseph Kabila comptait garder pour continuer à peser sur la gestion du pays. Des pères de familles qui appelaient Joseph Kabila à camper éternellement au pouvoir se mettent tout à coup à chanter « Fatshi Béton », l’hymne du nouveau pouvoir. L’ironie du sort veut que ces élus, désignés non pas par un vote populaire, mais par des gourous de Kabila, autour d’une des plus grandes escroqueries électorales au monde, ont été fait députés en fonction de leurs « capacité à rester fidélité au Raïs » !
Après eux, c’est au tour des « caciques », des vieux dinosaures qui ont tous juré un jour de « mourir pour Kabila ». Même si la majorité d’entre eux avaient juré la même chose à Mobutu. Qu’importe, Léonard She Okitundu, Adolphe Lumanu, Evariste Boshab, pourtant très proches collaborateurs, quittent Kabila, non pas sans avoir promis un jour, telle Brutus, fidélité au chef du FCC. Ils sont rejoints par Adré-Alain Atundu, bien avant le plus symbolique d’entre eux, Lambert Omalanga. Une question s’impose alors : comment se tromper autant ? Comment ne pas être capable de savoir que la majorité des députés pointés pour protéger sa succession politique finiraient par regagner Félix Tshisekedi ? Comment Joseph Kabila peut-il être victime, sans payer soi-même sa turpitude. Car s’il faut dénoncer la transhumance, comment punir le fait de nommer et maintenir des traitres et incapables à des postes clés ? Les tentatives de réponse viennent de loin.
Tenez, nous sommes à Kinshasa, le mercredi 2018. Le boulevard du 30 juin, l’une des principales artères de la capitale congolaise, est étonnamment vidé de son monde, barricadé par un imposant dispositif policier. Du côté du célèbre immeuble de « SOZACOM », que l’ancien président Mobutu avait tenu à faire construire, y voyant le « symbol of New York-style modernity », un groupe d’hommes envahit la chaussée. Côte à côte, tels des scoutes, ils investissent rapidement le siège de la Commission électorale, sous un boucan indescriptible de leurs partisans. Un désordre indescriptible aussi. André Kimbuta Yango, qui n’est que gouverneur de la ville de Kinshasa, refuse de laisser la préséance à Henri Mova, pourtant haut-cadre de son parti. Si ces détails ne sont pas captés à l’époque, c’est surtout parce que le pays vit sous effervescence, alors que Joseph Kabila venait de surprendre son monde en annonçant le nom de son « dauphin », en la personne d’Emmanuel Shadary. « Le meilleur candidat pour perdre le pouvoir », ricanait Tryphon Kin-Kiey Mulumba.
2ème part : le pire dauphin possible, des choix très discutables
Au siège de la CENI, Emmanuel Shadary dont on ne saura jamais lesquelles de ses qualités ont fait de lui candidat idéal aux yeux de Joseph Kabila, est au milieu de la meute, venue alors l’accompagner pour déposer sa candidature à la Présidentielle, au nom de la plus grande formation politique du pays. « Le désordre était tel que Shadary s’y était pointé sans avoir même pris le temps de préparer son dossier de candidature. C’est dans le Bureau de la CENI que nous avons commencé à appeler pour qu’on constitue son dossier, qui était déposé sans être complet d’ailleurs », avouera un des proches de Joseph Kabila.
Il faut dire que le « RAÏS » aura fait mariner ses cadres autour de cette désignation tant redoutée. La communauté internationale et surtout l’opposition congolaise n’y croyait plus du tout, le soupçonnant à tout prix de vouloir briguer un troisième mandat interdit. Nul autre, que lui-même, n’aura su sa décision. Aubin Minaku et Augistin Matata passeront leur temps à se rentrer dédans, rêvant chacun d’être désigné dauphin. Lassé de l’attente interminable, sachant surtout lire les signes du temps, Tryphon Kin-Kiey Mulumba en aura marre, allant briguer lui-même la Présidentielle. Mais l’impatience n’aura pas été la seule motivation de cet ancien ministre de Mobutu. Si beaucoup ne le voient pas, faisant passer la décision de Joseph Kabila comme une brillante stratégie politique, le natif ne Masimanimba n’en sera pas convaincu et avec peut-être raison.
