« Mboloko, on doit se voir. J’ai besoin d’un site internet » C’est la dernière partie de notre conversation. En mai dernier. « Don John » voulait me rencontrer, comme à nos nombreuses habitudes, autour d’un énième projet. Mais cette rencontre n’aura jamais lieu. Plus jamais. Il s’est éteint. La mort, égoïste, libère une âme et enchaîne d’autres dans un abîme profond de tourment. « Mbokolo » était un génie de la photo. Je le croise pour la première fois en 2011. Je venais de quitter la coopération belge pour rejoindre la Radio Okapi. La fameuse radio. Le premier média de la RDC à cette époque. David Louis, un réunionnais qui dirigeais le Campus Numérique à Kinshasa, a fini par me convaincre que je me devais de me mettre au journalisme. Y tronquer mes codes Javascript à la plume. Kim Gergstrad m’accueille et me dirige vers cette radio onusienne, alors colonne vertébrale de l’information en RDC.
« Je sors cher ami. Mais si Axel Gontcho demandait après moi, dis-lui que je suis allé faire un travail chez Mbokolo ». Oui, il n’y avait pas que les Okapi dans la forêt, les Gazelles aussi. John Bompengo, comme moi, ne pouvions pas prester seulement pour la Radio Okapi. Tant pis si nos contrats nous l’interdisaient. Dès lors, Don John et moi, nous sommes liés dans une amitié profonde. Il m’appellera désormais Mboloko et je ferais pareil. Avant de quitter la radio, 8 mois après, quand j’ai enfin appris les fameux préceptes du journalisme, je l’accompagne chez lui à Bandal, où il me présente à son épouse… « Tu as pris la bonne décision en quittant la Radio, je crois en toi et je peux te jurer que ce que tu fais avec Direct.cd va aller loin, tu iras loin », me dit-il, me regardant dans les yeux.
Don John ne le savait pas. En 2011, à 26 ans, je venais de claquer une augmentation ramenant mon salaire mensuel à 1350 USD (en RDC !), pour plonger dans le vide, vers l’inconnu. J’ai choisi le chômage à l’américaine, l’auto-prise en charge, au détriment d’un salaire permanent. J’ai choisi d’animer mon propre média, au lieu de n’être qu’un webmaster à tout faire à la Radio Okapi. Et même si j’ai toujours paru savoir ce que je faisais, dans le fond, ni étaient ces paroles prophétiques du chevronné Bompengo, je n’aurais ni assez de force, ni assez de confiance en moi pour aller de l’avant.
Don John ne m’a pas simplement dit une phrase. Quatre ans après, depuis Johannesburg, alors que la dépouille de mon paternel me collait encore dans les bras, il m’appelle : « Mboloko, j’ai vu ton projet de POLITICO.CD. Mais tu auras besoin d’aide. Il te faut des photos et même des journalistes pour t’aider », dit-il. Il ne s’arrête pas là. Comme à son habitude, il prophétise : « Ce média ira loin, je te le jure. Tu verras ». Son enthousiasme dépassait le mien. Et comme à chaque fois, il y croyait plus que moi. C’est seulement grâce à ces paroles que j’embarque la dépouille de mon père dans la soute à bagages d’un vol régulier vers Kinshasa, où POLITICO.CD sera lancé en plein deuil.
Des exemples seront anodins. Et aucun ne pourra témoigner réellement ce qu’était cet homme pour moi et la boite qu’est devenue la mienne. Dans tout ce qui a été fait au sein de notre Groupe Léopards, Don John était toujours au point de départ, un ange gardien qui nous regardait toujours, de près ou de loin, mais en participant activement à notre évolution. A la fin de la pandémie nous avions rendez-vous avec l’histoire, où nous devions relancer le Magazine de POLITICO et présenter une nouvelle offre de journalisme au Congo. Et dans cette énième avancée, il était encore, une fois de plus, partie prenante de l’aventure. Ni dividende, ni salaire, ni revendications. Don John prenait ce que je lui donnais. Il se regardait en moi, son jeune frère et voyait parfois ce que moi-même n’arrivait à voir. Ce n’était peut-être que des petits conseils et encouragements pour lui. Mais pour moi, ce furent des pierres angulaires de celui que je suis appelé à être.
La mort nous rend égoïste au point de tenter de voler la vedette à ceux qui partent avant nous. Nous avons envie de leur dire des choses qu’ils ne pourront pas entendre. Nous soignons ainsi notre culpabilité et notre dégoût en s’acharnant sur leurs souvenirs. Mais dans le fond, c’est surtout une façon à nous de sortir une douleur. Cette douleur immense et soudaine qui nous frappe et nous enfonce. La disparition de Don John me terrasse. Elle touche toute la famille LEOPARDS. Car Bompengo était avant tout un Léopard ! Il n’aura que donné quelques fois ses conseils, encouragé son ami « Mbokolo » de l’Okapi. Mais en fait, dans les faits, Don John est l’un des fondateurs de POLITICO.CD, de tout ce que nous faisons en ce moment, de toutes ces structures que nous tentons d’établir et développer. Par ses conseils, ses coups de pouce et surtout grâce ses équipements, il a contribué, souvent sans le savoir, à la naissance d’un des médias d’avenir de la RDC.
Lui qui est, et qui restera, l’un des meilleurs photo-reporters que nous n’avons jamais connu en République démocratique du Congo; Bompengo nous plonge dans le noir, après nous avoir éclairé. Et s’il était là, il n’aurait alors jamais aimé nous voir nous larmoyer sur son sort. Pour lui, grâce à lui, nous tiendrons le trépied pour enclencher l’objectif vers le futur et ferons tout pour briller, tel le flash qu’il a toujours vu en nous. Au revoir l’ami. Au revoir Mbokolo.
Litsani Choukran,
Ton frère, Mboloko.
Aux noms de tous les Léopards du Groupe.
Un commentaire
Merci Choukran, pour ces mots de reconnaissance, cette profondeur d’un coeur honnete que tu es. Surement, le Lion t’a entendu et tous ceux qui croient en toi et en lui sans vous connaitre tout en vous connaissant. En lisant vos « hommages ‘a un Leopart », j’ai senti la douleur qui est tienne et la joie et satisfaction du Leopart qui t’ecoute au plus profond de lui-meme. Et je vous tiens tous deux au respect. Au revoir « Mboloko », A Dieu, » Leopard ». Je suis en vous et vous tous deux. Que le destin du Congo soit eclairee par vos visions.