Les rues de Kinshasa sont restées animées lundi 16 mars 2020. A la Gare centrale, au centre-ville de la capitale congolaise, des colonnes de personnes provenant de l’Est de la ville mettent le cap vers le grand Marché. Ici, au milieu de cette foule, rien n’indique que le pays est touché par la pandémie du Coronavirus, qui sévit un peu partout. « On a appris cette histoire du Coronavus, mais on n’a pas le choix. On doit chercher quoi manger. En plus, le ministre là n’est pas clair », affirme Yasmine, qui affirme tenir un commerce au « Zando ». Elle fait référence au ministre congolais de la Santé, Eteni Longondo, qui s’est fait remarquer à l’arrivée de cette pandémie en RDC.
« Tout va bien à Kinshasa »
Le ministre Londondo a été au cœur d’une confusion à l’annonce du premier cas du Coronavirus en RDC. Au tout début, il a fait allusion d’un sujet belge et qu’il serait mis en quarantaine. Quelques minutes plus tard, il annonce, dans un point de presse, qu’il ne s’agit plus d’un sujet belge mais d’un citoyen congolais résidant en France. Le ministre affirme que ce dernier était en quarantaine dans l’Est de la Kinshasa, isolé de la capitale, avant, le lendemain, d’avouer qu’il était en réalité placé dans un hôpital en pleine ville, entamant la confiance des populations. Mais, les autorités ont tenté de se rattraper.
Eteni Longondo a confirmé un troisième cas testé positif au Coronavirus à Kinshasa. Selon le ministre, il s’agit d’un Congolais qui a récemment séjourné en Suisse, qui reçoit en ce moment des soins appropriés en isolement. Quelques jour auparavant la RDC avait déjà enregistré deux cas qui sont à présent internés à l’hôpital de l’Amitié sino-congolaise dans la commune de N’djili, dans la périphérie de la ville de Kinshasa.
Dans un Conseil des ministres tenu à Kinshasa avec les membres du gouvernement, le Chef de l’État, Félix Tshisekedi, a souligné l’urgence pour le gouvernement de rassurer la population après l’annonce du premier cas. Il a demandé aux membres du gouvernement de prendre des mesures claires de prévention et de gestion de cette crise sanitaire pendant cette période.
Tous les cas annoncés par les autorités sont des sources extérieures, dont un Congolais venu de la France et un Camerounais vivant en RDC mais récemment revenus de vacances en France, selon les autorités sanitaires. Aucun Congolais vivant à Kinshasa n’est jusque-là atteint par le virus.
Les autorités traînent le pied
Cependant, alors que plusieurs pays de la sous-région des Grands Lacs, dont le Rwanda, ont annoncé des mesures draconiennes, allant notamment jusqu’à suspendre des cours dans les universités, imposer des restrictions aux voyageurs venant des pays à risque, Kinshasa reste étrangement une ville qui vit normalement.
« L’attitude de nos populations face à l’épidémie du Covid-19 est comme celle des Européens quand l’épidémie était encore au niveau de la Chine. On la croit ainsi propre aux autres, avant qu’elle ne nous atteigne. Nous avons pourtant la chance de la voir venir. Prenons-la au sérieux », appelle Litsani Choukran, éditorialiste et fondateur de POLITICO.CD dans un tweet.
A en croire plusieurs sources gouvernementales, les autorités ont prévu d’annoncer des mesures supplémentaires mardi 17 mars 2020. Il s’agirait notamment de la fermeture des universités, des écoles, l’interdiction des vols en provenance des pays touchés et l’interdiction des rassemblements.
À Kinshasa, plusieurs écoles privées, dont le Lycée français et l’Ecole belge, ont envoyé les élèves en vacances de Pâques jusqu’au 6 avril. Dans les rues, la vie continue comme si rien n’était. Le Parlement congolais, qui a effectué sa rentrée lundi 16 mars 2020, a également fait savoir l’idée de suspendre ses séances.
« Le Bureau a décidé, en sa réunion de ce matin, que nos prochaines rencontres ne se feront que lorsque nous aurons la certitude, qu’en vous réunissant ici, nous ne vous exposons pas au Coronavirus », a expliqué le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba.
