7 janvier 1988, jour d’anniversaire de la mort du héros national Patrice Emery Lumumba, un homme seul, dans un pays traumatisé par la dictature de Mobutu, ose descendre dans la rue. Il convoque un meeting au pont Kasa-Vubu, lieu des pendaisons de 1966, au centre de Kinshasa. Mais avant même qu’Etienne Tshisekedi n’ouvre la bouche pour s’adresser à une centaine de sympathisant venus l’écouter, l’armée intervient.
Des tirs éclatent. On y dénombre plusieurs morts et blessés. Tshisekedi est mis aux arrêts. Il est même transféré dans un établissement psychiatrique où les autorités ont tenté de le faire passer pour un malade mental. Mais c’était sans compter sur la détermination de cet homme que le monde découvre alors. C’était le début d’un mythe, qui traversera trois générations.
Durant une trentaine d’années, Etienne Tshisekedi incarnera la constance d’une lutte pour la démocratie tantôt au Zaïre, puis en République démocratique du Congo. De 1980 jusqu’à son dernier souffle, il aura combattu les présidents zaïrois puis congolais. Mobutu l’envoya tantôt en prison, tantôt le nomma Premier ministre. Il fut l’opposant le plus virulent de Laurent Désiré Kabila, qui avait renversé Mobutu en 1997. Et lors que son fils, Joseph Kabila, a voulu se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat, le vieux dinosaure a déserté Bruxelles où il était en convalescence pour venir demander à son peuple de lui apporter le nouveau dictateur, « ligoté, dans le coffre d’une voiture ».
A 84 ans, en 2016, il est à la tête de la meute qui descend dans la rue, aux côtés des millions de Congolais, pour faire face à Joseph Kabila. Car entre-temps, Mobutu n’est plus là. Il a été vaincu par Laurent-Désiré Kabila, mais sans l’instauration d’une démocratie et d’un Etat de droit que Tshisekedi et ses nombreux combattants rêveront toute leur vie.Mais le destin est tragique.
Malgré l’immense détermination autour de sa lutte, Etienne Tshisekedi n’aura jamais atteint Caanan. Le 1er février 2017, le temps s’arrête : le Sphinx s’éteint. L’UDPS, mère des oppositions au Congo, est laissée orpheline. Joseph Kabila en profite pour la dépouiller. Derniers des fidèles, Mubake et Tshibala désertent. Il ne reste qu’un un seul, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.
Son élection à la présidence du parti, en mars 2018, est pourtant contestée par certains proches du défunt qui doutaient de sa capacité à le diriger et n’imaginaient pas qu’un jour il prendrait les rênes du pays, réalisant ainsi le rêve inachevé du père.
« Etienne Tshisekedi s’est montré très sceptique vis-à-vis des capacités de son fils. Il était très exigeant envers son fils« , expliquera de son côté Albert Moleka, ancien directeur de cabinet d’Etienne Tshisekedi. « C’était quelqu’un qui s’est battu pour le peuple et il n’allait pas donner un laissez-passer à son fils. »
Mais l’histoire a parfois des fins heureuses. Félix Tshisekedi, que l’on présente ici comme un novice, a pourtant baigné dans la politique dès son plus jeune âge. Il a vu son père emprisonné par Mobutu, assigné à résidence dans son village du Kasaï, avant de partir avec sa mère en exil en Belgique, où il fréquente les parachève son éducation d’homme. Et rien ne l’arrêtera, ni une étrangement polémique en pleine campagne électorale sur son diplôme de Marketing et communication qui fera la une de la presse belge. Il n’en a cure.
Le 24 janvier 2019, le monde contemple le fruit même des entrailles de Tshisekedi sur le toit du Palais de la nation à Kinshasa, en train de prêter serment. Jamais une lutte, de père en fils, n’a eu une fin si heureuse en RDC. Car outre le fait d’être le fils de Tshisekedi, Félix Antoine Tshilombo réussi non seulement à prendre l’Impérium, mais offre également des funérailles grandioses à son père, bloqué dans un frigo depuis plus de deux ans à Bruxelles, à la suite du dernier round du combat face à Kabila. Le Sphinx peut reposer en paix.