La République démocratique du Congo se dirige tout droit vers les élections générales le 20 décembre prochain. Et comme d’habitude, un mois avant le scrutin, c’est le début de la campagne électorale qui s’annonce déjà houleuse. Nous avons bien évidemment en mémoire les campagnes présidentielles du scrutin de 2018 et 2011 avec leurs lots de polémiques.
Ce scrutin présidentiel risque d’être riche en rebondissement. Avec 26 candidats au départ, l’enjeu pour eux est bien sûr de remporter la magistrature suprême. Malgré cette ambition revendiquée par tous, au cœur de cette campagne, mieux de cette élection, plusieurs dynamiques seront à l’épreuve, manifestant ainsi l’asymétrie du jeu politique qui débute ce dimanche 19 novembre. C’est cette dynamique qui est étayée dans les lignes qui suivent.
Tshisekedi-Fayulu : le match retour
Candidat à sa propre succession, Félix Tshisekedi espère rempiler pour un nouveau mandat. Le fils du sphinx a donné le ton lors d’une interview sur RFI et France 24.
« Mais non ! » Ils peuvent amener les scénarii qu’ils veulent, unis ou désunis, ils ne m’inquiètent pas, ils ne font pas peur. J’ai confiance en mon bilan, nous avons fait des choses. Le Congo revient de loin, le Congo est sur une très bonne lancée et le peuple ne demande qu’à continuer sur cette lancée », a déclaré Félix Tshisekedi.
En terme du bilan, Félix Tshisekedi peut s’appuyer sur plusieurs réformes notamment au niveau de l’éducation avec la gratuité de l’enseignement de base ou la couverture santé universelle avec notamment la gratuité de la maternité. Bien que ces réformes rencontrent plusieurs vicissitudes dans sa mise en place.
De son côté, le candidat malheureux à la dernière présidentielle est bien évidemment de la partie. Même si ces soutiens d’il y a cinq ans sont soit passés du côté de l’Union sacré soutenant Félix Tshisekedi (le cas de Bemba et Mbusa Nyamwisi) soit sont candidats pour briguer la magistrature suprême (Katumbi et Muzito).
Le goût de la revanche de Martin Fayulu est consubstantiel à sa candidature à la présidentielle. Déjà au mois d’octobre, lors de sa tournée dans l’espace grand Bandundu, MAFA avait affirmé qu’il est le seul candidat unique de l’opposition et que les autres leaders ne peuvent pas prétendre à cela car « Il y en a qui parlent, mais qui sont des voleurs patentés qui ne peuvent pas être comparés à moi », avait-il dit.
En plus de cela, Martin Fayulu et sa coalition ne sont pas signataires à Pretoria de l’accord entre les leaders de l’opposition qui a abouti à la création d’une coalition « Congo Ya Makasi », devant permettre la désignation d’un candidat commun de l’opposition. Martin Fayulu tient à sa revanche par rapport au scrutin de 2018, va-t-il obtenir ce match, la suite de la campagne nous le dira.
Katumbi, Matata et Muzito : le triumvirat des anciens dirigeants en quête du Graal
À côté de deux candidats cités, il y a aussi un triumvirat des candidats qui ont pour point commun d’avoir participé à la gestion du pays durant le pouvoir de Joseph Kabila. D’abord Moïse Katumbi, ancien gouverneur du grand-Katanga, qui n’a jamais caché son ambition de briguer la présidence de la République depuis son départ de la MP (majorité présidentielle) de l’époque.
Cependant, le parcours de Moïse Katumbi n’a pas été un long fleuve tranquille entre ses déboires judiciaires dans l’affaire des mercenaires puis son exil et les doutes sur sa nationalité. Le natif de Kashobwe a tenu bon. Allier de Tshisekedi pour renverser le FCC de Kabila, Katumbi a ensuite montré ses griffes d’opposants à Tshisekedi.
L’ex-gouverneur du Katanga a l’avantage d’avoir une véritable machine politique derrière sa candidature. Il s’agit de son parti politique « Ensemble pour la République ». En plus de cela, Moïse Katumbi a le moyen financier pour rivaliser avec le pouvoir en place afin de battre campagne et espérer remporter les élections de décembre prochain.
