Le chercheur congolais Guelord Luema Lusavuvu désormais Docteur en droit public de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), constate qu’en Afrique subsaharienne, les constitutions sont sujet à modification selon les humeurs des tenants du pouvoir. Il va très loin en relevant que même les dispositions intangibles ne sont pas du reste.
Dans sa défense doctorale en vue de l’obtention du titre de docteur en droit public, ce chercheur a préconisé la création d’une cour constitutionnelle africaine qui devra rappeler les États à l’ordre, face aux intentions de la révisabilité des dispositions intangibles dans leurs constitutions.
« La création d’une cour constitutionnelle africaine va parer aux révisions intempestives des constitutions par les États», a argué Docteur Guelord Luema Lusavuvu. Il affirme que ce débat se pose avec acuité en Afrique, depuis l’avènement du néo-constitutionnalisme vers les années 1990.
«Cela à travers les clauses constitutionnelles limitatives du mandat présidentiel. À ce propos, il convient de noter que nombreuses sont les constitutions des États d’Afrique francophone (notamment celle de la République Démocratique du Congo, du Niger et du Sénégal) qui les inscrivent parmi les dispositions formellement intangibles. Dans d’autres États (c’est notamment le cas du Bénin), ces clauses sont rendues intangibles par la Haute instance constitutionnelle. Malgré l’intangibilité de ces dispositions de la loi fondamentale, certains dirigeants n’hésitent pas à envisager leur révision. Tel a été récemment le cas au Sénégal», a précisé Guelord Luema.
Pour cet auteur, en tant qu’organe constitué, le pouvoir de révision ne peut réviser des règles que le pouvoir constituant originaire a expressément exclues du champ ou du domaine de révision. Ce serait commettre un détournement de procédure. Ensuite, c’est le second fondement, il soutient que dans la mesure où les règles intangibles fondent la validité de l’acte de révision de la Constitution, l’opération de révision ne peut être valide lorsqu’elle porte atteinte à ces règles. C’est cette conditionnalité qui justifie d’ailleurs notamment le contrôle de constitutionnalité des révisions constitutionnelles. Mais il faut regretter, souligne-t-il, que l’office du juge constitutionnel n’est souvent pas effectif en la matière. C’est dire que malgré son statut de gardien de la Constitution, le juge constitutionnel est souvent inféodé aux pouvoirs politiques, laissant la Constitution à la merci des autorités politiques.
Ainsi face à cette banalisation de la loi fondamentale, il a proposé, au titre des mécanismes de protection de la Constitution, outre la revalorisation et la revitalisation de la justice constitutionnelle ainsi que la criminalisation des violations intentionnelles des dispositions intangibles, l’institution d’une Cour constitutionnelle africaine.
«Cette juridiction aurait pour mission de combler les lacunes du système de protection de la règle de droit constitutionnel et de l’ordre constitutionnel des États africains. L’objectif d’une telle instance serait essentiellement de garantir l’inviolabilité de la Constitution à travers un contrôle juridictionnel de constitutionnalité des actes juridiques des États
membres. Cette juridiction constitutionnelle régionale veillerait donc au respect et à la suprématie de la Constitution et de l’ordre constitutionnel des États membres. Elle serait à ce titre un véritable instrument au service de la protection du principe de l’État de droit démocratique et des droits fondamentaux de l’homme», a ajouté Guelord Luema.
À l’en croire, la Cour constitutionnelle africaine serait, contrairement à la Cour africaine des droits de l’homme et aux autres juridictions sous régionales africaines, une instance d’appel. À ce titre, elle connaîtrait des recours contre les arrêts et décisions du juge constitutionnel des États membres.
Garantie d’une bonne justice, estime-t-il, cette possibilité de recours à l’instance constitutionnelle régionale renforcerait l’autorité de la Constitution dans l’ordre juridique des Etats membres. Selon lui, l’autorité de la Constitution s’en trouverait consolidée en ce qu’à l’idée de voir leurs décisions annulées par la haute instance constitutionnelle régionale, les juges constitutionnels nationaux feraient montre de sérieux, de rigueur et d’impartialité. Cette garantie juridictionnelle réduirait ainsi les velléités de leur hyperpuissance.
Malgré l’intérêt que présente le projet de la Cour constitutionnelle régionale africaine, le chercheur congolais Guelord Luema reconnaît néanmoins que sa réalisation paraît, à l’instant, peu probable en raison notamment de l’attachement des États africains à leur souveraineté nationale.
Seulement, le chercheur ne s’interdit pas de réfléchir à haute voix. «Même si le rapport qu’entretiennent, ces dernières années, certains Etats membres de l’Union africaine avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, peut confirmer le scepticisme quant à l’avènement d’une Cour constitutionnelle africaine, le
moment n’est-il pas venu d’ouvrir au moins le débat sur cette question fondamentale du
néo-constitutionnalisme africain ? Ne faudrait-il pas réfléchir au changement de culture normative à la suite de l’instrumentalisation de la Constitution en Afrique ? Cela dans la mesure où cette culture normative est déterminante quant au respect des textes juridiques. Cela est d’autant plus vrai, car l’absence de culture constitutionnelle constitue l’une des causes principales de l’instrumentalisation de la loi fondamentale et de l’inflation de la fraude à la Constitution en Afrique», a conclu Guelord Luema.