Le 26 novembre 2024, lors d’une allocution à Kalemie, chef-lieu de la province du Tanganyika, Félix Tshisekedi a déclaré : « Il n’y aura pas de révision constitutionnelle mais un changement de la Constitution. Le moment venu, le dernier mot reviendra à notre peuple. » Cette affirmation laisse entendre la possibilité d’un référendum national pour valider une nouvelle loi fondamentale.
La Constitution actuelle de la RDC, adoptée en 2006, limite le président à deux mandats de cinq ans. Réélu en décembre 2023 avec 73,47 % des voix, selon les résultats officiels, Tshisekedi entame son second et dernier mandat. Toutefois, sa volonté de changer la Constitution soulève des préoccupations quant à une éventuelle suppression ou modification de la limitation des mandats présidentiels.
Une manœuvre à haut risque pour Tshisekedi
Ce projet de changement constitutionnel intervient dans un contexte où le président reste relativement populaire. Sa réélection avec plus de 70 % des voix en 2023, bien que contestée par certains opposants, reflète une assise politique solide. La promesse de réformes ambitieuses, notamment la lutte contre la corruption et la stabilisation de l’est du pays, continue de séduire une partie importante de la population.
Cependant, cette popularité pourrait s’éroder si le projet est perçu comme une tentative de s’accrocher au pouvoir. Martin Fayulu, l’un de ses principaux opposants, a dénoncé un projet visant à « trahir les principes fondamentaux de la démocratie congolaise ». Moïse Katumbi, quant à lui, a prévenu que « toute modification qui irait dans le sens d’une prolongation de pouvoir sera fermement rejetée par le peuple. »
Mais Tshisekedi pourrait réussir là où d’autres ont échoué. Contrairement à des dirigeants comme Alpha Condé ou Pierre Nkurunziza, qui ont suscité des contestations massives en modifiant la Constitution pour rester au pouvoir, Tshisekedi bénéficie d’un contexte plus favorable. Sa capacité à obtenir des concessions diplomatiques, notamment vis-à-vis du Rwanda, et à progresser dans la pacification de l’est du pays pourrait renforcer son aura politique.
Une sincérité contestée, mais possible
Pourtant, certains estiment qu’il serait prématuré de condamner Tshisekedi à la seule ambition de prolonger son pouvoir. Le président a lui-même affirmé à plusieurs reprises qu’il ne souhaitait pas s’éterniser au pouvoir. En 2023, lors de sa campagne, il déclarait : « Je suis un serviteur du peuple, et non son maître. Mon engagement est de respecter nos institutions et de les renforcer. » Des propos qui rappellent ceux tenus par Joseph Kabila lorsqu’il introduisait les réformes constitutionnelles de 2011, qui furent alors accueillies avec méfiance, bien qu’elles n’aient pas supprimé la limitation des mandats.
Si l’on examine les intentions déclarées par Tshisekedi, il pourrait simplement chercher à réviser une Constitution qui, selon ses partisans, est devenue inadéquate face aux réalités actuelles. Des réformes ciblées pourraient viser à mieux équilibrer les pouvoirs entre les provinces et le gouvernement central, ou encore à moderniser certains aspects juridiques obsolètes. Toutefois, cette sincérité perçue est tempérée par un climat de méfiance généralisée, alimenté par l’histoire politique congolaise, où les changements constitutionnels ont souvent servi des intérêts personnels.
Joseph Kabila : l’ombre d’un adversaire redoutable
En parallèle, l’ancien président Joseph Kabila, qui a quitté le pouvoir en 2019, reste un acteur clé du jeu politique. Officiellement en retrait, Kabila continue d’exercer une influence significative via son camp politique, le Front Commun pour le Congo (FCC), qui s’oppose fermement à toute modification de la Constitution. Des sources indiquent que Kabila prépare une offensive politique contre Tshisekedi, en cherchant à mobiliser une partie de l’élite congolaise et des leaders régionaux.
