Le 24 janvier 2019, sous un soleil de plomb qui s’acharne sur la capitale congolaise, Félix Tshisekedi balbutie ses mots de discours, alors qu’il venait de prêter serment, entrant dans l’histoire comme le tout premier président à accéder au pouvoir à l’issue d’un transfert démocratique et pacifique du pouvoir. Le nouveau Chef de l’État fait un malaise, semble-t-il, lié au gilet pare-balle, qu’il n’a pas l’habitude de porter. Les milliers de Kinois qui avaient envahi le Palais de la nation pour célébrer cette journée historique, se mettent à prier, à l’unisson. Le président s’en remettra, et continuera son discours. Mais les superstitieux y voient un signe, celui du destin, celui d’un mandat difficile qui commence. Près de 20 mois plus tard, la réalité semble se confirmer.
Litsani Choukran, le Fondateur de POLITICO.CD, l’a mieux dit dans cette édition, à travers son éditorial. Félix Tshisekedi n’était pas préparé à devenir Chef de l’État. Du moins, il n’a pas eu le temps nécessaire. Personne en RDC n’est d’ailleurs préparé. Le fils d’Etienne Tshisekedi est longtemps resté en exergue de la gestion cartésienne du parti de son père. Plusieurs témoins attestent par ailleurs que de son vivant, Etienne Tshisekedi n’avait pas beaucoup souhaité que ses propres enfants s’immiscent dans l’action politique. « Etienne Tshisekedi s’est montré très sceptique vis-à-vis des capacités de son fils. Il était très exigeant envers son fils« , expliquera de son côté Albert Moleka, ancien directeur de cabinet d’Etienne Tshisekedi. « C’était quelqu’un qui s’est battu pour le peuple et il n’allait pas donner un laissez-passer à son fils.«
Il a fallu attendre les années 2015 pour voir Félix Tshisekedi commencer réellement sa montée à la tête du parti, largement aidé par sa mère, Marthe Tshisekedi, alors que son paternel est de plus en plus affaibli par l’âge et la maladie. À cette époque, l’UDPS traîne déjà longtemps le pied sur la scène politique, Joseph Kabila va néanmoins tendre une perche à son rival qu’il affronte depuis 2006.
ENTRE KABILA ET KATUMBI, L’UDPS RÉSISTE
L’ancien président arrive bientôt en fin mandat et voit Moïse Katumbi s’opposer à lui, emportant une large partie de sa majorité présidentielle. Une bataille politique à mort commence. Etienne Tshisekedi devient l’épouse que tout le monde aimerait bien avoir. Joseph Kabila passe en novembre 2015 devant les deux Chambres du Parlement, réunies en Congrès, pour appeler au dialogue, mettant en avant des difficultés logistiques qui pourraient, dit-il, faire retarder les élections. Katumbi comprend rapidement la manœuvre.
Mais il doit attendre. Car Kabila a dépêché en Europe ses fins stratèges, dont Kalev Mutond et Néhémie Mwilanya, dans des discussions avec Etienne Tshisekedi, pour ramener l’UDPS au dialogue. Mais le vieux loup de Limete, qui en a tout vu avec Mobutu, sent venir l’embrouille. Le sphinx fait traîner les discussions et finit par dire non, posant parfois des conditions incroyables. Moïse Katumbi saute sur l’occasion, s’en va à Bruxelles et signe un accord, avec d’autres opposants, qui se rangent derrière Tshisekedi, dans la grande plateforme du Rassemblement.
Nous sommes en août 2016, le Sphinx inonde les rues de Kinshasa avec une marée humaine qui l’accompagne à son retour au pays, après son long séjour Bruxellois. Il est gonflé à bloc. Kabila s’accroche toutefois à son plan. Les élections sont reportées. La Cour constitutionnelle, largement acquise à sa cause, le maintien au pouvoir. L’armée est déployée dans les rues. Vital Kamerhe rêve de devenir Premier ministre, avant d’être coiffé au poteau par Samy Badibanga, à peine débauché de l’UDPS. Mais Etienne Tshisekedi est affaibli par l’âge. Moïse Katumbi n’a pas que des idées adoucies vis-à-vis de l’UDPS. Marthe Tshisekedi sent tout venir. En août de la même année, dans le but de consolider l’alliance avec Katumbi, un jeune homme, présenté à l’époque comme originaire de la région du Katanga, est parachuté Secrétaire général. Il s’agit de Jean-Marc Kabund. Bruno Mavungu est évincé. Mais dans ces nominations, un autre homme se glisse, Félix Tshisekedi est nommé parmi les trois Secrétaires généraux adjoints de l’UDPS.
