Depuis le début de cette semaine, politico.cd exploite dans ses pages une édition spéciale intitulée « Spécial Mapping ». En effet, cette série de publications vise à vulgariser le contenu de ce rapport rédigé par les experts des Nations-Unies sur base des enquêtes et interviews réalisées auprès des différentes ONGs des droits de l’homme de la place et des témoins ou victimes des atrocités commises tant par les services de sécurité de l’ancien Président Mobutu que par les différents groupes rebelles qui ont envahi l’Est de la RDC en particulier. Ce document de plus de 500 pages répertorie les différentes atrocités et violations les plus graves des droits de l’homme et droits internationaux commises entre 1993 et 2003.
Dans ce numéro, Politico.cd poursuit avec la province du Maniema qui a été prise en terrain d’affrontements entre le gouvernement zaïrois (Zaïre, ancienne appellation de la RDC) qui a massé ses forces à Kindu et à Kisangani, en vue de lancer une contre-offensive dans les Kivu contre les combattants de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) à partir de 1996.
Tout commence par l’arrivée des premiers réfugiés dans la province du Maniema début 1997, en provenance du territoire de Walikale, au Nord-Kivu. Ils se sont tout d’abord dirigés vers la ville de Kisangani mais ont été bloqués par les Forces Armées Zaïroise (FAZ) et détournés sur le site de Tingi-Tingi, à 7 kilomètres de Lubutu, à proximité d’un aérodrome.
Les semaines suivantes, près de 120 000 réfugiés se sont installés dans un camp de fortune à Tingi-Tingi et entre-temps, 40 000 autres hutu rwandais, parmi lesquels une majorité d’ex-FAR/Interahamwe sont arrivés dans le village d’Amisi, à 70 kilomètres à l’est de Tingi Tingi.
Dès le début de 1997, les ex-FAR/Interahamwe ont utilisé le camp de Tingi-Tingi comme base de recrutement et d’entraînement en vue de mener une contre-offensive conjointe avec les FAZ contre les troupes de l’AFDL/APR. C’est qu’une coordination très étroite s’est instaurée entre les FAZ et les ex-FAR/Interahamwe.
Au mois de janvier 1997, de violents combats ont opposé les militaires de l’AFDL/APR aux ex-FAR/Interahamwe pendant plusieurs semaines au niveau du pont d’Osso, à la frontière entre les provinces du Nord-Kivu et du Maniema.
Après ces affrontements, dans le village de Mungele, les troupes de l’AFDL/APR ont pris le camp d’Amisi le 7 février. La majorité de la population du camp avait pu fuir en direction de Lubutu et s’est installée à côté du camp de Tingi-Tingi. Les derniers affrontements entre l’AFDL/APR et les ex-FAR/Interahamwe ont eu lieu dans le village de Mukwanyama, à 18 kilomètres de Tingi-Tingi.
Certains dignitaires de l’ancien régime rwandais ainsi que des réfugiés pouvant s’acquitter du prix du billet qui coûtait à l’époque 800 USD, ont pris place à bord d’avions commerciaux venus spécialement à Tingi-Tingi et sont partis pour Nairobi.
Dans la soirée du 28 février, les réfugiés, ayant appris que les troupes de l’AFDL/APR se trouvaient à 10 kilomètres de
Tingi-Tingi, ont quitté le camp en direction de Lubutu. Ils ont cependant été bloqués jusqu’au lendemain matin par les FAZ au niveau du pont sur la rivière Lubilinga, communément appelé pont Lubutu.
Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
• Dans la matinée du 1er mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR sont entrés dans le camp de Tingi-Tingi et ont tué sans discrimination ses derniers occupants. Bien que la plupart des réfugiés aient déjà quitté le camp, plusieurs centaines d’entre eux s’y trouvaient encore, parmi lesquels de nombreux malades soignés dans le
dispensaire et des enfants non accompagnés.
Selon les déclarations de témoins reportées dans le rapport Mapping , les troupes de l’AFDL/APR auraient tué la plupart des victimes à coups de couteau.
