En 2014, Joseph Kabila est tout heureux de lancer officiellement son rêve de grandeur pour les congolais, un parc agro-alimentaire qui allait finalement projeter la RDC dans la cercle fermé des pays à indépendance alimentaire. « Le temps est venu de transformer l’agriculture congolaise d’un secteur de subsistance en un puissant moteur de développement économique global », déclarait l’ancien Président. Mais un Chef de l’Etat ne gère pas tout. Pour réaliser ce rêve, son brillant Premier Ministre est à la manœuvre. Le Gouvernement signe donc un partenariat public-privé avec Africom Commodities (A.C.), une société sud-africaine. Cet accord, consulté par POLITICO.CD, donne à la firme sud-africaine les clés même du parc qui occupe 80 000 ha de terres destinées à la production de maïs et autres produits agricoles.
Une désignation en violation des procédures
Toutefois, le choix d’Africom ne tombe pas du ciel. Officiellement, la firme sud-africaine, représentée par ses administrateurs Christo Grobler et Peter Venter, signe, le 20 février 2014, un contrat de gestion avec l’Etat congolais, représenté alors par quatre ministres, dont le ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des finances Patrice Kitebi (aujourd’hui Directeur général du FPI), la ministre du portefeuille de l’époque, l’actuelle députée Louise Munga, le ministre de l’Industrie et PME de l’époque, Remy Musungayi et le ministre du développement rural de l’époque, représenté par le ministre des affaires foncières Robert Mbuinga. Autour du projet, trois sociétés sont créées et placées sous la direction du sud-africain AFRICOM. Il s’agit de la Société des aménagements de sites de production Agro-industrielle du parc (PARCAGRI SA), la Société d’exploitation Agro-industrielle (SEPAGRI SA) et la Société de commercialisation des produits agropastoraux et halieutiques, le marché international de Kinshasa (MARIKIN SA).
Le choix d’AFRICOM posera problème. Selon le registre sud-africain des sociétés, consulté par POLITICO.CD et confirmé par trois rapports indépendants, lorsqu’elle signe le contrat avec le Gouvernement congolais, Africom n’a que trois ans d’expérience en la matière. Fondée en 2011, Africom Commodities compte une trentaine de filiales actives dans la production et le commerce de produits agricoles, notamment des engrais sous la marque Triomph, mais également d’autres intrants tels que les pesticides et les semences, ainsi que des machines agricoles. « Ce recrutement [d’AFRICOM] s’est effectué en violation des règles relatives à la procédure des marchés publics, car le choix a été opéré de gré à gré, et ce, sans obtenir l’autorisation de la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics (DGCMP) », dénonce le rapport d’enquête de l’IGF consulté par POLITICO.CD. « L’appel d’offres pouvait mettre AFRICOM en concurrence avec d’autres firmes qui seraient plus expérimentées qu’elle, afin de garantir la bonne réalisation du projet », ajoute-t-il. Selon l’IGF et plusieurs sources concordantes, le choix d’AFRICOM a été opéré par l’ancien Premier Ministre Augustin Matata Ponyo et son cabinet.
Non content d’avoir confié la gestion du projet à AFRICOM, le cabinet du Premier Ministre Augustin Matata Ponyo, qui a conçu le projet pilote de Bukanga Lonzo sur base du Plan nationale d’Investissement Africole (PNIA, adopté en 2013), va modifier le rôle de l’opéteur sud-africain, non sans créer des conséquences drastiques au projet. En effet, le Gouvernement, sous la houlette de la Primature, va faire signer, le 24 mars 2015, une convention, ainsi qu’un avenant avec le sud-africain. AFRICOM, initialement retenu comme « Prestataire » au sein du projet de Bukanga Lonzo, devient « actionnaire » aux côtés de l’Etat congolais. A travers sa filiale congolaise, Africom Commodities RDC, le sud-africain détenait 15% de la SARL Parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, 50% de la SARL Marché international de Kinshasa, 30% dans la SARL Société d’exploitation parc agro-industriel et 60% dans la SARL Jivento. En outre, la société contrôle la SARL Triomf RDC, qui produit et commercialise des engrais de marque Triomf dans le pays.
Ce changement, qui interviendra près d’un an après le début officiel du projet, arrive pendant que des rapports accablants commencent à faire surface sur la gestion du projet par le sud-africian. Il y a d’abord le fait que même après avoir connu ce changement, qui devrait être appliqué immédiatement, AFRICOM, étant prestataire, faisait payer à l’Etat congolais des frais de gestion du projet. « Malheureusement, AFRICOM a gardé le double statut de prestataire et actionnaire car il continuait à être payé des frais de gestion après la création des trois société du groupe Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo », regrette les enquêteurs dans leur rapport consulté exclusivement par POLITICO.CD.
