Dix-huit ans au pouvoir (2001-2019), Joseph Kabila Kabange, 53 ans et quatrième président de la République démocratique du Congo (RDC) est souvent caricaturé par beaucoup comme l’incarnation du mal. En commençant à partir de sa précoce prise de pouvoir, sa « vraie personne », Colette Braeckman a retracé le récit de la relation qu’elle entretenait avec le président qu’elle a le plus interviewé en Afrique centrale. Et les témoignages sont autant surprenantes que bouleversantes sur l’image que la plupart des gens se font de l’ancien président congolais.
Grand reporter au service international du quotidien généraliste belge, Le Soir, pour lequel elle a couvert les grands conflits et drames du monde et plus particulièrement l’actualité de l’Afrique centrale, du Rwanda, du Burundi et surtout de la RDC, Colette Braeckman a accordé samedi une interview à Top Congo à Bruxelles où le média a délocalisé son studio pour tourner une série d’émissions.
Un jeune homme au visage de pierre
La journaliste de 78 ans raconte d’abord sa première rencontre avec le président congolais alors âgé de 29 ans qui vient de prendre le règne du pays, succédant à son père Laurent-Désiré Kabila, mort assassiné le 17 janvier 2001 dans son bureau à Kinshasa. La journaliste belge dépeint la mine d’un jeune homme ferme et qui ne laisse filtrer aucune expression.
« Je ne le [Joseph Kabila] connaissais pas, je le reconnaissais de réputation. J’étais à l’aéroport au moment où l’avion s’est posé et j’ai vu un homme jeune, serré dans son uniforme et un visage absolument de pierre qui ne montrait aucun sentiment, qui a traversé. Et on m’a dit c’est le fils [de Laurent-Désiré Kabila], il est revenu du Katanga… et il y avait des soldats zimbabwéens qui le protégeaient », raconte Colette Braeckman.
À l’en croire, c’est une ou deux semaines après cette première rencontre qu’elle a été emmenée à le rencontrer de nouveau. Cette fois c’est après avoir demandé une interview avec le jeune président qui venait de prêter son serment. « Je suis allé à Kinshasa et j’ai eu la chance de faire la première grande interview de Joseph Kabila. Et là dans un bureau très simple, avec des meubles, des chaises tellement modestes, je me trouvais devant un jeune militaire avec un visage de marbre, aucun sentiment transparaissait et là ce sont mes sentiments à moi qui ont pris le dessus », reconnaît la journaliste.
La glace se fond
« Je connaissais son père, poursuit-elle, moi je regrettais encore que son père ait disparu de cette façon là. Et je n’ai pas réfléchi et c’est venu comme ça spontanément et j’ai dit : « Monsieur le président, on est ici pour une interview et avant même de vous poser la première question je dois vous exprimer mes sincères condoléances parce que je connaissais votre père et j’avais de l’estime et de l’affection pour lui. Je veux simplement vous le dire et après on peut passer à l’interview. » »
C’est après avoir entendu ces paroles de condoléances que le visage de marbre de Joseph Kabila, qui ne laissait filtrer aucun sentiment, « se fissurait comme un bloc de glace ». Selon elle, le président était touché et c’était juste un sentiment d’humanité.
Quelqu’un qui s’exprime posément en français
Durant son mandat, le président Kabila a reçu de tonnes de critiques en général peu constructives. On lui a parfois attribué l’assassinat de son père, on l’a traité d’étranger – de Rwandais – et ses détracteurs appuyaient leurs arguments sur un aspect linguistique car l’ancien chef d’État congolais maîtrisait parfaitement l’anglais et le swahili au détriment de lingala et de français, langues les plus parlées à Kinshasa.
Mais Colette Braeckman confirme une réalité paradoxale à ce qui est propagé dans le commun de mortel. Une réalité qu’elle a elle-même vécu le jour de cet entretien avec le jeune président : « On est passé tout de suite en interview qui s’est déroulée en français avec quelqu’un qui s’exprime posément, lentement en pesant ses mots et qui disait des choses pondérées et intelligentes, qui tenait compte de la situation. »
« Et là quand je suis sorti, dit Braeckman, mes collègues journalistes congolais étaient un peu jaloux en disant « ah tu as eu l’interview de Joseph Kabila, il parlait en quelle langue, il paraît qu’il ne parle pas français ». Mais je me suis dit, pas du tout. Toute l’interview s’est déroulée en français. Et j’ai rédigé le texte et là y a encore des collègues qui disent » c’est pas vrai c’est toi qui as rédigé des questions et des réponses ». J’ai sorti mon enregistreur et il parlait parfaitement français mais d’une façon réfléchie, mesurée, en pesant ses mots, ce qui était normal.
« Celui qu’on ne contrôle pas, on doit le caricaturer »
Poursuivant son récit, la septuagénaire journaliste a confié que cette première interview a été le début de sa relation avec le jeune président. Même à l’Europe, le doute persistait au sujet du contenu de l’interview, particulièrement sur les paroles de Joseph Kabila. D’après elle, tout le monde n’en revenait pas qu’il ait dit ce qui y était dit. « En Belgique on a été étonné parce qu’il y a des gens, comme Louis Michel à l’époque, qui me disait mais « il est bon ce garçon, il dit des choses tout à fait posées, respectables… il vous a vraiment dit tout ça ? ». J’ai dit ben enfin, vous voulez écouter la cassette ou quoi ? Bien sûr qu’il l’a dit. Donc c’était vraiment un témoignage qui le valorisait, qui disait ce qu’il était réellement », témoigne Colette Braeckman.
En ce temps-là, le grand reporter était désapprouvé sur la désinformation qui gravitait autour de la personne de Joseph Kabila, des gens qui le traitaient péjorativement de « très jeune », qu’il parlait mal français et passait ses nuits à jouer aux jeux sur internet. Elle affirmait le contraire.
« Moi je disais que vous êtes à côté de la plaque, cet homme est intelligent, moi je l’ai interviewé, ce qu’il dit est tout à fait raisonnable et sensé. Je me disais que quand il s’agit de l’Africain, celui qu’on ne contrôle pas, on doit le caricaturer. C’était comme ça avec le père, c’était comme ça avec le fils, on ne le contrôle pas, on ne lui dit pas ce qu’il a dit de dire et là il faut lui donner une image caricaturale et méprisante. C’est ça le post-colonialisme, ça m’énerve jusqu’aujourd’hui », a révélé Collette au micro de nos confrères.