DIFFICILE SUCCESSION DE FÉLIX TSHISEKEDI
Derrière ce mouvement, la voie royale s’ouvre pour Félix Tshisekedi à la tête du parti. Il doit cependant lutter face à Bruno Tshibala et Valentin Mubake, deux « amis » de son père, qui se réclament être des « fondateurs » du parti. De l’autre côté, avec la pression de la Communauté internationale, le Rassemblement, emmené par l’UDPS et Katumbi, accepte de dialoguer directement avec Kabila.
Commencent alors les pourparlers du centre interdiocésains, qui vont se conclure à l’arrachée, la nuit du 31 décembre 2016. Félix Tshisekedi a l’avantage d’être désigné Coordonnateur des discussions, du côté du Rassemblement. Mais l’hécatombe arrive. Alors qu’il se rendait à Bruxelles pour un simple « check-up », Etienne Tshisekedi passe l’arme à gauche, achevé par une embolie pulmonaire. Le camp de Joseph Kabila en profite pour tenter une martingale. L’arrangement particulier, qui devrait conférer au Rassemblement le poste du Premier ministre, et donc à Etienne Tshisekedi, est traîné en longueur. Son fils, Félix Tshisekedi, désigné difficilement par la plateforme pour succéder à son père, semble rencontrer l’opposition de Joseph Kabila.
« Les deux hommes se sont rencontrés plusieurs fois, mais Félix Tshisekedi restait intransigeant et cela n’a pas facilité les choses », expliquera un cadre du FCC. C’est surtout parce qu’entre-temps, depuis la prison centrale de Makala où il a été emprisonné, Bruno Tshibala s’offre alors à Joseph Kabila, dans l’idée de détacher l’UDPS de la coupe de Moïse Katumbi et s’allier à la majorité de l’ancien président. De l’autre côté, Valentin Mubake, qui sent Félix Tshisekedi venir, veut également distancer ses deux concurrents.
En avril, alors que le Rassemblement éclate, Joseph Kabila désigne la faction de Tshibala, beaucoup plus « flexible » que celle de Tshisekedi et Katumbi, pour occuper la Primature. Un choix qui « voile » l’accord de la Saint-Sylvestre, plongeant également le pays dans une crise profonde. L’Église catholique étant du même avis, elle qui a dirigé ces pourparlers, apporte son soutien à la faction de Félix Tshisekedi, qui est désormais rejointe par Vital Kamerhe, déçu de ne pas avoir été désigné Premier ministre.
MAUVAISE FOI ENTRE OPPOSANTS
Des marches des catholiques, accompagnés par les opposants, sont réprimés dans le sang. Mais Joseph Kabila, soupçonné par les opposants de toujours chercher soit à briguer un troisième mandat, soit à se maintenir au pouvoir, prend tout le monde à contre-pied et désigne Emmanuel Ramazani comme « Dauphin ». Au lieu que le choix de Kabila ne secoue que son camp, il va plutôt faire des vagues du côté des opposants.Car en ce mois de juillet 2018, Félix Tshisekedi a à peine réussi à se faire élire à la tête de l’UDPS, et doit encore trouver un moyen de rompre son accord avec Moïse Katumbi qui, rappelons-le, ne s’était pas allié à l’UDPS pour du beurre. L’ancien gouverneur voulait en tout cas que le parti d’Etienne Tshisekedi se range derrière sa candidature. Mais Joseph Kabila ne l’entendait pas de cette oreille. Au dernier jour du dépôt des candidatures, il coince Katumbi aux portes de la RDC à Kasumbalesa. Le voilà privé de la Présidentielle.
