Il y a encore près de vingt ans, seule la plus huppée commune de la Gombe centre-ville et siège des institutions du pays – comptait une petite poignée de supermarchés voire des supérettes. En ces jours, même les communes de la banlieue kinoise abritent au moins un supermarché. Au regard de cette croissance impressionnante, que reste-t-il des marchés traditionnels ? – Décryptage.
Après une décennie d’hégémonie de la chaîne sud-africaine Shoprite qui a baissé ses rideaux fin novembre 2022, tout portait à croire que ce secteur tombait en ruine. Mais rien que pendant les trois mois qui ont suivi la fermeture de cette grande marque sud-africaine, ce secteur a soudainement prospéré de plus belle. Des grandes surfaces ont poussé comme des champignons dans chaque coin de la capitale congolaise, Kinshasa. Kin Marché, Maison Galaxy, GGMart, SK, Swiss Mart, Food Market, Kin Mart – pour ne citer que ceux-là – sont devenus des principaux temples de la consommation de la ville de Kinshasa détenus pour la plupart par les expatriés indo-pakistanais, chinois et indiens.
En marge de cette montée fulgurante de nombre de supermarchés dans la ville, que dire de la survie des marchés traditionnels kinois ? Avec ses plus de 15 millions d’habitants, le quotidien de la majorité des habitants de la ville de Kinshasa vit des marchés traditionnels. Le grand marché de Kinshasa, Gambela et le marché de Liberté, sont parmi les concentrations économiques qui alimentent le vécu des Kinois. Ici, grossistes, détaillants ou encore des vendeurs ambulants communément appelés « Chayeurs » se démènent au quotidien afin de subvenir aux besoins primaires des leurs.
« Ils vendent tout »
« Au prix du grand marché », tel est le slogan de l’un des plus prolifiques supermarchés de la capitale, bien connu sous le nom de « Kin Marché ». Cette devise sous-entend que les clients n’ont plus besoin de se rendre au grand marché. Ils ont des produits bien emballés juste à quelques pâtées de leurs maisons.
« Ils vendent tout ! », a pesté au micro de POLITICO.CD Pélagie Mbongopasi, une vendeuse des légumes dans le marché de Matete, sud de la ville, avant d’enchaîner : « Oui quand je dis tout je veux dire : légumes, céréales, pâtes, fruits, viandes, des mets traditionnels… bref tout ingrédient qui constitue les menus culinaires kinois que vous pouvez connaître. Ils vendent même des chewing-gums ».
Dans le troisième pavillon du marché de Matete, Pélagie occupe un espace qui fait 2 m² environ. Sur son étalage, en voyageant les yeux, on voit piment, poivron, tomate, sel, choux, oignons… c’est sa petite entreprise. C’est avec ça qu’elle nourrit sa maisonnée, ses deux filles et son mari qui est au chômage depuis quelques années. Si elle ne vend pas, il n’y a pas de souper pour ses deux petites et leur père. Dans sa tête, l’une des pensées prédominantes : la montée rapide de nombre de supermarchés qui est venue compliquer sa situation économique. « Avant, lorsque nous controlions le marché, tout allait bien. Je pouvais vendre entre 150.000 et 200 000 FC (entre 50 et 55 dollars américains) au quotidien. Mais maintenant j’atteins la moitié de ces chiffres que rarement», raconte la vendeuse qui ajoute que certaines familles aisées venaient régulièrement s’approvisionner en légumes chez elle. Chose qu’elles ne font presque plus.
Des « malewa » menacés ?
Du foufou, du pondu (feuilles de manioc), du gombo, du fumbwa (feuilles des gnètes), de la patate douce, de l’oseille, du haricot, du riz, du chinchard – communément appelé « mpiodi » ou « thomson » – voici quelques plats communs que vous ne manquerez jamais de rencontrer dans les restaurants kinois, surtout dans les gargotes vernaculairement appelées « malewa ». Cependant, vous ne manquerez pas non plus de voir les mêmes mets chez SK, Kin Marché ou encore chez Food Market au prix concurrençant le marché traditionnel.
« Parfois je me demande si je ne devrais pas carrément changer de métier», s’importune Sylvie Kapita, détentrice d’un restaurant de fortune « malewa » à côté d’un supermarché dans la commune de Lemba, sud de la capitale. « Je devrais vraiment songer à aller voir ailleurs. Parce que je pense que l’ampleur dont on jouissait a dégringolé», s’avise-t-elle.
Comme Pélagie, Sylvie, cinquante ans, constate que sa petite entreprise est menacée depuis l’arrivée du supermarché. «Je vends mais pas comme je le faisais il y a quelques années. Maintenant je ne compte que sur mes clients les plus fidèles. Ça fait près de quinze ans que je suis dans ce commerce. Je peux vous assurer que diminuer ma production ne m’a jamais traversé l’esprit. Et pourtant ça fait des mois que je ne produis pas la même quantité qu’avant », confie la gargotière qui se dit être dans l’embarras de délocaliser son entité.
Les supermarchés se distinguent par leurs qualités des services qu’ils proposent. La mentalité des Kinois commence de plus en plus à se tourner vers le luxe. Au compteur, la capitale de la RDC avoisine déjà la centaine de supermarchés ou hypermarchés. Et la moitié de ce lot a été atteint en moins de cinq ans. Avec cette allure, d’ici horizon 2030, la ville sera surpeuplée de ces «supers marchés», adversaires des marchés traditionnels.