4 juin 2021. La Cathédrale Notre Dame du Congo, au centre-ville de Kinshasa, est en effervescence. L’avenue de la Libération (ex-24 Novembre) qui la longe, est impraticable. Des dizaines de 4×4 s’entassent, à la recherche de parkings introuvables. A l’entrée de l’Église, un important dispositif sécuritaire est déployé. Des « grosses » têtes de Kinshasa ont rendez-vous ici. Jean Mbuyu, l’ancien Conseiller spécial en matière de Sécurité de Joseph Kabila, l’un des rares saints du FCC, débarque, flanqué d’un masque anti-covid tout rouge, avec un message jubilatoire à l’endroit de l’homme qu’il « accompagne » depuis 2001. Fidèle des fidèles, l’avocat congolais, qui n’a pas souvent été militant, catholique pratiquant et adepte de la musique classique, est heureux comme un enfant. Il monte les quelques escaliers de l’entrée principale de la paroisse pour finir par disparaître, en entrant dans la salle de messe.
Derrière lui, c’est un homme totalement différent. Grand militant, plus de muscle et moins de cerveaux, mais surtout candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2018, Emmanuel Ramazani Shadary arrive euphorique, accompagné de plusieurs dizaines de ses militants du PPRD, qui chantent et scandent, à la gloire de leur Président national, le Camarade Joseph Kabila. « Mais où est-il ? » finit par poser un passant, fatigué de chercher le visage du moment. « Il ne viendra pas », me rétorque Adam Chalwe, Secrétaire national du PPRD, au téléphone.
Un jubilé de Kabila sans Kabila
La gotha Kabiliste est pourtant là. L’Eglise, quant à elle, est pleine à craquer. La messe débute, aux allures festives. Puisqu’il s’agit quand même, contrairement aux apparences, d’un événement festif. Il y a 50 ans, naquit Joseph Kabila Kabange, l’homme qui a dirigé le Congo durant 18 ans. Il a mis fin à la guerre et au morcèlement du pays, a organisé des élections démocratiques trois fois et il est le premier à passer pacifiquement le flambeau à un autre. « Il est le père de la démocratie congolaise », ne cesse de le répéter Emmanuel Shadary. D’autres lui chercheront des superlatifs beaucoup plus prodigieux. Mais le fait est que cette messe est, en réalité, une séance de revue de troupes. Les Diadoques de Kabila s’y sont pointés comme si quelqu’un les avait menacés. D’autres cadres aussi. Malheur à celui qui aurait manqué.
Car, loin de la fête, loin de cette date fatidique du 4 juin, la famille politique de Joseph Kabila est en crise. Après avoir dirigé pendant dix-huit ans le pays, elle a dégringolé dans l’opinion, pour finir par perdre la présidentielle de 2018. Et comme le malheur arrive toujours avec ses copines, le flambeau passé à Félix Thisekedi s’avère être fatal au FCC. Pendant que Shadary, Tunda et les autres cadres n’avaient pas réalisé qu’ils avaient réellement perdu le pouvoir, le nouveau Président, surnommé « Béton », s’agace de leurs agissements et se lance dans une bataille pour renverser la majorité Kabiliste absolue. Quelques semaines ont suffi pour faire cogner le FCC à l’Iceberg de l’Union Sacrée. Débandade, panique à bord. Mais contrairement au capitaine du Titanic, qui a tellement tenu à son bateau au point de refuser de quitter le poste de commandement et couler avec, Joseph Kabila parait ici jouer lui-même le rôle de l’Iceberg.
« Résistez ou mourrez »
Tenez, depuis le début de la débâcle du FCC, l’Autorité morale s’est retirée de la capitale, établissant ses quartiers généraux dans la ferme de Kashamata. Et pendant que sa propre majorité destituait Jeanine Mabunda, puis Alexis Thambwe à la tête des deux chambres du Parlement congolais, Joseph Kabila n’a daigné réagir, permettant certes la constitution d’une cellule de crise. Mais depuis Lubumbashi, rien de concret ne sera fait.
