Trois Sénateurs américains ainsi que plusieurs organisations nationales et internationales de la société civile ont chacun adressé une lettre à la Secrétaire au Trésor américain sur la licence accordée à Dan Gertler ainsi qu’à ses entreprises d’utiliser les devises américaines alors que ce dernier avait été frappé d’interdit en vertu de la loi Magnitsky sur la responsabilité en matière de droits humains en décembre 2017.
« Nous ne pouvions pas être d’accord avec cette déclaration, et vous demandons d’ouvrir une enquête sur les motifs pour lesquels le Trésor a délivré la licence et de tenir responsable toute personne qui aurait commis des actes répréhensibles dans le cadre de l’effort ayant conduit à délivrer la licence. Nous vous exhortons également à annuler immédiatement et publiquement la licence, en faisant clairement savoir à Gertler et à d’autres personnes sanctionnées que l’administration Biden respectera l’esprit et la lettre de la Loi Magnitski », écrivent, le lundi 1er février 2021, ces Sénateurs américains.
Et de poursuivre : « nous vous exhortons à enquêter sur les paiements ou les transferts qui pourraient avoir eu lieu en vertu de cette licence, ainsi que sur les lacunes dans les sanctions qui permettaient à Gertler de contourner l’application de la loi en mettant en place de nouvelles entreprises, tout en envisageant des sanctions supplémentaires contre les individus corrompus qui continuent d’exploiter les ressources de la RDC au détriment de son peuple ».
Quant aux organisations nationales et internationales, une telle décision compromet tout. « Nous pensons que cette décision compromet fortement les politiques mondiales de lutte contre la corruption des États-Unis et leur stratégie de politique étrangère en RDC, qui soutient notamment le programme de lutte contre la corruption du Président Félix Tshisekedi. Au cours des dernières années, l’ambassade des États-Unis à Kinshasa a joué un rôle déterminant pour mettre en avant la lutte contre la corruption et l’a placé au cœur de l’ordre du jour politique en RDC », ont-elles fait observer dans leur correspondance du 2 février adressée au Secrétaire d’État américain Antony Blinken et à la Secrétaire au Trésor, Janet Yellen.
Et d’estimer : « Les sanctions à l’encontre de M. Dan Gertler et de ses entités sont l’expression de cette politique :
elles attestent du fait que les États-Unis sont prêts à prendre des mesures concrètes et efficaces contre ceux qui privent les citoyens congolais des moyens nécessaires pour reconstruire le pays. Cela a fourni un tremplin essentiel pour les organisations de la société civile congolaise déterminées à renforcer la lutte contre la corruption ».
Dans leurs lettres, ces organisations affirment qu’il a été porté à leur connaissance que ladite licence « spéciale » délivrée à Gertler a été faite de manière opaque et à la hâte, pendant les derniers jours de mandat du Président sortant Donald Trump. D’après elles, les consultations habituelles avec le Département du Trésor et le Département d’État n’ont pas eu lieu avant la délivrance de la licence, prenant complètement au dépourvu un large éventail de fonctionnaires américains qui avaient travaillé dur pour mettre en place, faire respecter et défendre publiquement ces sanctions. Cette décision est intervenue après plusieurs mois de lobbying intensif pour le compte de M. Gertler, y compris par des avocats de renom proches de M. Trump.
Ami de longue
date de l’ancien Président congolais Joseph Kabila, Dan Gertler a été ajouté à la toute première liste de sanctions Global Magnitsky en décembre 2017 pour « des transactions minières opaques et entachées de corruption en RDC ». Cette sanction tant attendue a eu lieu après des années de rapports publics, établis à la fois par des médias internationaux et des organisations non gouvernementales, qui ont cherché à révéler la manière dont les recettes minières publiques de la RDC ont été détournées. « L’ampleur et la nature de la corruption facilitée par Dan Gertler ont eu un impact sur les droits humains de nombreux congolais. D’après le communiqué de presse qui en a fait l’annonce, l’un des fondements des sanctions était le rôle de Dan Gertler en tant qu’intermédiaire dans des transactions entre Joseph Kabila et des sociétés pétrolières qui ont apparemment entraîné, pour les seules années 2010 à 2012, une perte de 1,36 milliard d’USD pour l’État. Cela représente près de la moitié du budget de la santé du pays sur ces trois années ; un budget bien en deçà de la moyenne régionale et des dépenses par habitant identifiées par une étude soutenue par l’Organisation mondiale de la Santé comme étant le minimum pour fournir des soins de santé adéquats en RDC ».
Dans leurs conclusions, ces organisations de la société civile congolaise et internationale ont demandé au Département du Trésor américain d’informer les banques et les institutions financières que la licence est en cours d’examen et qu’elles ne doivent aucunement débloquer de fonds ou permettre de nouvelles activités en attendant que la nouvelle administration ait pu examiner la raison et la procédure ayant abouti à l’octroi de cette licence.
Pour le compte des sénateurs : Cory A. Booker, Richard Durbin et Benjamin L. Cardin.
Pour les organisations congolaises : Afrewatch, Agir pour des élections transparentes et apaisées, Cadre de concentration sur les ressources naturelles de l’Ituri (CDC/RN),
Coalition pour la gouvernance des entreprises publiques du secteur extractif (COGEP), Congo n’est pas à Vendre, Congo Nouveau, Filimbi, Initiative bonne gouvernance et droits de l’Homme (IBGDH), Justice pour tous,
Lucha, Observatoire citoyen des droits et de lutte contre la corruption en RDC (OCIDC), Observatoire de la dépense publique (ODEP), Observatoire d’études et d’appui à la responsabilité sociale et environnementale (OEARSE), UNIS – Plateforme panafricaine de lutte contre la corruption.
Pour les organisations internationales : EG Justice, FACT Coalition, Freedom House, Global Witness, Human Rights First, Human Rights Watch, Never Again Coalition, The ONE Campaign, Open Society Foundations, Oxfam America, Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF), Publish What You Pay – U.S., Resource Matters, Rights and accountability in development (RAID), The Sentry, Transparency International.
Hervé Pedro