Une gestion catastrophique du projet
Le changement de rôle d’AFRICOM étonne, d’autant plus qu’à la même époque, Joseph Kabila ordonne un audit du projet. Celui-ci est confié au cabinet Ernst & Young. Mais au moment où il est mené, Patrice Kitebi, protégé d’Augustin Matata Ponyo, n’est plus ministre délégué aux Finances. Henri Yav Mulang ne filtre pas le contenu de rapport explosif. Le cabinet international déballe alors le rôle trouble d’Africom dans ce rapport consulté par POLITICO.CD
Les premières anomalies font surface sur le plan structurel. Ernst & Young signale à cet effet que la gestion par Africom du projet de Bukanga Lonzo de ses débuts en 2014, jusqu’en 2015 (au moment de l’audit), viole plusieurs procédures, notamment :
- Le manque de responsabilité financière pour le projet, toute la comptabilité financière étant réalisée en Afrique du Sud, en violation des lois congolaises;
- Le refus de la société de produire certaines informations financières, des informations sur le chiffre d’affaires, les ventes, les achats, les comptes bancaires, etc.
- L’absence d’avis d’appel d’offres pour l’achat d’équipements et de fournitures par le partenaire sud-africain Africom;
- Des sommes manquantes dans les flux financiers entre le Gouvernement et Africom;
- L’absence d’inventaire physique des stocks;
- Une forte suspicion de surévaluation de certains services payés.
Conflits d’intérêts et « disparition » de fonds
L’Inspection Générale des Finances va venir corser l’addition dans son rapport. « Le choix du partenaire sud-africain AFRICOM ainsi que des différents fournisseurs des équipements, matériels et intrants agricoles s’est effectué en violation des procédures de passation des marchés publics. Il se dégage un montant de 232.163.936,97 USD qu’AFRICOM doit justifier notamment en donnant le coût réel des équipements et matériels des intrants agricoles et fonds de roulement, étant donné qu’il a été constaté une sursaturation généralisée”, explique l’enquête de l’IGF.
L’IGF note par ailleurs un conflit d’intérêt dans la gestion des trois sociétés créées autour du partenariat entre l’Etat et Africom. « Bien que minoritaire dans le capital social de PARCAGRI et SEPAGRI, et égalitaire dans MARIKIN, AFRICOM était le gestionnaire réel de ces trois sociétés précitées. Le partenaire AFRICOM a assumé seul les fonctions essentielles de la vie du projet : il déterminait les besoins en équipements, matériels et intrants à commander, achetait et vendait avec surfacturation et décidait sur l’assurance-qualité des équipements commandés sans mettre en concurrence les fournisseurs, quand on sait que ces fournisseurs sont essentiellement ses filiales », dénonce le rapport de l’IGF. « AFRICOM s’est comporté ainsi en juge et partie dans la gestion de ce projet qui a englouti 287.050.817,91 USD décaissés par l’Etat congolais », ajoute le rapport consulté par POLITICO.CD.
La même enquête estime que plus de 83% des fonds décaissés à divers titres pour les trois sociétés précitées ainsi que les différents fournisseurs des équipements, matériels, intrants et mêmes pour les dépenses locales, étaient d’abord transférés par le Trésor public à AFRICOM par le truchement de son compte à la Standard Bank No : 090675800, Swift : SBZAZAJJ, (en Afrique du sud) qui décidait de ce qu’il fallait renvoyer ou pas à Kinshasa, pour les activités du Parc Agro-Industriel de Bukanga Lonzo. Un montant de 228.555.074.437,35 CDF, soit en USD 239.053.549,11 représentant plus de 83% de l’ensemble des fonds décaissés par le Trésor (USD 285.939.621,87) a été transféré directement en Afrique du sud aux comptes de AFRICOM Commodities (Pty) Itd (196.365.917.235,20 CDF soit USD 204.257.819,77); et 32.189.157.202,15 CDF soit USD 34.795.729,49 aux comptes de ses filiales ci-après dont il avait le contrôle : DESTICLOX (Pty) ltd, SENLER (pour l’acquisition des 20 pivots d’irrigation), BPI Manufacturing pour l’acquisition des semoirs et matériels roulants ; Michigan-Equipment pour les matériels et tracteurs du Parc ; et MIC Industries pour les équipements de construction.
L’argent empoché, travail non livré
Deux cas vont illustrer des problèmes présumés de détournement autour de ce projet. L’affaire la plus remarquablement citée est celle d’une « machine » coutant plus de 7,9 millions de dollars américains, qui n’aura jamais été livrée. Par ordre de paiement informatisé (OPI), relate ce rapport, le Trésor public congolais a procédé au paiement de deux tranches d’un montant total de 7.392.162.577,00 CDF, soit 7.989.408.08 USD pour l’achat de « Ultimate Building Machine » pour le compte du projet Bukanga Lonzo. Problème, ce paiement adressé à une société dénommée MIC Industries, bien qu’encaissé, n’a jamais produit de fruit. La machine en question, une « usine mobile, destinée à construire des installations industrielles, agricoles, commerciales »… n’a jamais été livrée.