Plus inquiétant encore, Kabila est accusé de soutenir des factions rebelles dans l’est de la RDC, notamment à travers son alliance présumée avec Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale, désormais lié à des mouvements armés. Nangaa, qui a récemment pris la tête d’une coalition rebelle, a explicitement critiqué les intentions de Tshisekedi, accusant ce dernier de vouloir « imposer une dictature à travers un référendum truqué ».
La rébellion dirigée par Nangaa, bien qu’encore fragmentée, pourrait prendre de l’ampleur dans un contexte où les tensions politiques s’accentuent. Les milices locales dans l’est de la RDC, souvent motivées par des revendications ethniques ou territoriales, pourraient instrumentaliser cette crise constitutionnelle pour justifier leurs actions. Si ces groupes armés perçoivent une modification de la Constitution comme une centralisation accrue du pouvoir à Kinshasa, cela pourrait intensifier le conflit dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
L’Église catholique : un acteur clé dans la résistance
En même temps, les opposants politiques à Tshisekedi pourraient exploiter cette rébellion pour accroître la pression sur son administration, créant un climat d’instabilité qui pourrait saper les ambitions présidentielles. La perspective d’une guerre civile liée à des désaccords constitutionnels n’est pas à écarter, bien que Tshisekedi ait récemment affirmé être « prêt à tout pour garantir la stabilité du pays. »
L’un des éléments qui pourrait bouleverser la donne est le rôle de l’Église catholique, une institution influente en RDC. Le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de Kinshasa, a récemment lancé un avertissement au gouvernement, critiquant toute tentative de prolongation du pouvoir via un changement constitutionnel. « Nous n’accepterons pas que la démocratie soit sacrifiée sur l’autel des ambitions personnelles, » a-t-il déclaré dans une homélie suivie d’une large diffusion sur les réseaux sociaux.
Ambongo a également exhorté la jeunesse congolaise à « se mobiliser pour défendre les acquis démocratiques du pays, » rappelant le rôle central qu’elle a joué dans les manifestations contre Joseph Kabila en 2018. Si l’Église catholique décide de descendre dans la rue, comme elle l’a fait lors des marches pacifiques de 2016 et 2018, cela pourrait galvaniser une opposition populaire massive contre le projet de Tshisekedi.
Et si ça passait par la paix ?
Malgré ces défis, Tshisekedi pourrait transformer la crise en opportunité. Depuis plusieurs mois, il négocie activement avec le président rwandais Paul Kagame sous la médiation de l’Angola pour parvenir à un retrait des troupes rwandaises et à un apaisement des tensions frontalières. Une paix durable dans l’est de la RDC pourrait non seulement renforcer la légitimité du président, mais aussi détourner l’attention des critiques internes concernant le changement constitutionnel.
Ces négociations, bien qu’encore fragiles, ont déjà conduit à un cessez-le-feu partiel dans certaines zones. Un succès diplomatique pourrait offrir à Tshisekedi un avantage politique majeur, lui permettant de justifier son projet de nouvelle Constitution comme une étape vers une gouvernance plus forte et plus efficace. « Une Constitution moderne pour une nation en paix, voilà notre ambition, » a-t-il récemment déclaré.
Les perspectives restent donc partagées. Tshisekedi dispose d’atouts indéniables : une popularité encore solide, des avancées sur le front diplomatique, et une opposition fragmentée. Cependant, les risques sont tout aussi réels. Une mauvaise gestion de la crise constitutionnelle pourrait exacerber les tensions politiques et sécuritaires, plongeant le pays dans une nouvelle phase d’instabilité.
Avec l’Église catholique mobilisée, une rébellion en expansion à l’Est, et des adversaires politiques en embuscade, Tshisekedi devra naviguer avec prudence pour maintenir son autorité et faire avancer ses projets. Le peuple congolais, souvent cité par le président comme « l’arbitre ultime », sera effectivement au centre de cette décision cruciale. Le référendum annoncé pourrait servir de test décisif pour évaluer si le projet de Tshisekedi est perçu comme une ambition personnelle ou comme une réponse aux aspirations nationales.
Mais une chose est sûre : la RDC entre dans une période où chaque décision politique, chaque geste diplomatique, et chaque mobilisation populaire auront des répercussions majeures sur son avenir.