Son corps a la forme d’un cercle. Il est de couleur brune sur le dos et plus pâle sur le ventre. Ce mâle est plus gros que la femelle. En dehors de l’eau, il garde de l’eau dans ses branchies pour pouvoir respirer, il ne se sert pas de l’oxygène. Il marche de côté, et cela ne le ralentit pas au contraire. Il peut creuser des terriers dans le sable et en sort si rapidement qu’on lui donne le nom de crabe fantôme.
Sur la voie sableuse menant vers Kitoy, une colline perchée sur l’un des rares coins élevés de la sèche pleine du Kwilu, un homme mange les quelques 60 kilomètres qui relient ce carrefour perdu au monde grâce un petit pont, don de la Belgique. Au volant de sa Range Rover d’une centaine des milliers de dollars, Tryphon Kin-kiey Mulumba est jouissif, dégustant « Kumpanda », chef d’œuvre musical d’un des rois de la Rumba, feu Madilu. Mais son plaisir vient un peu plus de ces paysans qui s’amassent le long des tracées de sable qui forment des routes ici, et qui scandent.
Ya Khala !
«Ya Khala, Ya Khala », « Grand Crabe », symbole de son Kabiliste de Parti pour Action ; ou encore « Kin-kieyi, Nkiey-yi ». Ils n’ont ni électricité, ni eau potable, la richesse fuit cet endroit, comme l’avenir d’ailleurs. Mais Kin-kiey s’en contente. Il vient de là, dit-il, en montrant un tas de maisons en pailles « Ici, c’était mon ancienne école primaire. J’ai étudié ici », point-t-il une de ces maisons même pas dignes du siècle des Borgia. Des écoliers l’encerclent et chantent, ils rêvent surement de finir comme lui : sortir de ce néant et arriver ci-haut, aux côtés même du président Kabila.
A Kitoy, où il est Roi, où il est l’un des seuls à avoir réellement réussi, il se sent arrivé, intouchable. Joyeux comme un enfant, entouré de ces regards miséreux qui voient en lui, à tort certes, un « Messie », c’est peut-être ici, en mars 2018, que Tryphon Kin-kiey Mulumba s’est mis à rêver du Palais de la nation. Il se voit surement succéder à Kabila. « Lors de notre dernière réunion à Kingakati, le Chef [Kabila] m’a pris à côté, tenant ma main pendant plusieurs minutes, sous les regards des autres un peu jaloux. Nous avons longuement parlé », dit-il sans cesse, comme pour prouver qu’il était l’enfant chéri de Kabila. A cette époque, le sang de Kin-kiey est rouge du Kabilisme.
S’il faut remonter l’histoire pour comprendre cet homme, nous atterrirons un matin du 27 juin 2015. Le soleil est au zénith, déversant toute sa chaleur sur des habitants hébétés par des cris d’oiseaux inquiets. Kin-kiey se tient débout dans la pleine de Masimanimba. Il appelle ouvertement à un troisième mandat pour Joseph Kabila. « Rien ne se fera aujourd’hui ou demain sans Kabila, ni contre Kabila », proclame-t-il, « C’est ça l’envie de Kabila qui s’exprime partout dans le pays, dans ce Congo qui par son sous-sol redonna fierté et espoir à l’Occident quand celui-ci fit face au péril de la deuxième guerre mondiale », lance-t-il. Avant lui, aucun homme n’a tant haussé la voix pour crier son Kabilisme. Kin-kiey qui fera payer la facture à Kabila pour cette bravoure, crée par la suite une association, puis un parti « Kabila-Désir ».
Désir monnayé de Kabila
Entre-temps, à Lubumbashi, presqu’au même moment, une grande fronde se déclare dans les rangs du président congolais. Moïse Katumbi, jadis fer de lance du Kabilisme dans le Katanga, ose claquer la porte. Il part avec sept partis de la Majorité présidentielle. A Masimanimba, ou à son retour à Kinshasa, Kin-kiey est furieux : « des traîtres », objectera-t-il. Olivier Kamitatu, qui partagera durant toute sa vie une rancœur avec le dernier porte-parole de Mobutu, est étalé dans toute son intimité dans le journal Le SOFT International, tenu d’une main de fer par le président de Kabila-Désir, qui en fait alors un outil de propagande payante en faveur de Kabila.