Un an plus tard. Félix Tshisekedi prend le pouvoir, autour d’une alliance encore inattendue avec Joseph Kabila. Beaucoup auront alors compris que Shadary n’était qu’un coup de poker. Mais le fils de Mzee Laurent-Désiré Kabila n’en a pourtant pas fini avec ses surprises. A l’Assemblée nationale, y compris au Sénat, il applique ce que Le Fondé qualifiera « la stratégie de non-choix ». Jeanine Mabunda, très contestée, est désignée Présidente de l’Assemblée nationale, en binôme avec un certain Jean-Marc Kabunda. Du C4 et du souffre, dans l’idée de créer une oasis de paix. Au Sénat, c’est un homme qui se vantait d’avoir fait exploser un avion civil pour le compte de l’ancien rébellion rwandaise du RDC, Alexis Thambwe, qui est désigné « Président ». Au moment où il est désigné à ce poste, l’homme est reputé pour sa capacité de regarder tout ce qui l’entoure de haut ! Cette stratégie s’applique également au gouvernement. Alors que Félix Tshisekedi promet du renouveau, Joseph Kabila lui envoie un pré-retraité, en la personne de Sylvestre Ilunkamba, comme Premier ministre. « On ne pouvait pas autant mal choisir », me confiera un jour Kin-Kiey, qui aura décidément toujours vu juste. Un autre vice-ministre, en charge du très important domaine des Hydrocarbures venait simplement d’avoir son tout premier emploie dans la vie.
La suite ne sera que logique. Jamais la RDC, depuis certes l’esclandre Lumumba versus Kasa-vubu, n’aura connu un tel spectacle de bras de fer politique. Jeanine Mabunda, depuis le Palais du peuple, ira jusqu’à menacer le président Tshisekedi de destitution. Thambwe, de son côté, n’aurait jamais caché ses convictions d’être issue d’une caste sociale supérieure à celle du Président. Au gouvernement, si Ilunkamba est plutôt flegmatique, personne, y compris dans son propre camp, ne lui accorde réellement de pouvoir. Célestin Tunda Ya Kasende dépasse les bornes au point d’épuiser la patience de Félix Tshisekedi, qui le débranche du Conseil des ministres.
Mais un homme, incarnera à lui tout seul l’incongruité des choix de Joseph Kabila : Emmanuel Ramazani Shadary. Secrétaire permanent, il perdre la Présidentielle non sa soupçons, un euphémisme certes, de détournement de fonds de sa propre campagne. Néanmoins, après les élections, il campe sur son fauteuil à la tête du PPRD, au point même de jouer le dynamiteur de l’accord qui lie Kabila à Tshisekedi. « On ne peut pas nous intimider », lance-t-il en direct. Et quand il a un peu du temps, il n’hésite pas à s’afficher aux côtés d’Albert Yuma, menaçant à nouveau le Président Tshisekedi tantôt de destitution, tantôt du chaos.
3ème part : mutisme de trop et déconsidération de l’entourage
Ca en ferra trop. Travaillé par Moïse Katumbi, à travers le remuant et opportuniste ex-ambassadeur des Etats-Unis en RDC, Mike Hammer, Tshisekedi rompt l’alliance et fait basculer une majorité absolue de plus de 350 députés acquis à Kabila en sa faveur. Ni alors durant les écarts de Mabunda et autres, ni moins durant les escapades de Shadary, Joseph Kabila ne daignera bouger. Lorsque Tshisekedi tente de lui prendre sa majorité, ses plus fidèles se bousculent à Lubumbashi, espérant y recevoir la solution magique du « Raïs », pour contrecarrer FATSHI. A l’hôtel Karavia, beaucoup compteront longtemps, sans être reçus. « C’était à la fois étrange et déconcertant. Comme un manque de respect. Je n’ai jamais voulu quitté Kabila. Mais quand on traverse un tel moment et qu’un Chef de daigne même pas vous montrer de considération et de respect, il vous pousse lui-même vers la sortie », déplorera un de ses proches, devenu aujourd’hui Tshisekediste.
