Le Nord-Kivu et l’Ituri, deux des provinces de la RDC en proie à l’insécurité depuis plusieurs années, sont désormais en état de siège. Pour les autorités congolaises, c’est au regard de la situation délétère actuelle, que le Chef de l’État a pris cette décision. Pierre Boisselet, coordonateur du Baromètre sécuritaire du Kivu, un projet du Groupe d’études sur le Congo (GEC), est dubitatif de l’opportunité de cet état de siège.
Dans un entretien accordé à POLITICO.CD, Pierre Boisselet fait déjà remarquer que les guerres asymétriques « sont particulièrement difficile à gagner ». Il estime que l’état de siège ne va pas résoudre la problématique de l’insécurité dans l’Est du pays.
« Il est certain que les guerres asymétriques sont particulièrement difficile à gagner. Et c’est effectivement le type de conflit qu’on observe, notamment sur le territoire de beni au Nord-Kivu. Comme je l’ai dit, je ne pense pas que l’état de siège résolve le problème, car les FARDC ont déjà le pouvoir nécessaire pour intervenir contre les groupes armés. Par ailleurs, les FARDC ont déjà une grande expérience dans ce type de lutte. Y compris sous la présidence de Félix Tshisekedi », confie-t-il.
Pierre Boisselet rappelle que plusieurs opérations militaires ont été lancées en 2019 en Ituri et dans le territoire de Beni mais « les massacres de civils se sont multipliés » après le lancement de ces opérations. Il dit constater que deux ans après, « le Président Tshisekedi semble lui-même considérer que la situation s’est aggravée ».
« En 2019, ont été lancées entre autres l’opération zaruba ya ituri, en juin en Ituri, puis l’offensive de grande envergure contre les ADF en octobre, sur le territoire de Beni au Nord-Kivu. A Beni, les massacres de civils se sont multipliés après le lancement de ces opérations. Chasser un groupe d’une zone ne change pas fondamentalement le problème s’il se déplace un peu plus loin, ou si un autre vient prendre sa place immédiatement. Je constate en tout cas que moins de deux ans après le lancement de ces opérations, le Président semble lui-même considérer que la situation s’est aggravée, puisqu’il proclame l’état de siège. A-t-on fait le bilan de ces opérations passées pour espérer faire mieux cette fois ? Je l’espère », constate Pierre Boisselet.
« Les FARDC ont besoin d’être réformées »
Pierre Boisselet annonce ne pas être persuadé que c’est l’état de siège qui manquait pour que l’Est soit pacifié. Il regrette que « dans le programme du gouvernement, on semble envisager les problèmes de l’Est essentiellement sous l’angle militaire, et la décision sur l’Etat de siège semble confirmer cela ». À l’en croire, « il sera difficile d’y parvenir sans une stratégie globale ». Pour ce faire, M. Boisselet soutient la mise en place d’une stratégie globale capable de faire intervenir des services divers de l’État.
« Je pense qu’une telle stratégie devra faire intervenir des services très divers de l’Etat : les services de renseignement, la police, la justice, la diplomatie, des programmes de démobilisation, etc. Il faut pouvoir identifier les soutiens que reçoivent les groupes armés et les empêcher. Et aussi comprendre pourquoi certains groupes armés reçoivent ce soutien, autrement dit, identifier les causes profondes des conflits, pour les résoudre. Les FARDC font partie de la solution, c’est certain. Mais elles ont besoin d’être réformées pour agir efficacement. Elles ont besoin de plus de moyens, d’une meilleure organisation, d’un meilleur contrôle, et d’une meilleure discipline, de la base jusqu’au sommet », suggère-t-il.
Le Baromètre sécuritaire du Kivu attend beaucoup de cette réforme des FARDC. La MONUSCO, elle doit aussi être réformée, selon Pierre Boisselet qui invite le Gouvernement congolais à porter une attention profonde et constante aux de l’Est.
« Je pense d’ailleurs que le nouveau ministre de la Défense, Gilbert Kabanda Kurhenga, l’a dit lorsqu’il a parlé de la nécessité d’améliorer « l’éthique » au sein des FARDC. Là encore, il faudra voir quelle sera sa stratégie pour y parvenir et quels sont les moyens (qu’) il aura à sa disposition. Mais cela me semble être une bonne orientation. La Brigade d’intervention de la MONUSCO, qui n’intervient plus vraiment depuis trois ans, doit aussi être réformée. Cela semble en cours.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, il faut une volonté politique importante et soutenue dans la durée, que le pouvoir de Kinshasa porte une attention profonde et constante aux problèmes de l’Est pour espérer pouvoir les résoudre », conclut le Coordonateur du Baromètre sécuritaire du Kivu.
Stéphie MUKINZI