Le temps passe, la crise politique congolaise livre tous ses secrets. D’ancien alliés deviennent des nouveaux associés. Kin-kiey n’est plus au gouvernement. Loin de cette source d’eau, tout homme politique se meurt au Congo. Au Dialogue de la Cité de l’Union Africaine, il voit une occasion de revenir dans le jeu. Pendant que Vital Kamerhe croit avoir un accord avec Kabila, Kin-kiey et quelques cadres de la majorité lui concoctent un antidote nommé : Samy Badibanga. Mais le « Grand Crabe » ne sera pas récompensé. Il reste au placard, certes déterminé à y sortir.
L’année suivante, en arrivant à l’épisode de Kitoy en mars 2018, l’homme voit une occasion de se rattraper. Joseph Kabila est acculé par des Catholiques qui lui reprochent de ne pas avoir appliqué l’accord de la Saint-Sylvestre. Les rues sont inondées de monde. Le sang coule. Pour y mettre un terme, il faut donc revenir dans l’accord. Félix Tshisekedi, fils du leader historique de l’opposition, jadis proposé à la Primature, est l’homme de la situation. Au pouvoir, Kabila confie la mission à son Conseiller Spécial Jean Mbuyu, qui est en réalité l’un des parrains de Kin-kiey. Suffisant pour que le seul journaliste du Soft International saute sur l’occasion. Il étale alors toute sa connaissance de Limete, où, selon lui, il aurait des contacts solides.
C’est finalement un journaliste qui mettra Kin-kiey en contact avec un « oncle » à Félix Tshisekedi. Dans un « taudis à Kingabwa », Kin-kiey rencontre Gilbert Kankonde pour lui vendre un plan de Primature et l’amour que Kabila porterait à Félix Tshisekedi. Quelques jours après, un accord est signé à Kinshasa autour des funérailles de Tshisekedi. Mais son fils, finalement futé, refuse de prendre la Primature, tuant les espoirs de Kin-kiey de revenir au gouvernement.
#RDC GRAND ANGLE/ Les dessous de l'accord sur les funérailles de Tshisekedi (récit et révélations exclusives) https://t.co/MqunOdtQ1s pic.twitter.com/OBuvKe6goD
— POLITICO.CD (@politicocd) April 22, 2018
Entre-temps, Kin-kiey s’impatiente, les temps sont durs. Kabila ne lâche rien à sa direction. Nous sommes en juin, dans une sortie de magie politique, et en se rappelant sans doute de son triomphe de Kitoy, Kin-kiey met son rêve de Président en pratique. Il est certain, il croit que son nom est dans la liste des « dauphins » successeurs à Kabila — Il y était en fait, pour quelques secondes, avant d’être assassiné par des cadres du pouvoir, naturellement opposés à l’homme. L’ex-ministre Athanase Matenda et l’ancien gouverneur de l’Equateur Jean-Claude Baende feront accroître ce fameux rêve. Pendant que Kabila forme sa coalition du FCC à Kinshasa et ses groupements politiques, les deux acteurs se retrouvent avec Kin-kiey dans un groupement politique du pouvoir : « Alliance pour le Bâtisseurs du Congo »
KKM Président !
Le trio va entamer une tournée de pré-campagne à Masimbanimba, avant de s’envoler vers Mbandaka. Sur les terres Bakandja, Kin-kiey a le déclic. Grâce à accueille honorable, il se voit diriger la RDC dans une nouvelle alliance nommée ENACE (Entendre, entreprendre, agir…).
De retour à Kinshasa, des « contacts » le persuadent de se rendre à Washington. Selon eux, les « américains » chercheraient à le rencontrer. S’en suivra un périple en forme d’aventure. Deux semaines durant, Kin-kiey rencontre à Washington des supposés Sénateurs et des « grands investisseurs » qui veulent faire de lui le prochain maître du Congo. Il regagne Kinshasa, et pendant que Kabila cherche encore son dauphin, le désir pousse Kin-kiey à sauter premier, déposant sa propre candidature. L’onde de choc qui s’en suivra sera perçue, par cet homme assez indu de sa personne, comme une ovation.
