La scène a lieu quelques semaines avant les élections tendues du 30 décembre en République démocratique du Congo. Dans la ferme privée de Joseph Kabila à Kingakati, dans l’Est de Kinshasa, tous les grands généraux de l’armée et très proches du président congolais tiennent une réunion «de mise au point ». Autour de la table, les volontés sont unanimes. Tout sera fait pour conserver le pouvoir. L’armée, les services de sécurité et les proches de Kabila, ne « comptent pas se laisser faire ». Selon un haut gardé qui a pris part à la rencontre, des « instruction claires ont été données pour faire face à toute éventualité« .
L’armée, le coeur du pouvoir en RDC
Le fait est qu’ils sont liés, notamment par le sang (majoritairement originaires de l’ex-Katanga et du Maniema), mais aussi et surtout par la grande aventure de l’Alliance des Forces démocratiques de Libération (AFDL), la rébellion qui a eu raison de l’ancien président Mobutu, pour finir par affronter violemment ses anciens alliés. De plus, au Congo, depuis l’indépendance en 1960, le pouvoir est acquis et conservé par des militaires, à l’image même de la sous-région.
Ainsi, nul ne peut vraiment régner à Kinshasa sans avoir le soutien des chefs des armées. Et Joseph Kabila, fils du leader historique de l’AFDL, lui-même ancien Général-Major, est adulé dans ses rangs. Il leur ressemble et ils lui font confiance. Au moment de « passer le flambeau », beaucoup au sein de ses hommes en uniformes n’en croient pas vraiment. De plus, la chute du président congolais sonnerait la leur aussi
Aujourd’hui, deux opposants pourraient donc remporter la Présidentielle du 30 décembre. Félix Tshisekedi, fils du leader historique de l’opposition congolaise et bien sûr Martin Fayulu. Les deux n’ont aucune influence réelle au sein l’armée. Pire pour Martin Fayulu, beaucoup qui forment le dernier carré de Kabila, comme le Lieutenant-Général John Numbi, ou encore le Général Gabriel Amisi , ont une dent personnelle contre l’opposant Moïse Katumbi, qui soutient donc la candidature de Fayulu. Pour eux, c’est donc une affaire personnelle.
Shadary sacrifié
« Il est très peu probable que ces hommes acceptent, en termes de cohabitation, que Martin Fayulu l’emporte. Ils ne le tolèreront jamais, on ne serait pas loin de voir un mauvais tour se jouer dans le pays », confie un proche du pouvoir à Kinshasa.
Le président Kabila a lui-même qualifié l’ancien gouverneur du Katanga de « Judas ». Des propos qui laissent présager un conflit très personnel entre les deux. Mais le candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary semble avoir perdu cette Présidentielle.
La population et surtout la Communauté internationale risque de mal réagir si la Commission électorale annonçait sa victoire. Devant cette réalité, Kabila et ses militaires doivent se résigner à lâcher du lest. C’est alors que des regards se tournent vers «Limete », la célèbre commune du centre de Kinshasa où est basé Félix Tshisekedi. Dans le rang des hypothèses, on voit donc Kabila « sacrifier » la fonction Présidentielle au profit du fils de Tshisekedi.
« De toute façon, sans assise au sein de l’armée et autour du système financier, Félix Tshisekedi ressemblera à un CEO que l’on a nommé pour maintenir le système », pense Litsani Choukran, éditorialiste et fondateur de POLITICO.CD.
Les rumeurs vont bon train à Kinshasa. De nos informations, les contacts entre le pouvoir et le parti de Félix Tshisekedi n’ont jamais rompu depuis la signature en avril 2017 d’un accord autour des funérailles d’Etienne Tshisekedi. Les deux camps continueraient à échanger autour de plusieurs hypothèses. Ce que la coalition CACH, formée entre autres de Vital Kamerhe, un ancien très proche de Kabila, et de Tryphon Kin-kiey Mulumba ; dément fermement.
Des « discussions » avec Félix Tshisekedi
Mais la solution d’une victoire de Félix Tshisekedi semble la moins risquée pour Kabila. La population n’irait pas outre mesure contester la victoire du fils d’un héros populaire. De plus, Félix Tshisekedi, qui a promis de ne pas se livrer à « une chasse aux sorcières contre Kabila », pourrait éviter la chute du régime actuel.
En effet, avec un nouveau locataire à la Présidence, qui n’habiterait même pas le Palais présidentiel à Kinshasa, le Front Commun pour le Congo (FCC) pourrait continuer à contrôler la scène politique autour de son chef Kabila, avec une majorité parlementaire plus facile à instiguer, alors que le peuple sera ivre de la victoire de Tshisekedi.
Les heures passent au Congo, Joseph Kabila continue de manœuvrer. Quoi qu’il arrive, le président congolais doit cette fois lâcher un gros morceau pour garantir son avenir personnel.