Les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont placées depuis
trois (3) ans, sous état de siège, une mesure sécuritaire d’exception instaurée depuis mai 2021 par le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi.
Cette mesure particulière avait été décrétée dans ces entités politico-administratives afin de restaurer l’autorité de l’État perdue à la suite de la multiplication des violences dues à l’activisme des groupes armés aussi bien locaux qu’étrangers dans ces zones.
Ces provinces font face à une menace provenant d’une part des groupes armés locaux, nationaux et d’autre part des groupes armés étrangers, tels que les ADF, FDLR ou encore le M23.
Trois ans déjà, mais pour quel résultat?
« Le résultat est mitigé, depuis l’instauration de l’état de siège », a réagi Maître Pépin Kavotha, président de la société civile coordination de Beni à POLITICO.CD.
Selon lui, la situation a plutôt exacerbé depuis l’instauration de cette mesure que de l’améliorer.
« Ces trois ans sont marqués par des échecs malheureusement renouvelés par les autorités qui semblent remettre le sang dans une personne à l’agonie nécessitant d’autres solutions. Il n’y pas de résultat malgré le forcing », a-t-il déclaré.
Face à cette situation, ce dernier recommande la levée de cette mesure qui s’est axée sur la mobilisation des recettes de l’État plutôt que la restauration de la sécurité.
« Nos populations continuent à mourir et des entités récupérées par les rebelles sous l’état de siège. La population qui était rassurée lors de la proclamation de cette mesure est douloureusement déçue », a argué maître Pépin Kavotha.
Ce point de vue est appuyé par maître Ghislain Syausya, cadre d’Ensemble pour la République qui met en cause la responsabilité du régime au pouvoir.
« Nous avons vu un état de siège avec une visée beaucoup plus économique que sécuritaire. Cela était bien venté par le chef de l’État lui-même qui doit endosser ses responsabilités face à cet échec cuisant. Nous constatons que l’état de siège a œuvré beaucoup plus sur le plan économique que sécuritaire. Ce narratif a perdu gravement les objectifs assignés aux animateurs de cette mesure qui se sont concentrés sur la maximisation des recettes, dont le régime profite des dividendes », a-t-il déclaré.
A l’en croire, cette mesure a surchargé les militaires qui s’occupaient seulement des opérations, mais doivent contrôler désormais l’administration perdant de vue la question sécuritaire.
« On a surchargé les militaires qui ne s’occupaient que des opérations avec l’administration maintenant. Nous les voyons de s’occuper des célébrations de mariages, superviser de morcellements de terre, des inaugurations même dans le cadre privé par-ci par-là alors que la situation sécuritaire devrait être la principale préoccupation. Je pense qu’il faut arriver à lever l’état de siège pour laisser les militaires s’occuper de la sécurité et laisser les civils s’occuper de l’administration. Il y a du désordre dans cette mesure, et nous n’arrivons pas vraiment à donner un bilan positif à cet état de siège », a expliqué maître Ghislain.
A la base de l’échec
D’aucuns pensent que plusieurs acteurs s’attaquent aux conséquences, résumées par l’échec de l’état de siège qu’aux causes. L’analyste politique indépendant, Babah Mutuza pense que l’échec de cette mesure était d’ores et déjà auguré par l’impréparation qui avait caractérisée ses marques.
Pour lui, la responsabilité des hommes politiques prime sur celle des animateurs de cette mesure exceptionnelle, nommée, selon lui, sans les moyens et ambitions afin d’atteindre les résultats.
« Rien n’a marché avec cet état de siège. Les militaires qui dirigent ne sont pas responsables de tout parce que ce ne sont pas eux qui cherchent les moyens. Par contre se sont les politiques. Est-ce que les moyens sont donnés? Je ne crois pas. On n’a pas donné ces moyens et aujourd’hui quand on voit globalement tout le monde est d’accord que l’état de siège a montré ses limites et mérite d’être levé maintenant pour le remplacer par quelle autre mesure ? », s’est interrogé Babah Mutuza.
Il a proposé une levée progressive de cette mesure selon l’urgence qui se présente afin d’apaiser les esprits de la population qui veut tout simplement la levée totale.
« Pour moi, je crois qu’il faudrait lever progressivement l’état de siège. Par exemple, pour le Nord-Kivu, ce n’est pas le moment mais pour l’Ituri on peut y aller progressivement. Comme à Bunia, c’est calme on peut lever l’état de siège là-bas et poursuivre dans des zones où il y a l’accalmie. Au Nord-Kivu, je pense qu’on doit donner la dernière chance à l’état de siège, c’est-à-dire augmenter le nombre des troupes, les équiper correctement et leur donner un délai fixe. Moi je parlerais entre 3 et 6 mois avec les éléments nécessaires et leur donner des objectifs clairs. Si après ce temps-là l’on trouve que rien n’a avancé, on sera obligé de lever cette mesure. Mais la lever aujourd’hui au Nord-Kivu, c’est comme si on va laisser un trou noir qui va absorber tout et la situation va redevenir encore intenable parce que les M23 ont quand-même ouvert leurs fronts pour déstabiliser les FARDC qui étaient concentrés vers ce coin ici, ça il faut le reconnaître. Les militaires se plaignent que les moyens ne sont pas là et ils ne seront pas capables de traquer l’ennemi comme l’ADF. C’est à cause des questions organisationnelles que les choses n’évoluent pas », a-t-il proposé.
Malgré ce tableau sombre, l’armée a toujours révélé que c’est grâce à l’état de siège que la capacité de nuisance des ADF notamment à Beni et Ituri a été réduite, d’une part et la neutralisation de plusieurs terroristes ainsi que des leaders des mouvements armés dissous définitivement.
En dépit de ce bilan tant vanté, la situation empire au jour le jour, ce qui explique d’ailleurs les multiples contestations de la population exigeant la levée de cette mesure. Plusieurs officiers militaires se sont, d’après nos sources, préoccupés par les affaires notamment dans le cacao et le bois.