Nous sommes à Genève à présent. Novembre 2018. Alors qu’une partie de l’opposition refuse toujours d’aller aux élections avec la machine à voter, l’UDPS prend tous ses partenaires à contre-pied en acceptant des élections « avec ou sans machines ». L’opposition est appelée à trouver un candidat commun pour battre le poids plume Emmanuel Shadary. Mais en Suisse, Félix Tshisekedi qui se croit favori, est embusqué par Vital Kamerhe, ce dernier rêve également d’être candidat de tous.
Mais ni Bemba, qui sort de 10 ans de prison, ni Katumbi, encore moins Fayulu et les autres n’oseront lui faire confiance. Cependant, au lieu de se lancer derrière le fils de Tshisekedi, les voilà sortir de leur chapeau Martin Fayulu, un opposant certes sérieux, mais qui n’était pas le plus outillé à battre le camp de Kabila. L’union sacrée de l’opposition éclate. Et dans un retournement de situation que seule la politique congolaise en a le secret, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe vont signer un historique accord de coalition à Nairobi, parrainé par Uhuru Kenyatta, le président Kenyan.
FATSHIVIT,
MARIAGE DE RAISON
L’accord sera peut-être à la base des complications que Félix Tshisekedi est en train de vivre en ce moment. Il s’agit sans doute de l’entente politique la plus irréaliste au monde. Félix Tshisekedi obtient l’accord de soutien inconditionnel de Vital Kamerhe, alors que ce dernier est désigné futur Premier ministre du futur président en cas de victoire à la présidentielle qui approche à grand pas.
En contrepartie, à la prochaine élection présidentielle, c’est-à-dire en 2023, ça sera au tour de Félix Tshisekedi de soutenir la candidature de Vital Kamerhe, devenant ensuite son Premier ministre. Mais l’accord est signé surtout en incrédulité de ses propres signataires. Car en ce mois de novembre 2018, rien n’augure des résultats électoraux où le candidat de Joseph Kabila pourrait perdre. C’est en tout cas ce que croit des proches de l’ancien président eux-mêmes. Et du coup, ni Félix Tshisekedi, ni Vital Kamerhe, ne prennent le temps d’analyser froidement leurs promesses mutuelles.
La bataille électorale est lancée. Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe créent la FatshiVit, qui arrête le temps à Kinshasa. Martin Fayulu devient un phénomène, Emmanuel Shadary compte ses partisans, mais prophétise tout de même sa victoire. La suite étant connue. Mais la désillusion qui en naîtra, reste le cœur de cette analyse. Retenons que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe l’emportent et s’allient spectaculairement à Joseph Kabila, dans des termes qui resteront inconnus à ce jour, sans être sincères. Car au début de ce mandat que les populations congolaises attendent de pied ferme, rappelant à Félix Tshisekedi « papa avait dit, le Peuple d’abord », tant du côté de Kabila que de celui de Tshisekedi, la coalition est vue comme « un moindre mal ».
Y compris du côté de la communauté internationale. Pour la coalition de LAMUKA, alliance formée entre Moïse Katumbi, Antipas Mbusa Nyamwisi, Freddy Matungulu, Adolphe Muzito, Jean-Pierre Bemba, qui ont soutenu la candidature de Martin Fayulu, cette victoire de Tshisekedi et son alliance avec Kabila sont vécues diversement. Matungulu et Nyamwisi sèchent rapidement le groupe. Tout comme Gabriel Kyungu.
UNE COALITION DE GENS QUI SE DÉTESTENT, QUE TOUT LE MONDE VEUT VOIR ÉCHOUER
Félix Tshisekedi est, en réalité, dans la position la moins envieuse. Il est élu, arrive au pouvoir et voit les regards des populations braqués sur lui. Il doit décrisper le pays, commençant par une accalmie politique : l’arrêt des arrestations, la libération des prisonniers politiques, et la remise en place des libertés individuelles. Car la RDC vient d’une période où la connexion internet pouvait être coupée unilatéralement. Des initiatives que le nouveau président ne tardera pas à prendre. Toutefois, loin d’être spéciales, de telles réalisations ne peuvent pas faire partie de l’assiette du petit peuple.
