En tant que personnalité ayant gérée de nombreuses crises au cours de mes 33 années de vie professionnelle, il est de mon devoir d’apporter aux gouvernants ma petite pierre afin de contribuer à l’édifice de la lutte contre le coronavirus.
En cette période de fortes turbulences qui nous affectent tous, ne baissons surtout pas la garde par rapport à la lutte contre la pandémie du covid-19. En effet, de nombreux défis sanitaires sont à relever au regard de l’augmentation du nombre de cas de contagion, 327 au 18 avril dont 315 à Kinshasa. Ces défis majeurs sont :
(A) Planification et coordination
La commune de la Gombe, épicentre du virus, est confinée depuis le lundi 06 avril dernier. D’autres communes plus peuplées le seront probablement dans les prochaines semaines. Comme nous le savons tous, gouverner c’est prévoir.
Ainsi, il faudra planifier pour le pire des scénarios tout en espérant que le meilleur primera et faire en sorte que chaque secteur concerné par la riposte joue sa partition sans fausse note sous la conduite d’un seul chef d’orchestre.
Parallèlement, afin d’appuyer notre économie, faisons appel aux services des entreprises locales qui sont parties prenantes dans la lutte contre le virus et qui ont la capacité de produire, transformer, transporter, distribuer et livrer leurs biens et services rapidement et à grande échelle. Ces entités de production se recruteront principalement dans l’agro-alimentaire, le transport, les médias, les télécoms et les banques ainsi que dans les secteurs pharmaceutique, plastique et textile.
Par ailleurs s’agissant des entreprises sélectionnées, faisons-nous un honneur de payer systématiquement leurs prestations avec nos propres moyens. Les aides extrabudgétaires des bilatéraux et multilatéraux ainsi que celles des donateurs institutionnels privés et des particuliers devront servir à autre chose qu’au paiement des rémunérations, primes administratives des commissions ad hoc et autres primes.
A cet effet, il serait sage d’instaurer un comité de veille composé de personnalités indépendantes de hauts niveaux pour s’assurer de la bonne affectation et utilisation des fonds alloués à la riposte. Une fois la pandémie vaincue, ce comité devra rédiger et publier un rapport final.
(B) Communication et sensibilisation
Afin de s’assurer que la rumeur ne prenne pas le dessus sur l’information officielle, il faut parler franchement, d’une seule voie audible et forte, tout en restant factuel pour ne pas se dédire.
L’idéal dans la communication serait de fixer une seule et même tranche d’heure journalière auprès des médias partenaires pour communiquer officiellement. Cela obligerait tout auditeur et téléspectateur en ligne dans ladite tranche d’heure de vous suivre. En appui à cette stratégie, demandez aux sociétés de télécoms de notifier vos statistiques (et peut-être d’autres infos) par SMS à tous leurs 40 millions d’abonnés répartis sur l’ensemble de la République. Quand bien même l’arrière pays est faiblement touchée (12 cas confirmés à ce jour), l’évolution de la lutte contre le coronavirus est suivie avec anxiété en provinces.
Et enfin, présentez régulièrement votre bilan en commentant les statistiques, les difficultés rencontrées sur terrain ainsi que les progrès réalisés face à la propagation du virus tout en remerciant tous ceux qui vous assistent. Ne laissez surtout pas la partie commentaire aux seuls journalistes.
(C) Dépistage, isolement et fourniture des soins de santé
Peu d’informations sont disponibles sur les centres et kits de dépistage. Il en va de même sur les centres d’isolement et les soins prodigués. Le mode opératoire est de « dépister, isoler les contaminés et les soigner ». Ceci pourrait faire l’objet d’une communication particulière et approfondie.