La majorité de la classe politique congolaise est réputée certes opportuniste. Aussi, il est impossible de se baser sur des telles jérémiades cousues au fil blanc pour justifier le faits d’avoir chanté pour Kabila depuis des décennies et de rejoindre Tshisekedi en quelques mois seulement. Cependant, lorsque l’on voit des hommes d’épaisseur d’Évariste Boshab, Adolphe Lumanu ou encore Léonard She Okitundu se faire la mal, le questionnement est légitime : le Raïs a-t-il été sans reproche dans ses rapports avec son entourage ? A-t-il seulement pris les bonnes décisions ? « Depuis 2015, le Raïs a semblé se laisser aller. Rien que l’idée de faire de Badibanga Premier ministre en témoigne. Ensuite, les choix d’Ilunkamba ou même de Shadary illustrent sa perte totale de contrôle. Ou bien, il a simplement abandonné », ajoute ce proche.
« Abandonner », c’est le mot qui revient souvent autour de Joseph Kabila. Depuis qu’il a quitté le pouvoir, l’ancien président semblent avoir systématiquement laissé faire d’abord un chaos au sein sa formation politique du Parti du Peuple pour la reconstruction et la Démocratie (PPRD), où son Secrétaire Permanent Emmanuel Shadary règne en pyromane. Aujourd’hui, expliquent plusieurs cadres qui sont encore fidèles, mais pour combien de temps ( ?), le parti est totalement divisé sous le leadership d’un Shadary qui a failli à tous les niveaux. « Vous croyez vraiment que ça ferait plaisir à quelqu’un comme Adolphe Lumanu de continuer à être dirigé par Emmanuel Shadary qui n’a rien d’un modèle politique ? » interroge un jeune du parti. Dans la jeunesse du PPRD justement, c’est là que le feu Shadary a beaucoup plus brûlé, après avoir fait la guerre à Serge Kadima, ancien Président de la Ligue des Jeunes qui finit par jeter l’éponge, Shadary fera nommer une de ses proches, qui finira à son tour en prison pour une affaire privée de « commission parcellaire ».
« Fatiguer», c’est aussi le second mot qui vient quand on tente de comprendre l’attitude de Joseph Kabila. «La dernière grande manifestation du FCC organisée devait être financée par Joseph Kabila lui-même. Imaginez ! Après 18 ans au pouvoir, avec des cadres tous millionnaires, des gens vont lui demander de l’argent pour organiser une marche. Mettez-vous à sa place », concède un autre proche. Ils requièrent tous l’anonymat, comme s’ils avaient peur de frustrer le grand Seigneur Kabila. Car si les uns et les autres lui donnent raison ou tort, Joseph Kabila ne pourra échapper à sa propre responsabilité. L’ancien président a fait du mutisme une stratégie politique. Ce qui marche, puisqu’il ne s’en sort pas aussi mal que cela. Néanmoins, dirigé une coalition politique requiert une certaine présence et clarté. « Au début, c’est intéressant. Car on se dit qu’il a surement un plan en tête et qu’il sait surement où nous allons. Mais après quatre ans, continuer à vivre sous ce flou total, au point de ne pas savoir où nous allons, c’est compliqué de suivre. Et surtout que les signaux montrent q’’il (Joseph Kabila) ne tient peut-être pas à nous qu’on le croirait », estime un ancien cadre qui danse béton à ce jour.
Car en effet, tous ceux qui ont rencontré l’ancien président ces dernières années semblent ressortir avec le même flou : personne ne sait vraiment ce qu’il veut. « Je doute même que Kabila ne sache lui-même ce que Kabila veut », ironise même un proche. L’ancien maître de Kinshasa parait comme quelqu’un qui soumet tout son entourage à un déluge, espérant ainsi la lavée : seuls les survivants pourront alors l’accompagner. Or, justement, il n’eut qu’un seul Noé et un seul Christ. Les êtres humains de qualité n’ont pas besoin de suivre un autre les yeux fermés. Dans un ensemble politique, le partage des idées est essentielle afin d’y dégager la meilleure des solutions. Or, se prévaloir d’être seul à mieux comprendre, à mieux faire, on tomberait alors dans un nombrilisme qui frise alors celui qui a coulé Narcisse, le dieu grecque. Un nombrilisme qui finit par fatiguer certains, même si on peut pas excuser un Atundu qui se déclare « Gaulois » de Kabila et change de position quelques mois après.