Félix Tshisekedi est également pris des maux de son propre parti, où la succession d’Etienne Tshisekedi n’a jamais été réglée. Jean-Marc Kabund y trône comme un Roi, dans un parti qui ne s’est jamais caché de ses préférences tribales, et qui apprend toujours l’exercice démocratique. Mais le plus dur est sans doute que l’UDPS est dépouillée des cadres d’expérience. Tous ceux qui ont jadis accompagnés le père de Félix Tshisekedi n’y sont plus. Alors que le peuple a faim, avec une situation économique déjà dégradante, Félix Tshisekedi a passé toute sa campagne électorale à faire des promesses, à la tête d’un parti qui a fait rêver depuis 30 ans. Il arrive au pouvoir avec un entourage qui n’a jamais géré un État ! Avec qui diriger ?
Au FCC, la coalition de Joseph Kabila, la défaite à la présidentielle laisse un goût amer et de la rancœur. Emmanuel Shadary ne s’en remettra jamais. Beaucoup, autour de l’ancien président, se créent alors une illusion, celle qui fait de Félix Tshisekedi un « pantin », que l’on pourrait manipuler à sa guise, le temps de reconquérir le pouvoir en 2023. Dans l’entendement des cadres Kabilistes, d’autant plus qu’ils ont réussi à remporter étrangement les législatives avec une majorité écrasante, Félix Tshisekedi, qui ne pourra gouverner sans eux, est comme un lion dans une cage.
Si Félix Tshisekedi n’est pas suffisamment mis mal à l’aise par les allusions et plans des Kabilistes, il doit encore répondre de la lecture de la coalition de LAMUKA. Moïse Katumbi se range calmement à Lubumbashi, après un retour mouvementé au pays. Kabila lui en veut toujours. Munis de son passeport congolais, il n’a qu’à prier que 2023 arrive rapidement et que la coalition Kabila-Tshisekedi échoue au pouvoir. De son côté, Jean-Pierre Bemba rêve d’une révision constitutionnelle pour redevenir candidat, alors qu’il est exclu à vie, après avoir été condamné pour subornation des témoins par la Cour pénale internationale (CPI). Martin Fayulu, qui a gouté à la popularité, continue de croire qu’il est président, même si personne ne l’écoute. Il est néanmoins soutenu par son « frère » Adolphe Muzito, qui, comme tous les autres, n’ont aucun intérêt à ce que Tshisekedi et Kabila ne réussissent.
Du côté de la Communauté internationale, le mariage au sommet du pays est toléré, mais seulement comme un tremplin pour affaiblir davantage Joseph Kabila. Washington et ses envoyés spéciaux à Kinshasa ne voient donc Félix Tshisekedi pas comme un Président qui pourrait œuvrer pour le développement réel du pays, à qui les Etats-Unis donneraient des moyens, mais plutôt comme un président d’une transition durant laquelle ils pourraient en profiter pour en finir avec Kabila. Ce dernier d’ailleurs le sait.
Aussi, son combat face aux Etats-Unis continue autour de Félix Tshisekedi. Dans la rue, du côté des spécialistes, le nouveau président est également poussé à bout. « Joseph Kabila n’a pas du tout laissé le champ politique. Il a aussi les leviers au sein économique et l’influence dans le champ de l’armée« , explique Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur pour l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), « Tshisekedi s’est lié pieds et poings quand il a accepté l’accord de coalition, ce qui met en difficulté une partie du gouvernement. C’est un président fragile et fragilisé », ajoute l’universitaire.
UNE PRÉSIDENCE PIÉGÉE
Le début du mandat est donc un cocktail molotov de mauvaise foi. Félix Tshisekedi prend néanmoins les choses calmement. Le courant passe bien entre lui et Joseph Kabila, deux fils d’anciens opposants à Mobutu. « Nous sortons d’un système qui est resté longtemps au pouvoir et certains collaborateurs ont encore quelques réflexes du passé, ont tendance à croire qu’ils sont encore au pouvoir, il y a eu des actes maladroits mais, essayant de m’élever au-dessus de tout cela je crois qu’il faut privilégier la paix, la stabilité… Éviter toute crise intempestive qui aurait un impact sur l’économie et l’évolution du pays », avait appelé Félix Tshisekedi dans les colonnes du journal Belge Le Soir.
