« J’ai le soutien total du chef de l’État. Je ne le contredis jamais et lui non plus ». Vital Kamerhe est sûr de lui en ce mois de septembre 2019. A l’arrivée d’un gouvernement tant attendu, qui a dévoilé une guerre permanente entre la coalition de Joseph Kabila et celle de Félix Tshisekedi, cet As de la politique congolaise est le pilier du nouveau regime. Il est sur tous les fronts. Omniprésent. Utile. Vital. Comme son nom. Aussi, attrape-t-il la folie des grandeurs ? Dans les faits, la République démocratique du Congo qui connaît alors une situation inédite, avec un président qui sort et un autre qui arrive au pouvoir, est de plus en plus dirigée par un troisième homme, une sorte de « vice-président ».
Le président-bis
Tenez, le 1er juin 2019 au Stade des martyrs à Kinshasa, Paul Kagame se tient aux cotés de Félix Tshisekedi, alors que toute capitale congolaise rend hommage à l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Mais un homme se faufile, glisse entre le protocole d’Etat et vient serrer la main du président rwandais. Il s’agit de Vital Kamerhe. Le Directeur de cabinet de Félix Tshisekedi est partout. On le voit tantôt entre les deux présidents, comme donnant des « instructions ». Bien avant, dans toutes autres sorties de Félix Tshisekedi, Kamerhe est là. Un président-bis!
Le fait est que depuis sa nomination au poste du Directeur de cabinet, l’ancien opposant forme un binôme bien étrange avec le président Félix Tshisekedi. Il était d’ailleurs, selon l’accord conclu avec ce dernier à Nairobi en 2017, son colistier, censé être nommé Premier ministre si Tshisekedi était élu. Mais, même si le nouvel accord conclu avec Joseph Kabila désillusionne un peu Vital Kamerhe, le privant ainsi de la Primature, le président de l’UNC profite néanmoins de sa nouvelle position pour jouer un rôle qui s’apparente de plus en plus à une co-présidence avec Félix Tshisekedi.
Bien plus que ça, à la Présidence, ce sont des proches de Félix Tshisekedi qui se plaignent de cette attitude. « Nous sommes face à quelqu’un qui veut à tout prix monopoliser toutes les actions du Chef de l’Etat, mais qui sert en réalité ses propres intérêts », confie un membre du Collège des Conseillers de Félix Tshisekedi à POLITICO.CD. « Jamais un Directeur de cabinet n’a tant pris de place aux côtés d’un Chef d’Etat », ajoute-t-il. Le bicéphalisme agace à l’UDPS, le parti de Tshisekedi jaloux des pouvoirs de son chef divinifié. Aussi, cela a-t-il joué dans la chute soudaine de « VK ».
La chute
Il est 13h à Kinshasa, le 08 avril 2020. Nous sommes bien loin des périodes de gloire et d’assurance de Vital Kamerhe. Depuis plusieurs semaines, il est dans le collimateur de l’opinion publique. Tantôt autour de l’affaire de 15 millions, et bien souvent sous des accusations autour du programme de 100 jours. A Limete, devant le Parquet de Matete, situé à la 4ème rue, des dizaines de personnes bravent le Coronavirus pour venir soutenir un homme. Ces sont des militants et partisans de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), le parti de Vital Kamerhe.
A 13h30, le Directeur de cabinet débarque, d’abord hué par une dizaine de personnes le qualifiant de « voleur », avant de croiser, à l’entrée du Parquet, une immense foule l’ovationnant. Le voilà gonflé à bloc. Dans sa veste bleue, coupée d’une cravate de la même couleur et d’un masque de protection. Il est accompagné par sa garde rapprochée, des Conseillers du président font partie de l’expédition, aux côtés de toute une armée d’avocats. A l’intérieur, l’Avocat général Sylvain Muana l’attend, lui aussi accompagné d’une armée d’administratifs judiciaires. Débute alors un match.