Certes, ces pertes ne sont pas à pleurer. Car la trahison politique ou une telle transumhance visiblement motivée par l’appat du gain ne saurait alors faire perdre à Joseph Kabila son crédit politique. Néanmoins, l’analyse globale veut que Kabila ait tiré ses échecs du manque de compréhension de la société congolaise, étant surtout issue d’une culture différente (ayant passé son enfance à l’extérieur, dans une société tanzanienne qui n’aurait rien à avoir avec le Zaïrois). Pour autant, dans la société zaïroise, certes à remodeler, la chaleur humaine et la considération envers les autres sont des qualités. Et qu’à partir du moment où on se positionne comme leader, les efforts sont à faire en direction des populations plutôt vers un isolationnisme, se prévalant de valoir mieux. Le « Kara » marche sur certaines choses. Mais aucune recette n’est défectivement viable. S’il faut faire un bilan de la stratégie de « non choix », on pourra certes conclure que Joseph Kabila, personnellement, s’en sort bien. Mais sa famille politique serait sans doute dans meilleures conditions si l’ancien président avait initié un débat autour de sa succession au sein de sa coalition dès 2015. Cette dernière se serait certes mieux préparée, n’aurait pas déposé une candidature dans le chaos, battant une campagne chaotique, où il n’eut non élection, mais une liste d’élus choix selon leurs affinités avec ceux qui établissaient les listes et qui ont tous, aujourd’hui, finit par le trahir. Au contraire, cet attentisme, ces « non choix » apparaissent finalement comme de la peur. La peur d’être trahi. La peur de faire le mauvais choix. Au, finalement, du dédain envers des collaborateur dont certains, très peu certes, mais vraiment peu alors, sont sincèrement quand ils disent vouloir mourir pour le Kabilisme.
4ème part : refus de changer
A 51 ans, Joseph Kabila est l’un des plus jeunes acteurs politiques de premiers plan en République démocratique du Congo. Il ne pourra donc prétexter ou faire croire en une retraite anticipée. De ce fait, reprendre la main autour d’une famille politique démembrée serait un bon début, de peur de donner raison à ceux qui ont découvert l’horreur du vide qui caractériserait mère nature. Maintenir un Secrétaire permanent qui aura tout fait pour couler son propre parti, au point de s’exhiber en tribalisme devant les caméras du monde et de défier même son Président national n’est finalement pas preuve de stratégie, mais parfois, d’abandon. Se retirer du processus politique sans avoir consulté ses cadres ni avoir tenté de recueillir leurs avis n’est pas une manière démocratique de diriger une organisation que l’on veut pouvoir au-dessus des autres. Les grands partis qui surviennent au monde ont tous laissé place à un débat franc en leurs sein et surtout à des « institutions » qui leur assurent un bon fonctionnement, et où un leader naturel ne se prévoit pas d’omnipotence.
L’histoire du monde est remplie de ceux qui ont perdu le pouvoir et ont fini par revenir en force pour mieux faire. Mathieu Kerekou, s’il était en vie, ne me donnera pas tort. Aussi, pour renaitre, ce qu’il peut, Joseph Kabila devrait d’abord changer l’homme qu’il voit dans son miroir chaque matin, en s’intégrant réellement au sein d’une société congolaise qu’il a toujours rejeté comme ensemble, et en prenant des décisions courageuses autour de lui. Bien sûr, Le Fondé a ici la prétention de mieux savoir qu’un homme qui a dirigé un pays aussi compliqué que le Congo pendant 18 ans. Aussi, je suis peut-être dans l’erreur. Mais je n’ose imaginé qu’il n’existe ne serait-ce qu’une ligne qui soit vraie à travers ce long texte et qui pourrait inspirer le maitre de Kingakati.
Quant au Congo, il aura toujours besoin de cet homme dont les qualités naturelles ont finalement été prouvées. Puisse-t-il seulement se corriger pour le service au mieux, étant-lui-même un passionné de cette nation qui reste totalement à construire. La meilleure décision du Raïs reste sans doute celle de s’exclure du processus électorale actuel, laissant Tshisekedi en finir avec les plus galeux des loups de l’ancien FCC. Si nous ne maitrisons tous jamais le temps, qui est l’autre nom de Dieu, nous pouvons néanmoins prévoir qu’en 2028, le Congo aura alors besoin d’un leader fort pour rebâtir sur la jachère que nous lèguera Tshisekedi, après sa dure labeur. Tel Jean le Baptiste qui trace les sentiers pour un Christ meilleur qui viendra après, Joseph Kabila aura décidément eu Félix Tshisekedi.
Litsani Choukran,
Le Fondé