En janvier 2019, Joseph Kabila s’apprête à vivre une vie paisible après 18 ans mouvementés au pouvoir. Lui, qui a été arraché de sa jeunesse pour porter le poids d’une nation aussi grande qu’un continent, peut alors souffler, surtout après s’être allié à Félix Tshisekedi, son successeur. Mais l’homme propose, Dieu dispose.
De l’autre côté de la ville, à la Cour Constitutionnelle, Benoît Lwamba, alors président de la plus haute cour de justice en RDC, prépare une série d’actions judiciaires qui vont déstabiliser Kabila. En complicité avec les caciques de Kabila, notamment Kalev Mutond, le juge lance une vague d’invalidations de députés élus. Parmi eux, des cas dont les nouvelles parviennent rapidement à Kabila, au point de le choquer. Il s’agit du cas de l’avocat Raphaël Kibuka, initialement élu avec plus de 10 000 voix, qui est alors invalidé. « Même le président Kabila n’en revenait pas. Lwamba et Kalev avaient créé un tel désordre que le président était profondément dégoûté », rapporte un bras droit de Kabila à l’époque.
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Pour autant, aux yeux du public congolais, c’est Joseph Kabila qui serait le chef d’orchestre de ce désordre. En effet, alors qu’il quittait le pouvoir, son candidat de coalition, Emmanuel Shadary, arrivait à peine à la troisième position à l’issue d’une présidentielle largement dominée par l’opposition, dont Félix Tshisekedi était le vainqueur avec 38,57 %. Cependant, la coalition de Kabila, le Front commun pour le Congo (FCC), s’offrait étrangement 341 sièges sur les 500 de l’Assemblée nationale. Il était alors clair que Joseph Kabila et ses cadres s’étaient assurés de conserver une grande partie du pouvoir en contrôlant totalement le parlement, face à un Tshisekedi qui n’aurait alors que peu de manœuvre.
Néanmoins, la surprise de Kabila était sincère. D’autant plus que l’ancien président semble finalement avoir été dupé à son tour. En effet, ayant laissé à ses cadres le choix, il découvrira deux ans plus tard que ces derniers s’étaient en réalité servis de lui pour assurer leurs propres positions. En décembre 2020, contre toute attente, la majorité absolue du FCC, essentiellement composée de députés du parti de Kabila, le PPRD, le quittent pour rejoindre Félix Tshisekedi et former avec lui l’Union sacrée. « En somme, même Kalev finira par rejoindre Tshisekedi, lui qui avait choisi députés, sénateurs et même gouverneurs en faisant croire à Kabila qu’ils étaient des grands fidèles », explique un proche de l’ancien président à POLITICO.CD.
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Une fois intégrés dans l’Union sacrée, les anciens Kabilistes deviennent des farouches défenseurs du nouveau président, Tshisekedi. Certains sont même pourvoyeurs de « tracasseries » vis-à-vis de Joseph Kabila, alimentant une guerre farouche entre l’ancien et le nouveau président, qui n’aura jamais cessé à ce jour.
« Ces gens n’ont jamais servi qui que ce soit »
Joseph Kabila est arrivé au pouvoir en 2001, à peine âgé de 29 ans. Novice, l’ancien président doit alors se mettre sous l’aile des « tontons », des compagnons de son père qui maîtrisaient la scène politique et qui l’aideraient à mieux gérer le pays. En tout cas, en apparence. Car si Laurent-Désiré Kabila est arrivé au pouvoir avec une nouvelle génération de politiques, il a cependant essentiellement recyclé dans le Mobutisme, un système politique qui a conduit l’unique Maréchal de l’histoire du pays dans les abîmes au point de le survivre après sa chute en 1997. Ainsi, aux côtés de Joseph Kabila, ils ont troqué leurs tuniques pour celles du PPRD qu’ils créeront juste après. « Ils ont une capacité de réadaptation incroyable. Il suffit de suivre les parcours des gens comme Atundu, Kin-Kiey et consorts. Ils sont les premiers à soutenir un président dans toutes les dérives et sont également les premiers à le quitter », explique ce proche de Joseph Kabila.
Quand ils ne quittent pas un président pour un autre, ils suivent la trajectoire de Moïse Katumbi. Richissime ancien gouverneur du Haut-Katanga, il est accusé de corruption et fraude douanière en 2015. C’est exactement le même moment qu’il choisit pour claquer la porte du parti de Kabila et se positionner en opposant. En coulisses, c’est surtout son ambition de succéder à Kabila qui guide ses actions. « Lorsqu’il a compris que Kabila ne le désignerait jamais, il a alors préféré l’affronter », explique notre source.
Avant les élections en 2018, le Congo a également contemplé la meute œuvrer autour de Joseph Kabila. Aubin Minaku, président de l’Assemblée nationale, et Augustin Matata, Premier ministre à l’époque, vont tout faire, y compris entrer en conflit l’un avec l’autre, pour que Joseph Kabila les désigne comme son dauphin. « Aubin Minaku était même sûr que Kabila allait le désigner comme dauphin qu’il n’a même pas pris la peine de déposer sa candidature à la députation nationale », explique Litsani Choukran, éditorialiste et fondateur de POLITICO.CD. Alors, quand Joseph Kabila quitte le pouvoir, la meute applique sa recette habituelle et rejoint Tshisekedi.