En effet, les dernières statistiques du samedi 18 avril indiquent 297 tests réalisés pour 327 cas de contamination. Or au 17 avril, les mêmes statistiques indiquaient 147 tests réalisés pour 287 cas. Autrement dit, le taux de dépistage par rapport au nombre de contaminations passe de 50 à 90 %. Cette amélioration sensible de performance soulève pas mal d’interrogations, notamment de fiabilité. A l’équipe de riposte de nous éclairer davantage.
Certaines des 20 grandes formations hospitalières que compte Kinshasa ont été sélectionnées comme centre d’isolement et de soins. Or, les échos qui nous parviennent nous indiquent que les conditions d’hygiène et de prise en charge des malades sont déficientes. Par conséquent, mettons les moyens nécessaires pour significativement améliorer ces conditions et qu’une fois hospitalisés les malades ne fuient pas.
Il est vrai que les équipes médicales kinoises sont confrontées pour la première fois à une pandémie pour laquelle elles sont peu préparées ou formées. Peut-être pourrions-nous les renforcer avec celles qui ont gérées le virus Ebola.
(D) Protection et motivation des professionnels de santé, des forces de l’ordre et autres travailleurs se retrouvant au front en première ligne
L’inventaire du matériel médical en général et celui de protection du personnel soignant en particulier sont bien connus. Assurons-nous de leur bon fonctionnement et complétons ce qui manque. C’est ici où les Gouvernorats des provinces ainsi que les partenaires de l’étranger peuvent nous aider. Sollicitons les !
S’agissant de la motivation des professionnels de santé, prévoyons et payons des primes de risques uniquement à ceux qui sont en première ligne. Quant à la motivation des forces de l’ordre, celle-ci pourrait prendre la forme de colis de vivres conséquents comme on le fait d’habitude en période de fin d’année.
(E) Distribution de vivres et d’eau dans les communes confinées aux populations démunies et vivant au jour le jour
En cas de confinement dans de telles communes, il faut un bon plan de distribution qui doit s’appuyer sur les chaînes d’approvisionnement et les moyens logistiques des professionnels de l’agro-alimentaire, des supermarchés ainsi que ceux du secteur des emballages.
En effet, la plupart des denrées alimentaires sont conditionnées dans des cartons et sacs pesant 10 à 50 kg ou contenant des articles allant de 10 à 100 pièces. Cela ne facilite pas une distribution ciblée.
Aussi, un reconditionnement d’emballages est nécessaire pour une distribution aisée et ne passant pas par des intermédiaires comme les gestionnaires des marchés. Pour les produits locaux cela est possible. Pour les produits importés, il faut penser à des nouvelles normes et les communiquer aux fournisseurs étrangers.
Et enfin pour terminer, veillons à suppléer à la production et distribution d’eau notamment par le forage de puits, l’installation de stations communes d’eau et la distribution par des camions citernes aussi bien des privés, des pompiers que de la Regideso. N’oublions pas que l’eau c’est la vie.
(F) Maîtrise des prix à la consommation
Suite aux fermetures des frontières chez nous comme ailleurs et à l’arrêt de l’économie mondiale, il faut s’attendre à terme à une rupture d’approvisionnement en denrées alimentaires ainsi qu’à une baisse de l’offre de devises en espèces sur les marchés. Cela mettra une pression sur les prix et le taux de change.
Aussi, en étroite collaboration et coordination avec les importateurs et les banquiers, identifions déjà les pays d’importation qui pourront éventuellement nous fournir et auprès desquels nous pourrons passer commande. Et parallèlement, faisons appel aux compagnies aériennes nationales pour effectuer simultanément et du cargo et du transport de devises.
(G) Aux gouvernants
Prenez soin de vous, prenez soin de nous tous afin que nous aussi nous prenions soins de nous-mêmes, de nos proches et de notre prochain !
Jean-Claude Masangu Mulongo
Gouverneur Honoraire de la Banque Centrale du Congo
Kinshasa, le 19 avril 2020
Un commentaire
Cher gouverneur, cher Jean Claude, heureux de vous savoir actif et pertinent.
Roland Branquart