Relations publiques, lobbyistes, cybercampagnes, trolling… la longue liste des rouages stratégiques auxquels recourt le Rwanda —le principal agresseur de la République démocratique du Congo— pour maintenir son influence en Occident a été mise à découvert par une enquête menée par Forbidden Stories avec 17 médias internationaux dont POLITICORDC.COM a eu accès.
Forbidden Stories —un réseau de journalisme collaboratif consacré à la poursuite du travail des journalistes réduits au silence à travers le monde— a révélé, mardi 28 mai, que le Rwanda a eu recours aux services d’au moins une douzaine d’agences de relations publiques et de lobbyistes aux États-Unis et au Royaume-Uni, afin de contrôler l’image du pays en Occident.
Dans le cadre du projet « Rwanda Classified », Forbidden Stories a collaboré avec 50 journalistes de 17 médias dans 11 pays pour révéler les rouages de la stratégie d’influence aux ramifications qui s’étendent jusqu’en Europe et en Amérique du Nord, où se croisent plus d’une douzaine d’agences de relations publiques, des lobbyistes américains et, possiblement, un groupe d’opérations psychologiques israélien.
Du harcèlement systématique
Les stratégies d’influence mises en place par le régime de Kigali pour maintenir son image dans les pays de l’Occident n’étaient pas un secret pour un scientifique, expert dans les études sur les régimes autoritaires.
« Voici un petit pays –aux ressources relativement faibles– apparemment capable de s’en prendre à ses dissidents et ses opposants à l’étranger avec un niveau de précision et une coordination logistique assez remarquables », constatait déjà Alexander Dukalskis, professeur à l’Institut de politique et de relations internationales de l’University College de Dublin, contacté par Forbidden Stories.
Un autre témoin, qui connaît bien les méthodes de Kigali lorsqu’il s’agit de discréditer ses détracteurs, est une journaliste d’investigation au nom de Michela Wrong. Cette dernière a travaillé avec Forbidden Stories dans le cadre du projet « Rwanda Classified » et est l’autrice de Do Not Disturb , une enquête sur le Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Paul Kagame. Depuis la sortie de son livre, elle ne compte plus les attaques de trolls dès qu’elle rédige un tweet ou fait une conférence sur le Rwanda.
« Il y a un harcèlement permanent qui vient de Kigali, et ce n’est pas innocent, ce ne sont pas des citoyens ordinaires », alerte Michela Wrong dans une interview pour la RTBF, partenaire de Forbidden Stories qui poursuit: « C’est organisé, c’est systématique, et cela vient du régime lui-même».
Michela Wrong a été sujette aux signalements massifs de ses pages sur les réseaux sociaux et, qui plus est, a reçu des intimidations avant chaque prise de parole publique, partout dans le monde. À Bruxelles, par exemple, elle a reçu, l’an passé, des coups de SMS couplés d’individus malveillants devant le restaurant où devait se tenir un débat politique en sa présence. Ceci a poussé les organisateurs à annuler l’événement, qui sera finalement déplacé dans un autre lieu à la dernière minute.
« C’est un phénomène d’envergure mondiale. Je n’en revenais pas qu’ils m’aient poursuivie jusque là », estime Wrong lorsqu’en mai, elle s’est rendue en en Nouvelle-Zélande pour le lancement de son livre et où elle a de nouveau été inondée de tweets l’accusant de racisme et de parti-pris avec le hashtag #RacismIsWrong.
Cybercampagne
Après avoir eu accès à une note anonyme d’une source au sein d’un service de renseignement, Michela Wrong a appris que la cybercampagne qui la visait avait mené les enquêteurs jusqu’à Chelgate, une agence de relations publiques basée au Royaume-Uni et connue pour ses services de gestion de la réputation. À l’en croire, une équipe d’employés de Chelgate a participé à son harcèlement sur les réseaux sociaux, en rédigeant au moins un commentaire sur la page Amazon de son livre et en signant une pétition Change.org, entre 2021 et 2022. Ce que dément un employé de Chelgate.