L’impossible isolement
La capitale congolaise, de près de 12 millions d’habitants, doit toutefois faire face à un enjeu terrible : les Congolais vivent, pour la plupart, de l’informel. Ils doivent ainsi s’alimenter chaque jour, tout comme au travail. Une situation qui complique toute mesure de restriction, à l’image de ce qui est fait ailleurs. Au marché de Zando, ce lundi, la fréquentation est certes inhabituelle. Mais, beaucoup se ruent à faire des provisions. « Je vais prendre les choses essentielles. Mais, il est impossible de faire des provisions à long terme à Kinshasa, d’autant plus qu’il y a des problèmes d’électricité. Mais aussi, nous n’avons pas beaucoup de moyens », explique Jean sur l’avenue du Commerce, au centre-ville.
Les politiques s’inquiètent également autour de ces éventuelles mesures. « Face à la menace du Coronavirus, quelles mesures draconiennes décréter ? Dans un pays qui vit au jour le jour et dehors, où les +villes mortes politiques+ n’ont jamais dépassé un jour, un +confinement sanitaire+ comme en Italie est-il envisageable? », s’interroge le professeur Tryphon Kin-kiey Mulumba, haut cadre de la coalition du président Félix Tshisekedi.
Pour d’autres, c’est tant le sérieux autour des initiatives qui pose problème. Même s’il faut tout fermer, il reste la menace de transmission dans des transports en commun ou encore aux flux de voyageurs qui continuent d’arriver. Il y a également les provinces, dont la plupart restent étrangement insaisissable à la menace. « J‘ai circulé un peu partout à Lubumbashi et je me suis rendu compte que la population n’est pas suffisamment informé sur les mesures préventives contre le COVID-19. Pourquoi ne pas mettre les entreprises de télécommunications à contribution pour diffuser ces mesures? » interroge Ludovic Mwamba, Avocat au Barreau du Haut-Katanga, dans le sud-est du pays.
Il faudra également faire face aux problèmes logistiques. La RDC ne dispose que d’un seul centre qui effectue des tests du virus. Il s’agit de Institut National de Recherche Biomédicale (INRB), recensé rénové et équipé notamment avec le don du Japon. Des cas de soupçons ont été identifiés notamment à Beni, située à des milliers de Kilomètres de Kinshasa. Il a fallu attendre plusieurs jours pour faire parvenir les prélèvements au centre et avoir des résultats qui ont finalement été négatifs. Le week-end dernier, Nicolas Simard, l’Ambassadeur du Canada en RDC, a été testé négatif par le même centre, après des soupçons.
« Après avoir ressenti des symptômes similaires à ceux de COVID19, je me suis immédiatement mis en auto-isolement. Heureusement, j’ai eu deux résultats négatifs des tests de l’de l’INRB. Donc ce n’était pas ce virus. Soyons tous vigilants et suivons les conseils des autorités », a-t-il expliqué.
S’appuyer sur l’expérience d’Ebola, mais…
La RDC a cependant une très grande expérience dans la lutte de ce type d’épidémie, après avoir fait plusieurs fois face au virus d’Ebola. Les autorités comptent d’ailleurs sur cette infrastructure pour pouvoir faire face au Coronavirus, alors que la riposte d’Ebola vient d’enregristrer 26 jours sans un nouveau cas. « Nous avons certes vaincu l’épidémie d’Ebola pour l’instant et rendons hommage au gouvernement et particulièrement au service de santé et aux équipes de docteur Muyembe que je salue. Nous lui demandons encore une préparation rigoureuse », a dit Alexis Thambwe dans son discours à la rentrée parlementaire.
Dr Muyembe, justement, est d’avis que l’expérience de la lutte contre l’Ebola servira à vaincre le Coronavirus : « Ce sont les mêmes stratégies que nous allons utiliser. Comme vous avez déjà vu, dans les aéroports : le prélèvement de température, le dispositif de lavage des mains, l’interdiction de se saluer, bref tout ce que nous avons organisé pour Ebola ça va nous permettre d’éviter l’épidémie de Coronavirus »
Cependant, depuis son apparition dans les année 70 en RDC, Ebola n’a jamais frappé une grande ville comme la capitale congolaise, où l’infrastructure sanitaire reste loin d’être performante. A ce sujet, le Docteur Moyembe a montré sa peur, affirmant que le Coronavirus reste en effet une grande menace.