Marie-Ange Mushobekwa, qui faisait partie de cette équipe d’élite censée colmater la brèche, mais quelle brèche ( !), qui fait couler le Titanic FCC, a fini par regagner Kinshasa où elle a pris une certaine indépendance vis-à-vis de la coalition, se focalisant sur son propre parti. Pendant ce temps, tous ceux qui sont allés se plaindre chez Joseph Kabila ont été soit reçu, soit appelés simplement à distance à « résister ».
Mais résister à quoi ? Que faire face aux eaux qui envahissent le bateau FCC depuis l’intérieur ? La réalité est dès lors manifeste et trouve peut-être son explication dès la naissance du FCC. Car en effet, pendant que Kabila cherchait un moyen soit à passer le flambeau à un de ses auxiliaires, soit à demeurer au pouvoir, ses proches ont fini par le convaincre que créer une coalition composée de débauchés et des grands politiciens congolais comme Mbikayi et Bitakwira était une garantie absolue pour pérenniser son pouvoir à l’image de tous les autres partis au pouvoir dans la sous-régions des grands lacs.
Dès lors, le FCC, coalition des nationalistes présumés, autour de Joseph Kabila, avait en lui-même les germes de sa mort. Une pléthore d’opportunistes allait faire bloc commun en vendant du vent à Kabila. L’autre partie de la coalition est composée des meilleurs traitres de la République. Bruno Tshibala est gratifié de sa traitrise contre Tshisekedi. Lisanga Bonganga aussi. Bref, une équipe de bras cassés qui rêve de remporter une finale de NBA.
Mais « JK » n’est pas dupe. Il n’y a qu’à Limete où on croit qu’il est dépourvu des capacités d’analyse. Pendant que le Chef d’orchestre Néhémie Mwilanya entonnait sa coordination d’instruments, Kabila « dégamme». Il désigne Emmanuel Shadary comme candidat de la coalition à une présidentielle redoutée. Il les fait arroser des sommes mirobolantes pour une campagne électorale funeste, connaissant leur amour de l’argent. Mais au lieu d’embarquer avec eux, le voilà niché sur l’Iceberg de l’arrivée, où il prépare calmement la donne « Béton », comme alternative viable à son avenir tant personnel que politique.
Le Titanic cogne. Il coule, le FCC est traumatisé par le choc. Les premiers charognard quittent le bateau pour rejoindre l’Union Sacrée où Félix Tshisekedi les attend au tournant. Ceux qui sont restés, les « Musiciens du Titanic », ont longtemps refusé d’admettre la réalité. Pendant que le bateau coule, les voilà qu’ils sortent leurs instruments et entonnent une dernière note de capharnaüm.
Dans la Cathédrale Notre Dame du Congo — Église des catholiques autrefois cible d’attaques des jeunes du même FCC — remplie telle un pneu « tubeless », ils chantent, à la gloire de l’autorité morale, en coulant. Une autorité morale qui ne daigne se déplacer pour les écouter. De là en haut, sur le toit de l’Iceberg où il a pris soin de se préserver, il regarde sans doute le spectacle, ricanant surement, dans un silence assourdissant et une capacité du désintérêt arithmétiquement impossible à atteindre par le commun des mortels. La suite n’est qu’une récital où furie et europhorie s’entremêlent, les derniers cris d’hommes piégé et finis. Les cris des musiciens du Titanic coulant.
Litsani Choukran, Le Fondé.
3 commentaires
Je suis sûre que même leurs enfants se moquent d’eux !!!
Triste réalité de la politique et des hommes politiques congolais. Il reste maintenant à savoir si les « opportunistes et traîtres » du FCC pourront démentir la véracité de l’adage qui affirme: »les mêmes causes produisent les effets ». L’USN pourra-t-elle réussir à convertir véritablement ces irréductibles personnages en vrais et fidèles alliés ?
Une très belle réflexion, chapeau bas à vous cher éditeur.
Encore félicitations.