Poursuivant cette enquête, Forbidden Stories a découvert que dans certains cas, les employés de Chelgate auraient bénéficié d’avantages pour leur participation aux cybercampagnes présumées de l’agence. En 2021, le Rwanda a invité cinq salariés de Chelgate à la COP26 à Glasgow. À ce jour, un ancien employé de Chelgate, Harry James Burns, correspond avec une adresse électronique provenant du Cabinet du gouvernement rwandais.
Toujours dans la quête de promouvoir son image à l’international, le Rwanda, en plus de Chelgate, a eu également recours à une petite armée d’agences de relations publiques et de sociétés de marketing comme en témoigne les dossiers du Foreign Agents Registration Act (FARA), qui oblige les agents représentant les intérêts de puissances étrangères sur le sol américain à se déclarer auprès des autorités. Ces documents, accessibles au public, révèlent les efforts constants et les moyens conséquents mis en œuvre pour contrôler l’image du régime rwandais à l’international.
Michelle Martin, l’un de ses lobbyistes, avoue qu’elle aurait était été embauchée pour « cartographier les réseaux transnationaux » des exilés rwandais et « présenter ses conclusions et analyses lors de conférences au niveau mondial ». Il a ensuite été appelée à la barre des témoins dans le procès intenté contre Paul Rusesabagina, l’ancien directeur de l’Hôtel des Mille Collines, qui a sauvé la vie de quelque 1 200 Tutsis lors du génocide, devenu opposant au régime.
Au tribunal, Michelle Martin a présenté des emails provenant de la fondation de M. Rusesabagina et les a utilisés pour monter un dossier contre lui. Une autre agence, W2 Group Inc, était payée 50 000 dollars par mois pour « réfuter » l’image d’un Rwanda « défaillant », dénoncée pardes ONG comme Human Rights Watch critiquant la répression menée par Kigali dans le monde. « Sa société n’avait pas été chargée de démentir certaines critiques, mais s’était vu confier des compétences élargies pour augmenter la couverture médiatique positive afin de contrer la presse négative et les critiques issues de la diaspora », se confie à Forbidden Stories Larry Weber, le PDG de W2 Group Inc, à défaut de n’avoir pas joint Michelle Martin, étant en congé maladie en ce moment.
Le trolling pour menacer les opposants rwandais en exil
Visiblement, rien ne peut être un obstacle pour le Rwanda lorsqu’il s’agit de veiller sur son image et jeter de l’opprobre sur tout celui ou tout ce qui veut s’opposer à lui. Toujours selon cette enquête, en 2023, des opposants présumés au gouvernement rwandais ont été tagués dans des tweets dont ils étaient la cible. Parmi eux figuraient Inkingi Placide Kayumba, dirigeant de la FDU, une coalition de groupes d’opposition rwandais en exil, deux experts européens du Rwanda et des membres de Jambo News, un média basé en Belgique opéré par des éxilés Rwandais depuis la Belgique. Nombre d’entre eux, dont Placide Kayumba, Charles Onana, qui a écrit sur le Rwanda, et Jambo News ont été accusés de négation du génocide. Des accusations reprises par les trolls sur les réseaux sociaux, de manière à discréditer ces opposants exilés.
« Le Trolling crée un sentiment permanent de terreur. Le but est de vois rendre parano et, ainsi, de vous réduire au silence », explique notre journaliste Wrong. Mai 2023. petit nombre d’utilisateurs de X (ex-Twitter) se sont mis à poster le hashtag #StopTutsiGenocideDenial.
« N’oublions jamais que des associations comme @jamboasbl, dirigées par des gens comme [Natacha Abingeneye, affiliée à Jambo ASBL] et [Placide Kayumba] nient toujours les horreurs qu’a vécu le #Rwanda en 1994 », peut-on lire dans le post d’Adam Kovacs, dont la photo de profil montre un homme blanc, barbu et torse nu affublé de lunettes de soleil rectangulaires. « Comment pouvez-vous regarder vos enfants en face ?!?!?!!? »