Commençons par la petite histoire. La tradition des «100 jours» des présidents, vient des États-Unis et commence avec le président Franklin D. Roosevelt qui, pour la première fois, évoque la notion des 100 jours d’un président.
La grande crise due au crash boursier de 1929 paralysait encore le tissu socio-économique de l’Amérique de l’époque lorsque Franklin accédait au pouvoir et, pour lui, il était urgent d’agir. Ainsi, Roosevelt, le nouveau Président, lancera ce qu’il appellera lui-même le «New deal» tout en demandant à être jugé 100 jours plus tard.
Depuis cet épisode de l’histoire des États-Unis, la Vème République, en France, a récupéré, à nouveaux frais, l’idée qu’un président dispose de 100 jours utiles pour agir et faire ses preuves. Et donc, les 100 jours, c’est l’idée qu’on élit un homme providentiel, un magicien à la tête du pays qui doit mettre en œuvre son action au plus vite pour être efficace en résolvant, en claquement des doigts, tous les problèmes passés, présents et à venir.
Pour rappel, dans l’imaginaire politique français, la période des 100 jours concerne le président de la République. C’est en effet le président qui est élu par les citoyens et ce qu’on appelle «les 100 jours» correspondent à ses premiers pas en tant que chef de l’État et à la mise en œuvre du programme pour lequel il a été élu.
Le Premier ministre, lui, n’est pas élu. Il est nommé par le président et en ce sens, il n’a pas de réelle autonomie. Il n’y a par conséquent pas vraiment lieu de dresser le bilan d’une action qu’il ne décide pas lui-même. Mais dans notre cher pays, des « nyosologues », non autrement identifiés, ont décidé, par mimétisme ou singerie, de copier/coller la notion de 100 jours pour pécher par généralisation. Ainsi, toute honte bue, on est passé par les 100 jours du Président, à ceux du Premier Ministre, d’un Ministre d’Etat, d’un Gouverneur, d’un bourgmestre, d’un chef de Quartier, d’un chef de rue, d’un caporal, etc. Qu’à cela ne tienne ! C’est l’esprit du temps.
Les « 100 jours », un baromètre réaliste sacro-saint applicable partout ?
Dans les pays originaires de cette tradition, certains dirigeants, pour le moins, réalistes, ont refusé de danser ou de régler leur pas au rythme de ce mythe comme baromètre.
François Hollande, avait déclaré vouloir s’extraire de ce mythe des 100 jours. Il voulait être un président normal qui inscrit son action dans le temps long. Et Emmanuel Macron, de la même manière, en 2017, avait dit ne pas croire à la «théorie des cent jours» au début d’un mandat.
« Tout cela ne sera pas achevé au cours des 100 premiers jours, ni au cours des 1000 premiers jours, ni pendant le mandat de ce gouvernement, et ni peut-être même de notre vivant sur cette planète. Mais allons-y, commençons », avait déclaré John Kennedy dans son discours d’investiture en 1961.
En 2008, avant même d’être élu, Barack Obama a fait valoir dans une entrevue qu’il faudrait probablement attendre que passent 1000 jours avant de juger son travail. Le président Trump avait tweeté, à l’issue de ses premiers moi que peu importe ce qu’il a accompli durant ce « standard ridicule des 100 premiers jours, et ça a été beaucoup », les médias vont se déchaîner.
Un mythe de l’imaginaire politique français qui crée de nouvelles stars des débats politiques au Congo Kinshasa. Si en Occident, pour ne citer que les Etats-Unis et la France sous la Vème République, cette notion de « 100 jours » trouve son enracinement dans la tradition historico-politique des gouvernants, quel en est le fondement historique, politique et/ou idéologique, en République Démocratique du Congo ?
Le décompte des 100 jours pour apprécier la proactivité et l’efficacité d’un chef de Gouvernement, un mythe venu d’ailleurs et avalé les yeux fermés par les « nouveaux intellos », fait le bonheur de plusieurs acteurs politiques en mal de positionnement discursif et en quête d’un peu d’épaisseur dans les débats publics.
Depuis quelques semaines, plusieurs «experts politiques en Suivi-Evaluation» font du tourisme médiatique pour monter au créneau et exiger au Gouvernement Suminwa un bilan des réalisations de son premier trimestre au nom de la tradition politique des 100 jours.
Est-il intelligent et réaliste, dans un pays aux dimensions continentales, aux défis immenses et complexes et au mal si profond, d’adopter une telle posture ? Excepté si l’on a pris l’habitude de se délecter, dans le passé, des écrans de fumée et des actions gouvernementales à titre cosmétique, pour ne pas parler de saupoudrage.
D’aucuns le savent, l’on a vu dans ce pays des chantiers de hautes facture lancés avec faste mais sont inachevés jusqu’à ce jour ; des réseaux routiers construits à la six-quatre-deux, puis inaugurés pompeusement mais qui n’ont même pas fait semblant de résister à la première pluie.
Aux grands maux, de grands remèdes et qui veut aller loin, ménage sa monture, dit-on.
Demander au Gouvernement Suminwa de résoudre efficacement et durablement les problèmes majeurs de la RD Congo, c’est aussi lui demander de prendre le temps d’étudier en profondeur et d’identifier les vrais problèmes pour des solutions idoines, sans populisme ni agitation. C’est donc lui demander de se hâter lentement. Car, pour le Gouvernement Suminwa, conscient la responsabilité qui lui incombe, la finalité de son action n’est pas d’offrir à tout prix des solutions de pacotilles censées calmer le fourmillement des pourfendeurs quitte à se ranger dans l’étroitesse du délai des 100 jours, mais plutôt de proposer aux citoyens congolais et pour la postérité, qui méritent mieux, des solutions durables dans le temps. Et pour cela, il faut du temps.
Il faut un peu de ce temps accordé ou à accorder aux études et aux états des lieux préalables pour mieux agir plutôt que de ce bout de temps barométrique des 100 jours tiré de la mythologie française des temps modernes.
Pour relever les défis présents du pays en menant à bon port et avec jusqu’au-boutisme son programme d’action, le Gouvernement congolais a élaboré un projet de budget conséquent et l’a soumis à l’approbation du Parlement. En attendant les moyens de sa politique un grand travail souterrain poursuit son bonhomme de chemin.
Faut-il rappeler que la Primature n’est pas une chaine de télévision pour que tous les faits et gestes professionnels de ses membres allaitent le voyeurisme de certains organes de presse morbide et angoissés pour leur croissance et dans une quête inquiète derrière les scoops. C’est humainement compréhensible. Mais sur le cas échéant, il s’agit d’un pétard mouillé, si pas un ballon de baudruche. Il faut attendre une autre fois : c’est sage. Sage, non pas de dire tout ce l’on pense, mais plutôt de penser tout ce que l’on dit.
Franck Bruce Trand, Politologue et Communicologue