« Cet équipement n’a pas été trouvé sur le site de Bukanga Lonzo », affirme ce rapport. Les enquêteurs affirment par ailleurs avoir joint le responsable de la société bénéficiaire du paiement, qui s’en étonne comme eux. Répondant aux Inspecteurs des Finances par son email du 16 novembre 2020 en rapport avec l’ensemble de paiements dont a bénéficié Africom (société mère de la filiale MIC Industries) et ses filiales, Mr. Christo Grobler, Administrateur d’Africom a déclaré : « Ceci a été un grand choc pour moi comme, je n’avais pas réalisé ou imaginé une pareille corruption ou fraude à grande échelle qui s’est produite. Ceci apporte beaucoup d’éclairage sur beaucoup de choses. C’est pourquoi, nous étions traités de manière hostile et beaucoup d’autres situations ont été insupportables un peu plus tard », a-t-il écrit, dans un mail dont la capture d’écran a été insérée dans le rapport consulté par POLITICO.CD.
La machine n’ayant pas été livrée, mais le paiement, confirment les enquêteurs de l’IGF, est bel et bien effectué en deux tranches par le Trésor public en direction du fournisseur sud-africain. D’abord en date du 14 juillet 2014, pour un montant équivalent à 4.161.715.00 USD et en date du 20 septembre 2014, pour un montant équivalent à 3.827.693.09 USD. Dans ce rapport de l’IGF, les Inspecteurs concluent qu’il s’agit bel et bien d’un cas de détournement. Ils affirment par ailleurs que ce paiement a été initié par le « Bureau du Premier Ministre honoraire, le Sénateur Augustin Matata Ponyo Mapon ». «À ce jour, soit 6 ans après, l’équipement n’a toujours pas été livré », disent-ils.
Ernst & Young dévoile de son côté que le Gouvernement a payé près de 5 millions USD pour l’amélioration de la route d’accès au site de BUKANGA LONZO, mais qui n’a jamais été livrée. « Nos travaux ont permis de relever que le Gouvernement a effectué des paiements en faveur de DESTICLOX pour l’amélioration de la route d’accès au site de BUKANGA LONZO », affirme ce rapport publié en 2015. Les deux paiements, repris en annexe du rapport, se détaillent de la manière suivante : Le 15 août 2014, paiement de USD 993.600 pour gravillonner 14,4 Kms (coût unitaire de USD 69.000 le Km) depuis la route nationale jusqu’au site de BUKANGA LONZO. Le 23 septembre 2014, paiement de USD 3.798.000 pour l’amélioration de la voie d’accès de la route principale jusqu’au site C de BUKANGA LONZO, soit 42 Kms (notre estimation du coût unitaire est de USD 90.429 le Km). « Notre analyse de ces paiements a permis de relever les observations suivantes : La route d’accès au parc de BUKANGA LONZO n’est pas gravillonnée. Cette route est en terre », dévoile ce rapport.
Par ailleurs, l’auditeur remarque d’autres anomalies: « Le coût unitaire de la deuxième facture est très élevé comparé à celui de la première facture. Aucun contrat n’a été signé pour l’exécution de ces travaux. En raison de l’importance du montant, nous pensons que le Gouvernement aurait dû demander la signature du contrat avant l’exécution ; Aucune évidence de contrôle technique des travaux sur la route par les experts de l’Office des routes ou de l’Office des Voiries et Drainage », explique-t-il dans ce document consulté par POLITICO.CD.
Contacté par l’auditeur, AFRICOM, la société sud-africaine en charge du projet, s’est expliquée notamment sur le fait que la valeur facturée au km est élevée sur la seconde facture. «Elévation et topographie. Erosion. Végétation et les arbres. Maintenance continue de la route en raison de son inaccessibilité chaque fois après la pluie. Proximité des matériels requis pour la route », justifie-t-elle.
La société n’explique cependant pas la raison pour laquelle cette route n’est pas gravillonnée. L’IGF détaille ces faits et précise que “DESTICLOX Pty LTD est une société écran de AFRICOM, qui a reçu des paiements de 10.237.316.789,36 CDF soit, 11.069.300,09 USD, dont 510.883,84 USD au titre de frais de gestion du Parc.” “L’équipe de contrôle se demande à quel titre et qualité car le contrat de gestion était signé entre l’Etat congolais et Africom. Il a par ailleurs bénéficié de 4.570.885.995 CDF, soit USD 4.941.600 pour gravillonner la route depuis la route nationale jusqu’au site de Bukanga Lonzo, alors que la route est toujours en terre/sable jusqu’à ce jour“, ajoute son rapport.
D’autres révélations autour de la gestion d’AFRICOM du projet se situent au niveau de l’achat des équipement. Plusieurs rapports attestent une « surfacturation incroyable ». Ces faits, ainsi que les réponses de l’ancien Premier Ministre Augustin Matata Ponyo autour de ces révévations sont à lire dans la suite, acte III de notre série, ce dimanche 21 février.
Un commentaire
Et avec toutes ces révélations, on réunit un groupe de « pseudos journalistes » pour tenter de se faire tirer d’affaires. Mon pays a tant souffert, il est temps que certains paient le mal causé au peuple Congolais !