La science le sait, le crabe mue régulièrement pour lui permettre de survivre, laissant son squelette vide. Pendant ce temps, il peut pondre des milliers d’oeufs qui se fixent sous son ventre jusqu’au moment de l’éclosion. Notre Crabe certes mal est surtout prudent. Il prend le soin d’alerter Kabila de sa candidature la veille. Ce dernier n’ose broncher. Kin-kiey y voit une approbation, à telle point qu’au lendemain, il se fait annoncer chez le Président pour un rendez-vous. Celui-ci est fixé au 12 août. « Je vais lui demander de l’argent pour battre campagne », lance-t-il avec sourire à un de ses proches. Le calcul ici est simple : Emmanuel Ramazani Shadary choisi pour succéder à Kabila est perçu comme une boutade du président. Beaucoup d’ailleurs voyaient en la candidature de KKM une stratégie du pouvoir. Le concerné, de son côté, compte en effet sur les mécontents pour faire imposer le choix sur sa personne.
Mais Kabila n’est pas né de la dernière pluie. Lui qui n’a jamais rien eu chez Kin-kiey sans avoir à le payer, demande à ce que rien ne soit fait contre le Professeur. « Je le connais plus que vous tous », aurait-il confié. Rien ne sera fait. Kin-kiey, déçu par plusieurs rendez-vous manqués avec Kabila, s’envole pour les Etats-Unis. A Washington ou au Texas, des Lobbyistes engagés pour près de 300. 000 USD lui annoncent alors qu’il va rencontrer, sans rire, Donald Trump. « C’est fini. L’histoire tourne au Congo », lance KKM, euphorique. Mais après deux semaines d’attente dans une sombre chambre d’hôtel sous l’hiver, il se rendra vite compte de la réalité, avant de s’envoler vers Paris, puis Waterloo, enterré dans son manoir, calculant le prochain coup.
Certaines espèces de crabes sont vénéneuses et il faut être prudent car la « lybia tessalata » ou crabe boxeur, n’est pas appelé ainsi par hasard, il utilise comme gants de boxe sur ses pinces des anémones de mer venimeuses. Dès qu’il se sent en danger, il boxe, projetant ses alliées sur ses ennemis. En échange de ce service, les anémones profitent des restes de ses repas.
La chute du Crabe
https://twitter.com/kkmtry/status/1055161035328512001
Notre Crabe en danger à Bruxelles, décide de regagner Kinshasa. Mais sur place, il est comme un lion amaigri, un sans dents dans une cage. Il nage, patauge, à gauche et à droite. Tantôt, il affirme vouloir continuer l’œuvre de Kabila. Et quand son mentor n’ose mordre à l’hameçon, il affirme la seconde d’après s’opposer aux machines, dans l’idée d’éviter la tenue des élections au 23 décembre. Car la réalité est dure à la maison du Soft, l’homme, dépouillé aux Etats-Unis, n’a plus un rond. « En ce moment, un dollar vaut 100. Depuis que j’ai déposé ma candidature, toutes les portes sont fermées, ils me considèrent comme un opposant », explique-t-il à un de ses proches. Il tombe amoureux du Pasteur Théodore Ngoyi, avec qui il forme une alliance de circonstance. Près du Cimetière de la Gombe à Kinshasa, le voilà en train de chercher une issue.
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Comme ce Crabe vieux et venimeux, il tente tour à tour de se vendre chez Moïse Katumbi, en prétextant un soutien vital dans le Bandundu pour Martin Fayulu. Mais la mayonnaise surement avariée ne prendra que difficilement du côté de Félix Tshisekedi, qui n’en voulait même pas. A ce niveau, c’est Vital Kamerhe, sans doute en souvenir du Kabilisme commun jadis partagé, qui insiste auprès du nouveau Sphinx de Limete. C’est ainsi qu’un Crabe de Kabila atterrît, sous les moqueries de Jean-Marc Kabund, au cœur même de l’opposition, en attendant sa prochaine mutation.
Litsani Choukran,
Le Fondé