Si la justice congolaise a déjà rendu l’âme, les États Généraux, grand-messe convoquée à Kinshasa, pourraient bien n’être que l’oraison funèbre d’un corps judiciaire exsangue. D’une voix solennelle, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait lui-même acté la mort de cette justice tant espérée par le peuple. Ce constat partagé et déchirant ne laisse guère de place à la reconstruction qu’on nous promet : le diagnostic est terminal, mais la cérémonie se poursuit comme un spectacle où chaque acteur, éloigné des douleurs du peuple, cherche à capturer la lumière d’une scène déjà endeuillée.
Sous des promesses de résurrection, la justice est ici le théâtre d’un débat stérile, sans profondeur ni sincérité. Ceux qui devraient discuter de son avenir semblent davantage intéressés à soigner leur propre image auprès du chef de l’État, en feignant de se soucier d’une institution déjà sous tutelle. Que peut-on espérer d’une réforme orchestrée sous l’œil vigilant et omniprésent d’un président qui, bien que préoccupé, n’offre à cette institution ni l’espace ni les ressources nécessaires à son indépendance ?
Au lieu de se libérer des chaînes politiques, la justice se voit maintenue sous un contrôle étroit, contraignant les acteurs judiciaires à la docilité ou, pire, à une complaisance qui assassine leurs propres idéaux. Dans les couloirs de cette assemblée nationale pour une justice prétendument en renaissance, l’on murmure bien peu de solutions, mais beaucoup d’ambitions. Les ministres comme les juges, les greffiers comme les conseillers, tous semblent plongés dans une danse de cour, se dissimulant derrière des slogans vides.
Les uns aspirent à diriger l’appareil judiciaire, y voyant le moyen de gravir les échelons politiques ; les autres cherchent à accroître leur budget, attirés par la manne qui leur permettrait d’arbitrer des conflits, souvent en quête de « plaintes » lucratives. Quant à ceux qui rêvent de l’après-Tshisekedi, 2028 se dessine déjà dans leurs discours comme l’horizon de toutes leurs manœuvres, la justice n’étant ici qu’un outil pour asseoir des ambitions personnelles.
Face à cette farce, il est temps d’adresser une critique sans détours. La justice congolaise souffre d’un manque cruel de moyens humains et matériels : les juges sont débordés, mal payés, et souvent dépendants de réseaux de patronage. L’indépendance n’est plus qu’un mythe lorsqu’une simple injonction venue d’en haut suffit à réorienter les verdicts.
À cela s’ajoute une corruption endémique qui gangrène le système de l’intérieur, dissuadant les citoyens de recourir à une justice en laquelle ils ne croient plus. Pour redresser cet appareil malade, il ne suffira pas de réformes superficielles. Il faut injecter des ressources tangibles, revaloriser les salaires des magistrats, et renforcer les structures de contrôle interne afin que chaque acteur judiciaire soit jugé responsable de ses actes.
Il faudra une véritable indépendance, avec une séparation nette du pouvoir exécutif et judiciaire, sans cette omniprésence présidentielle qui étouffe chaque initiative. Mais, plus que tout, il faudra un retour à l’intégrité, à cette volonté inébranlable de servir le peuple plutôt que des intérêts personnels.
Sans ces changements radicaux, la justice congolaise continuera de flotter, sans espoir ni repères, dans les limbes. Les États Généraux, faute de vision et de courage, n’auront alors été que le triste épilogue d’une institution qui aurait dû, pourtant, incarner la dignité et la voix du peuple. Que vienne alors, pour elle, le jour de repos éternel — ou qu’on lui redonne enfin une chance de renaître, dans la pureté et la rigueur qu’elle mérite.
Litsani Choukran,
Le Fondé.