Plusieurs heures passent, nul ne sait de quoi sera fait l’avenir. Puis, soudain, vers 16h, le chef de la police kinoise débarque. Il est officiellement appelé en renfort pour faire « respecter les mesures de distanciation sociale ». L’idée étant, de disperser un immense rassemblement devant le parquet, alors que tout regroupement de plus de 20 personnes est strictement interdit dans la capitale congolaise pour lutter contre le Coronavirus. Cependant, alors que Sylvain Kasongo réussit à repousser les militants de l’UNC à plusieurs centaines de mètres du parquet, à l’intérieur, Sylvain Muana prend une décision.
Vers 18h, un mandat d’arrêt provisoire est présenté à Vital Kamerhe, aux côtés de ses avocats. S’ensuit alors un vif débat. « C’est totalement incroyable est loin de respecter toute réglementation en la matière. Vital Kamerhe est venu ici de lui-même, en tant que renseignant. Comment et pourquoi le détenir ? Qui peut penser que Kamerhe puisse fouir ce pays » dénonce un de ses proches joint par POLITICO.CD.
Le Parquet ne justifie ni n’explique sa décision. Le Général Kasongo est prié d’escorter le Directeur de cabinet du président Tshisekedi à la prison centrale de Makala. A 19h30, le convoi de plusieurs véhiculés hautement sécurisé arrive finalement au Centre pénitentiaire de rééducation de Kinshasa. Vital Kamerhe est débarqué du véhicule. Il n’est pas menotté. Mais très bien escorté, avant d’être « remis » aux responsables de la prison.
Acquittement ou déluge !
Deux demandes de libération passent. Négociations également. En vain. Vital Kamerhe reste détenu à Makala et voit même la justice congolaise l’inculpé. Il va devoir se défendre dans un procès public. Il risque au moins 20 d’emprisonnement pour corruption et détournement de deniers publics. Au passage, c’est également toute sa carrière politique qui entre en jeu. A 61 ans, celui se voyait peut-être déjà à la place de Félix Tshisekedi en 2023, pourrait dire adieu à ce rêve s’il était condamné.
Dès lors, Kamerhe et ses partisans jouent le « quitte ou double ». Un « double or nothing » qui va résulter soit à son acquittement, soit à une éclatement de son accord avec Tshisekedi. Tel Samson, Vital Kamerhe se tient débout entre deux colonnes, prêt à secouer le pouvoir congolais. Ses partisans menacent de déballer une « Boite de Pandore ».
A l’ouverture de son procès, lui-même apparait transformé. Début, droit, combatif, il tient à confirmer les menaces que ses cadres proféraient depuis plusieurs jours. « Je suis intervenu au nom du président de la république, pour répondre aux besoins pressant de la population », insiste-t-il, comme s’il passait un message. « Je n’étais pas seul dans le programme de 100 jours. Il y avait une équipe de supervision composée de 9 personnes et la coordination pilotée par l’ambassadeur itinérant du Chef de l’État. J’intervenais en tant que Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, » enfonce-t-il.
Celui qui se considère toujours comme le Directeur de cabinet de Tshisekedi insiste par ailleurs sur le fait qu’il n’a pas géré seul, citant même les 9 autres membres de la commission, dont le Gouverneur de la Banque Centrale Déogratias Mutombo, ou encore Nicolas Kazadi, l’Ambassadeur itinérant du président congolais. Vital Kamerhe nie connaître les autres accusés, tant pi si des photos de lui et Jammal Samih sont diffusées sur les réseaux sociaux.
Son procès continue. Ses avocats ont tout misé sur une nouvelle demande de libération provisoire. Le juge a renvoyé l’audience au 25 mai, tout en prévoyant la tenue d’une séance à la chambre de conseil pour analyser l’ultime demande de libération de Kamerhe. Entre-temps, les images d’un Vital Kamerhe en ténue de prisonnier et se tenant droit, à la disposition d’un tribunal, font le tour du Congo et du monde, au risque de profond un élan d’espoir pour voir enfin la justice de ce pays gangrené par la corruption se relever.