Car même si les pourparlers pour la formation du gouvernement s’éternisent, Joseph Kabila se met néanmoins bien au retrait et laisse la place au nouveau président, qui lance même son programme de 100 jours en toute liberté. Le FCC et la coalition du CACH s’entendent par ailleurs bien. Jacques Ilunga, chargé de mission du président ou encore Vidye Tshimanga, forment une première ceinture progressiste, qui s’entend bien avec l’équipe que dirige Néhémie Mwilanya, aux côtés entre autres d’Azarias Ruberwa et Raymond Tshibanda. Ils tombent finalement d’accord sur un programme commun de gouvernement, définissent les critères et mettent en place celui-ci. Joseph Kabila choisit Sylvestre Ilunkamba que Félix Tshisekedi désigne comme Premier ministre, après avoir pesé de tout son poids pour écarter des géants Kabilistes, jugés sulfureux.
Mais loin de cette accalmie, des voix extrémistes viendront compliquer la situation. Tant du côté du FCC que du côté de CACH, notamment avec la pandémie de covid-19 qui décime l’entourage de Félix Tshisekedi. Le Chef de l’État est rapidement déconcentré. Durant toute l’année 2019, il voit Emmanuel Shadary, candidat malheureux du FCC à la Présidentielle, le titiller. Il part de simples déclarations à des vrais activismes anti-Tshisekedi au pouvoir. En novembre, Shadary s’affiche en Kimono, promettant des « uppercuts » et défiant plus que jamais l’UDPS et ses alliés. D’autres dirigeants du PPRD lui emboîtent le pas. Henri Mova, ancien secrétaire général du PPRD entre mai 2015 et février 2018, s’est fait remarquer dans une sortie à polémique. « Comme vous pouvez le voir ! Est-ce qu’il (Emmanuel Shadary, ndlr) avait échoué [à la Présidentielle] ? Est-ce que quelqu’un qui a échoué peut-il se tenir avec autant d’assurance devant les gens ? Est-ce qu’il peut avoir encore la force de diriger autant des personnes comme aujourd’hui ? Comprenez qu’il s’agit des stratégies. Comme le Général Che Guevara lui-même, notre Général Major, c’est toujours de la stratégie ».
Ces déclarations ont peut-être fini par jouer une influence chez le président congolais qui semble visiblement décidé à prendre les choses en main. Mais Shadary ne sera pas le premier à être touché. Dans des échanges qui resteront secrets, il est rapporté qu’Albert Yuma, dirigeant de la Gécamines et très puissant proche de Kabila, serait allé jusqu’à menacer le président congolais de destitution.
Soudain, Félix Tshisekedi rend les coups. Yuma se voit interdit de voyager. La justice enquête désormais sur lui, dans un dossier de détournement présumé de 200 millions de dollars. Continuant sur sa lancée, Emmanuel Shadary croit bien faire en venant au secours de Yuma, menaçant de « paralyser le pays ».
À son tour, il est épinglé à l’aéroport de N’djili, interdit de voyager, accusé de détenir un passeport diplomatique dont il n’avait pas le droit. Le lendemain, la panique gagne Shadary lorsqu’il apprend que son domicile au centre-ville de Kinshasa pourrait lui être retiré… La sœur-jumelle de l’ancien président Joseph Kabila, plus réservée certes, voit la DGM la rappeler à l’ordre, du moins à en croire certains médias. Elle se serait soustraite des formalités de voyages à l’aéroport. Mais le coup le plus spectaculaire touche l’homme le plus intouchable de la maison Kabila. Kalev Mutond, flic et maître espion de Kabila, est ciblé par les renseignements, accusé, semble-t-il, d’atteinte à la sûreté de l’État. Lui aussi est interdit de voyager.
Arrivent également des vrais problèmes. Loin des querelles. Delphin Kahimbi est retrouvé mort chez lui, alors qu’il se faisait inquiéter par les Services de la Présidence depuis trois jours. Un décès qui restera mystérieux, mais crispe davantage les relations entre Kabila et Tshisekedi. Aussi, pendant plusieurs mois, alors que le pays fait face à la pandémie de Covid-19 et donc une situation économique de plus en plus dégradante,
Félix Tshisekedi divise ses efforts à combattre ses alliés. Il est systématiquement envoyé à l’abordage par tous ceux qui soufflent à son oreille, les Etats-Unis en tête. Mais cette Communauté internationale n’apporte toutefois pas de moyens au Chef de l’État, qui se bat infatigablement pour trouver des capitaux, afin de lancer définitivement les grands travaux qu’il a promis aux Congolais. Voilà que Félix Tshisekedi est entraîné, malgré lui. Il se laisse embourber dans une guerre qui lui fait oublier l’essentiel : il est le seul à qui le peuple demande un bilan. Les choses se compliquent d’autant plus qu’ayant composé son pouvoir avec Vital Kamerhe, n’ayant aucune majorité au Parlement, il doit tout faire avec ses alliés, mais répondre de tout auprès des populations. Lesquels alliés, en plus d-’avoir chacun son agenda, sont quasiment tous de mauvaise foi.