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Depuis 2020, les anciens Kabilistes forment la coalition de l’Union sacrée autour de Félix Tshisekedi. Le nouveau président, ne pouvant pas diriger sans majorité présidentielle, est obligé de s’appuyer sur ces « fins connaisseurs » de la scène politique pour organiser le pouvoir pour lui. Cependant, le président congolais, qui a été réélu avec plus de 73 %, est à son dernier mandat. Et avant même qu’il ne commence la gouvernance de son dernier mandat, la coalition autour de lui se met déjà à rechercher sa survie, au risque de plomber l’espoir du président congolais de « corriger les erreurs du passé », alors que son premier mandat a été largement décrié.
En effet, cela fait plus de quatre mois depuis sa prestation de serment. Le présidium de l’Union sacrée, composé de Christophe Mboso, Modeste Bahati, Jean-Michel Sama Lukonde, Vital Kamerhe et Jean-Pierre Bemba, ne se montre pas motivé à accélérer les processus politiques, notamment pour la mise en place du gouvernement. À l’Assemblée nationale, le groupe s’est illustré la semaine dernière en désignant des candidats qui témoignent visiblement de leur volonté à avoir, chacun, une mainmise sur le pouvoir durant les prochaines échéances.
Mboso, qui a été battu aux primaires du pouvoir pour le poste de président de l’Assemblée, s’est permis de candidater comme deuxième vice-président, tandis que Bemba a préféré envoyer la candidature de sa propre sœur. Modeste Bahati a envoyé la candidature de son fils, pendant que Vital Kamerhe est lui-même candidat à la présidence, séchant ainsi une présence au gouvernement. « Il est clair qu’ils sont tous déjà dans l’après-Tshisekedi. Ils font déjà des calculs pour se positionner et attendre gentiment les cinq ans passés, s’offrir des moyens pour la campagne et se lancer au moment opportun », explique Litsani Choukran.
Les manigances pour la succession
Vital Kamerhe avait un accord signé à Nairobi en 2018 qui exigeait au président Tshisekedi de soutenir sa candidature à la présidentielle après un mandat. Non seulement cet accord n’a pas été respecté, mais Kamerhe s’est retrouvé en prison, avant d’être réhabilité. Maintenant que le président Tshisekedi entame son dernier mandat, Kamerhe se positionne à la tête de l’Assemblée nationale afin de mieux préparer sa candidature en 2028, où il exigera sans doute au président Tshisekedi de le soutenir.
Libéré par la CPI après plus de 10 ans de détention, Jean-Pierre Bemba a été privé de présidentielle en 2018 par une disposition de la loi électorale brandie par la coalition de Joseph Kabila à l’époque, le rendant inéligible. Néanmoins, cette disposition a été démantelée. Aujourd’hui à la tête du ministère de la Défense, Jean-Pierre Bemba rêve déjà de la présidence de 2028 où il se prépare en positionnant notamment sa propre sœur Caroline Bemba au Bureau de l’Assemblée.
Modeste Bahati a été privé de la présidence du Sénat par Joseph Kabila, ce qui avait déclenché son départ du FCC. Il finit par devenir président du Sénat aux côtés de Tshisekedi, un poste qui, selon la constitution de la RDC, faisait de lui le successeur du président en cas d’empêchement. Aujourd’hui, alors qu’il ne peut plus se présenter à ce poste au Sénat, il cherche à consolider ses arrières afin, lui aussi, de se préparer à succéder à Tshisekedi. Il a par exemple désigné son propre fils Serge Bahati au Bureau de l’Assemblée avant de faire marche arrière après un tollé.
Jean-Michel Sama Lukonde, bombardé par surprise comme Premier ministre sous Tshisekedi, a pris goût au pouvoir. Il se met donc à rêver de la succession de Tshisekedi en 2028. Il vise aujourd’hui la présidence du Sénat. Quant à Christophe Mboso, c’est assez simple. Devenu président de l’Assemblée nationale par miracle en 2020, du fait de son âge, il y a pris goût et cherche à tout prix à rester dans le sillage. Contrairement aux autres, sans avoir autant d’ambition, il veut surtout peser sur les prochaines échéances.
De son côté, Augustin Kabuya est l’électron libre. Sans ambition, il monnaye tout ce qui peut l’être autour de sa position et de son influence, tant auprès du président Tshisekedi que de la veuve d’Etienne Tshisekedi, Marthe Tshisekedi, qui jouit d’une grande influence au sein de l’UDPS.
Cette situation démontre que tout le présidium de l’Union sacrée n’est pas inscrit dans la logique d’aider Félix Tshisekedi à réaliser ses promesses électorales. Bien au contraire, comme avec Joseph Kabila durant ses derniers jours au pouvoir, cette coalition politique se prépare à survivre une énième fois au président qu’elle pense déjà sur le départ.
Le reste de l’Union sacrée est aussi dans une logique simple: s’enrichir en se positionnant et survivre à Félix Tshisekedi quand il quittera le pouvoir en 2028. Le même procédé qu’ils ont utilisé avec Kabila. Pour autant, comme Joseph Kabila, Félix Tshisekedi semble être spectateur impuissant de cette manigance autour de lui. Cinq mois après sa réélection, le président ne semble ni pressé de changer les choses, ni motivé à secouer son entourage. Le cabinet présidentiel n’a jamais été réaménagé et le gouvernement est bloqué par les calculs du présidium de l’Union sacrée.