Toujours dans la même journée, des éléments de l’AFDL/APR ont ouvert le feu sur les réfugiés qui se trouvaient dans la queue de la colonne en fuite vers Lubutu et en ont tué plusieurs dizaines et d’autres centaines de réfugiés qui attendaient pour traverser le pont sur la rivière Lubilinga, dont les corps ont été enterrés mais la plupart des corps ont été jetés dans la rivière.
Ainsi, l’équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :
• Le 1er mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué 11 religieux réfugiés hutu rwandais sur la route de Kindu, à une vingtaine de kilomètres de Kalima, dans le territoire de Pangi. Parmi les victimes, ont note 8 abbés et 3 sœurs qui étaient réfugiées au Sud-Kivu depuis 1994. Ils avaient trouvé refuge à la paroisse de Kalima depuis le 22 février.
Après avoir pris la ville le 23 février, les troupes de l’AFDL/APR, ont demandé aux religieux de les suivre sous prétexte de les faire rentrer au Rwanda. Le 1er mars, les religieux sont montés à bord d’un minibus envoyé par les militaires. Au cours de la soirée, ces derniers ont tué les religieux à coups de bâton.
• En mars 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué quelque 200 réfugiés dans les territoires de Pangi et Kasongo. Les victimes étaient pour la plupart des rescapés des massacres commis dans le territoire de Shabunda, au Sud-Kivu.
Dans le camp de réfugiés ouvert près de l’aéroport de Kalima, dans le territoire de Pangi, les militaires ont tué 20 personnes au moins, principalement des femmes et des enfants qui attendaient l’arrivée de l’aide alimentaire fournie par le HCR.
A Kalima, les militaires ont fouillé des maisons, une après l’autre et ont exécuté les réfugiés qui s’y étaient cachés et battu les Zaïrois qui les avaient laissés entrer chez eux. Les militaires ont ensuite tué des réfugiés tout le long de la route entre Kalima et Kindu, notamment dans les villages de Kingombe Mungembe, Mumbuza, Kenye et Idombo. Les corps des victimes sont restés sur la route pendant plusieurs jours avant d’être enterrés par la population civile.
Au cours des semaines qui ont suivi, les militaires ont continué à traquer les réfugiés dans le territoire de Kasongo. Ils en ont tué un grand nombre dans les villages de Kisanji, Sengaluji et Karubenda. Les survivants se sont, pour la plupart, dispersés dans la forêt. Les témoins ont estimé avoir vu au moins 165 corps, mais le nombre total de victimes est probablement bien supérieur à ce chiffre.
Alors qu’il n’y avait plus d’affrontements entre les ex-FAR/Interahamwe/FAZ et les troupes de l’AFDL/APR, les massacres de réfugiés ont continué au cours des semaines qui ont suivi la chute de Tingi-Tingi.
En outre, les réfugiés appréhendés par les militaires de l’AFDL/APR basés à Lubutu ont été emmenés sur un site appelé Golgotha, à
3 kilomètres de Lubutu où ils ont été systématiquement exécutés.
L’incident allégué suivant a été documenté :
• Le 14 mars 1997, à l’occasion d’une mission conjointe, les organismes des Nations Unies et des ONG ont trouvé près de 2 000 réfugiés ayant survécu aux récents massacres, errant dans les camps de Tingi-Tingi et d’Amisi.
Aussi, le rapport Mapping indique que jusqu’à la fermeture officielle de ces camps le 2 avril, les militaires de l’AFDL/APR ont délibérément bloqué toute aide humanitaire, sanitaire et médicale destinée aux rescapés. MSF a rapporté qu’au cours de cette période la fourniture de soins
médicaux aux réfugiés avait été pratiquement impossible car les autorités de l’AFDL avaient interdit ou retardé toute mission humanitaire pour des raisons de sécurité.
En conséquence, les trois semaines qui ont suivi la prise du camp, plusieurs réfugiés sont morts à Tingi-Tingi faute d’aide humanitaire et médicale.
Signalons que les faits rapportés dans cet article ont été répertoriés dans les pages 106, 107, 108 et 109 du rapport Mapping.
Carmel NDEO