Le 16 juin 2016, une date symbolique ou imaginaire?
Il a l’air imperturbable malgré sa situation de détenu politique. La barbe qu’il a laissée délibérément pousser sur son menton cache mal son jeune âge qui le trahit à tout le coup. Son regard se perd au couloir de sa cellule. Son esprit semble se trouver ailleurs. En effet, il attend impatiemment une date qui approche inlassablement : le 16 juin 2016. Chaque 16 juin de chaque année, pendant que le monde célèbre la journée de l’enfant africain en mémoire du massacre des élèves de Soweto en Afrique du Sud, Bienvenu Matumo souffle sur une nouvelle bougie. Il vient d’avoir 27 ans, et il va devoir célèbre cet anniversaire en prison, seul face à son destin. Le regrette-il ou le prend-il du bon côté? Personne ne saura répondre à cette question. A moins de creuser plus profondément afin d’exhumer les motivations profondes de ce fonctionnaire dont le début de carrière est parsemé de paradoxes.
- Un fonctionnaire engagé?
Lauréat de la première promotion de l’Ecole Nationale d’administration, Bienvenu Matumo est également militant au sein de la Lucha (Lutte pour le changement), un mouvement citoyen actif en République Démocratique du Congo. Bienvenu a été arrêté à l’aube du 16 février 2016 pour avoir participé à l’organisation de la grève générale dite » journée ville-morte » largement suivie à travers le pays.
Cet appel de l’opposition réunie au sein du Front citoyen visait à protester contre le retard pris dans la tenue des élections présidentielles et législatives prévues fin d’année par le pouvoir et la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Cette date comportait une charge symbolique assez significative dans la mémoire collective du peuple congolais car commémorative des martyrs de la démocratie tombés à la même date en 1992.
Ce 16 juin, par une curieuse coïncidence Matumo totalise 120 jours de détention injuste et victimaire, selon plusieurs organisations internationales, dans la prison de Makala pour ses opinions et son engagement civique en faveur de plus de liberté et de démocratie dans son pays. Les juges du tribunal de paix de Kinshasa/Gombe l’ont récemment condamné à douze mois servitude pénale pour « incitation à la désobéissance civile et propagation des faux bruits ». Pour Matumo, cette sentence lui infligée ne changera en rien son combat en faveur de la liberté et de la démocratie.
- Dans un égrenage d’une justice inféodée à un système politique
C’est dans la matinée de cette journée du 16 février 2016 que Monsieur Matumo accompagné de son ami Marcel-Héritier Kapitene ont été arrêtés par les services de sécurité. En août dernier, M. Matumo avait déjà arrêté par l’Agence nationale des renseignements. Il lui était alors reproché son activisme et sa proximité avec les activistes arrêtés le 15 mars 2015 au cours de la réunion de lancement du mouvement Filimbi. Pour rappel, plusieurs personnes avaient été interpelées ce jour-là, Fred Bauma et Yves Makwambala, sont encore en détention à la prison centrale de Makala. Rejoints deux mois plus tard par Godefroy Mwanabwato qui exigeait leur libération. Les Nations-Unies et des ONG internationales qualifient leur détention d’illégale et d’injuste et exigent leur libération.
Bienvenu Matumo considère la décision de sa condamnation comme « inique car contributrice au découragement des jeunes épris de paix, de justice sociale, de démocratie et de dignité humaine. Il dénonce en effet l’emprise des dictas politiques sur les décisions judiciaires sensées être indépendante dans son pays ».
- De la prison, il s’en sort !
Cependant, pour Matumo » la prison n’est pas un calvaire pour un activiste, c’est, dit-il d’un air pensif, un moment de renaissance morale et de dégénérescence politique et spirituelle pour sa lutte ».
Une journée spéciale d’anniversaire dans sa vie de militant qu’il dédie à sa formidable mère qui le soutient dans ce pénible et périlleux parcours. Il dit sa fierté « d’appartenir au mouvement citoyen mobilisateur de la conscience collective de la population congolaise ». Il appelle la jeunesse à la responsabilité intellectuelle et émotionnelle dans le but de choisir un futur collectif. » Il est souvent difficile de choisir entre l’individuel et le collectif; C’est la grandeur d’esprit qui pousse l’homme à servir le collectif », martèle-t- il.
Matumo s’inquiète de la situation des dirigeants congolais qui sont plongés délibérément dans une logique de répression aveugle. Il pense en outre que son combat consiste aussi à libérer ces derniers de la prison de haine dans laquelle ils sont enfermés.
Il souhaite en effet que la réconciliation et la vérité passent par la justice équitable afin de rétablir et d’installer la paix sociale et la gouvernance durable avec les conséquences positives y afférentes.
Pour la circonstance, il rend hommage aux victimes des massacres génocidaires de la population de Beni. Il appelle les autorités à rétablir la paix et la sécurité; deux préalables importants au développement durable d’une nation. Pour ce faire, il martèle que la justice doit être faite et rétablir les droits des victimes.
- L’ENA, un mort-né?
Lauréat depuis près d’un an de l’ENA, cette prestigieuse école destinée à former les futurs hauts cadres de l’administration publique et qui a suscité l’espoir au sein de la population congolaise. Comme ses collègues, son intégration dans l’administration piétinent encore. Prévus au départ pour être promus chef de bureau selon les textes créant cette école, les jeunes cadres n’ont pu être affectés comme attachés de bureau de première classe après sept mois de tergiversation aveugle et d’une forte résistance d’autres agents de l’Etat et des acteurs politiques sensés pourtant faciliter leur intégration.
Il dit sa profonde déception vis-à-vis des mesures d’accompagnement mises en place par les autorités dans cette phase cruciale d’intégration. L’administration congolaise n’est-elle pas lourde et gangrenée par les maux de tout genre? Le Congo qui appelle de tous ses voeux l’émergence d’ici 2035 ne doit-il pas accélérer cette réforme?
Pour Matumo, « les autorités devraient savoir hiérarchiser les priorités de leur ligne politique ».
A cette date, Matumo dit se battre pour que sa vision radieuse s’accomplisse et que la génération future puisse hériter d’un Congo nouveau dans lequel les valeurs et principes guident la société.
Pour finir, conclut Bienvenu, » pour mieux connaître son pays, il faut passer par ses prisons ». Une pensée qui sonne comme une gratitude à son sort et à son destin de prisonnier politique.
Cette tribune a été transmise exclusivement à POLITICO.CD par un proche de Bienvenu Matumo. Vous pouvez également envoyer vos tribunes à contact@politico.cd