18 MOIS DE DIVORCE
Il ne faudra pas en plus oublier l’apprentissage de la gestion. Tshisekedi lance un programme de 100 jours pour marquer les esprits, mais s’embourbe par ses proches même, qui n’ont visiblement pas la même volonté que lui. Plus de 250 millions de dollars sont placés dans des travaux qui peinent à produire des résultats. Des détournements fusent et Tshisekedi n’a que la justice pour les traquer. L’UDPS non plus, n’aide pas. Mais ce président n’est pas comme les autres. Son côté « naïf », d’un idéalisme d’enfant, lui permet de tenter de redresser la barre rapidement. Il se lance dans un ambitieux programme anti-corruption. Son propre allié tombe dedans et fait ouvrir les yeux au Chef de l’État.
Mais le FCC, ni les entourages, ne sont pas là pour regarder Félix Tshisekedi envoyer tout le monde en prison. Alors que les Parquets du pays sont en ébullition, la coalition de Kabila pond trois lois visant à placer les magistrats sous tutelle du ministre de la Justice, qui n’est autre que Célestin Tunda. Tshisekedi ne se laisse pour autant pas faire, il coupe la tête au ministre kabiliste et fait reculer les lois. Mais l’opération anti-corruption prend du plomb dans l’aile. D’autant plus que depuis la prison de Makala, Kamerhe vocifère et brandit l’accord à problème signé à Nairobi, se disant victime d’une machination politique.
La réalité frappe à la porte de Félix Tshisekedi, voilà comment 18 mois au pouvoir démontrent les limites de la volonté. Le Chef de l’État, qui a admis devant les médias, qu’étant opposants, « il y a beaucoup de choses qu’on ignorait », découvre alors les vrais enjeux quand on dirige le pays. Mais s’il n’a pas réussi à impressionner le monde de sa gestion, Félix Tshisekedi a néanmoins réussi à gagner du terrain face à ses alliés, qui n’auront jamais pris la même direction que lui.
Il a donc hérité d’un pouvoir présidentiel sans pouvoir législatif dans un pays où les Chef d’État n’ont jamais eu un sans l’autre. Ajouté à cela, l’absence d’une volonté commune et des entourages qui s’opposent, dans des guerres d’influence, en plus du fait que ses adversaires ont continué à l’affronter. Comme n’importe quel leader politique, le fils de Tshisekedi s’est mis sur la défensive, jonglant, entre différentes postures, soufflant le chaud et le froid, se recherchant. Mais en face de lui, avec des Kabilistes qui jurent déjà de tout faire pour récupérer le pouvoir en 2023, des partisans de Vital Kamerhe qui veulent en découdre après la condamnation de leur leader, une opposition qui attend fermement qu’il échoue pour rafler le fauteuil en 2023, et une Communauté internationale qui l’a toujours envoyé en kamikaze face à Joseph Kabila… et le temps qui file, avec une population qui réclame de plus en plus de solutions claires, une pandémie de covid-19 qui immobilise tout, seul un coup du sort sortira ce président, qui ne manque certes de volonté, du piège qui se renferme inéluctablement sur lui.
Et puisque tous ont bu sans passer à la caisse. Un bon matin, dans une habitude déconcertante à se chercher des noises, une petite querelle et des menaces de destitution se sont transformées en une question de vie ou de mort, au point de secouer la plus haute Cour de justice du pays. Les voilà donc, allumettes en mains, sur le point de tout embraser, sans doute parce qu’ils ignorent ni les raisons de leurs différents, encore moins comment y mettre un terme.
In POLITICO Magazine,
Edition N°03, Août – Septembre 2020