De son côté, l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo, a comme Moïse Katumbi, le moyen de rivaliser avec la majorité au pouvoir. Cela se matérialise également avec son parti politique, le LGD (leadership, gouvernance et développement) qui a atteint le seuil de recevabilité en moins de cinq ans d’existence.
Le problème de Matata est sur un autre terrain, celui de la justice, après être trimballé entre la Cour constitutionnelle et la Cour de Cassation. L’affaire Bukanga Lonzo a finalement été prise en charge par la plus grande juridiction du pays et l’a renvoyé au mois de mars 2024. À ce tableau noir, l’ancien Premier ministre sous Kabila peut se targuer d’avoir instauré la bancarisation et que Congo Airways n’était pas encore le canard boiteux d’aujourd’hui ou même le stand des petits cercueils volants, comme dirait Félix Tshisekedi.
Adolphe Muzito qui fait aussi de la présidentielle son cheval de bataille, n’avait pas pris part aux joutes électorales de 2018 à cause d’un problème lié à sa candidature. L’ancien Premier Ministre a le mérite d’avoir mis en place deux plateformes politiques qui ont toutes atteint le seuil, il s’agit de « Mbonda » et de « Nouvel élan ». Il a donc un socle sur quoi s’appuyer. Mais le véritable enjeu pour l’homme des universités populaires sera sans doute de tâter le terrain pour voir ce qu’il vaut sur l’échiquier national.
Sesanga et Mukwege : les invités surprises du processus
Dans le lot des surprises au niveau des postulants à la présidence de la République, on retrouve deux candidatures, celles de Delly Sesanga et du prix Nobel de la paix, Denis Mukwege. Pour le premier, Delly Sesanga, figure de proue de l’opposition depuis de nombreuses années, député national et président du parti Envol, ne veut plus jouer le rôle du lieutenant comme il avait fait pour Félix Tshisekedi lors de la présidentielle de 2018, bien que sa coalition « Alternance pour la République » soutenait la candidature de Martin Fayulu.
Cet acte avait valu plusieurs critiques à Delly Sesanga. Mais ce choix s’est justifié sans nul doute par le fait que la province du Kasaï était considérée comme une forteresse imprenable acquise au Président de la République. Cependant après un quinquennat de Félix Tshisekedi au bilan discutable, le Kasaï ne peut plus être cette forteresse imprenable. D’où Sesanga estime avoir ses chances pour briguer la magistrature suprême ou au pire faire un bon score dans son fief électoral qu’il partage avec le Président sortant. Attendons le verdict des urnes.
Pour le deuxième, Denis Mukwege, sa candidature était longtemps évoquée par les observateurs de la vie politique avant que le Prix Nobel de la paix avalise sa candidature. L’initiateur de l’hôpital « Panzi » est soutenu par un regroupement des partisans de la société civile sous le label ACNR ( alliance des Congolais pour la refondation de la République).
Ainsi, Denis Mukwege, auréolé de son prix Nobel, accepte de descendre dans l’arène politique. Sa force est donc cette reconnaissance unanime d’un acteur de paix et d’un acteur social apte à diriger le Congo. Mais il aura devant lui, dans son fief du Sud-Kivu, deux rivaux de poids, Vital Kamerhe et Bahati Lukwebo qui soutiennent la candidature de Félix Tshisekedi. Ici encore, c’est aux urnes de trancher.
À côté de ces candidatures, on a dénombré plusieurs autres dont le sulfureux Noël Tshiani avec son projet de loi de « la congolité ». Il y a aussi Seth Kikuni, qui avait déposé une requête à la Cour constitutionnelle contre la candidature de Félix Tshisekedi. Il y a aussi les candidatures de deux femmes, Marie-José Ifoku ( présente en 2018) et Joël Bille qui se présente pour la première fois.
Ainsi, cette présidentielle est l’objet de multiples enjeux. Pour les uns, il s’agit de conserver le pouvoir, pour les autres, il s’agit de le conquérir. Pour d’autres encore, d’évaluer leur force ou emprise politique sur l’échiquier national. À présent, place aux urnes pour le verdict final. Que le meilleur l’emporte.