L’histoire des populations originaires du Rwanda « Banyarwanda », Hutu comme Tutsi reste controversée depuis des décennies à l’Est de la RDC, et marque le début des violences ethniques, plus particulièrement dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu.
Pour le Nord-Kivu, le poids démographique et économique croissant des Banyarwanda était une source de tension avec les autres communautés du Nord-Kivu, à l’instar des Hunde, des Nyanga, des Tembo, des Kumu et des Nande.
Selon le Rapport Mapping des Nations-Unies publié en 2010, les Banyarwanda se sont installés en RDC, dès avant le partage colonial de 1885, date marquant la conférence de Berlin. Suite aux mouvements migratoires successifs en cette période, les Banyarwanda étaient devenus une importante communauté de la province.
Après plusieurs années, cette communauté a reçu le soutien de membres influents à Kinshasa. Ce qui leur avait permis d’acquérir un grand nombre de terres et de têtes de bétail et de prendre le contrôle de plusieurs réseaux commerciaux importants dans la région du Kivu et parfois au détriment des populations locales.
Ce rapport révèle que cette emprise croissante sur la province était souvent mal vécue par les autres communautés, jusqu’à susciter des révoltes et plus tard soulever des questions identitaires. En cette même période, les communautés locales remettaient en question la loi sur la nationalité zaïroise du 5 janvier 1972, une loi abrogée par le Président Mobutu en 1980, une décision qui a créé la confusion dans les esprits des communautés, étant donné que les Banyarwanda possédés déjà les cartes d’identité zaïroise ainsi que leurs titres fonciers.
« Ces dernières accusaient notamment les Banyarwanda de voler leurs terres avec la complicité de l’État central et de violer les droits ancestraux de leurs chefs coutumiers. Leur mécontentement était attisé par le fait que beaucoup de Banyarwanda n’étaient arrivés au Zaïre qu’au début des années 1930 et qu’ils n’avaient acquis la nationalité zaïroise qu’en vertu d’une loi contestée du 5 janvier 1972. Loin de clarifier la situation, l’abrogation de cette loi par le Président Mobutu au début des années 1980 avait créé la confusion sur le terrain et relancé la polémique. En effet, les Banyarwanda avaient pu conserver leur carte d’identité zaïroise ainsi que leurs titres fonciers. Mais les autres communautés les considéraient comme des réfugiés et des immigrés dont les titres de propriété étaient sans valeur par rapport aux droits ancestraux détenus par les nationaux » ; révèle l’équipe Mapping.
Pendant que le Zaïre, actuel RDC, était sur la voie de la démocratisation du pays avec la projection de la tenue des élections en 1989, il s’était remarqué un refus total d’une partie de la population de laisser les Banyarwanda prendre part aux élections locales, un refus qui avait débouché sur des incidents violents et obligeait le Gouvernement à reporter les élections au Nord-Kivu ; souligne le rapport.
Le Multipartisme, une opportunité pour les Banyarwanda ?
Le début des années 1990 marque le processus de la démocratisation du Zaïre, afin de rétablir le multipartisme. Bien que fallacieuse, la libéralisation des activités politiques a occasionné la compétition pour le pouvoir entre différentes communautés de la province. Un camp des communautés locales, dites « autochtones » a engagé une guerre ouverte contre les Banyarwanda. Des mouvements de contestations ont été signalés pour contester de plus en plus les droits politiques et fonciers des Banyarwanda, qui s’étaient déjà constitués en Mutuelle agricole des Banyarwanda hutu, appelée la « MAGRIVI ». Par la suite, la MAGRIVI était sortie du silence en accusant les autorités provinciales du Nord-Kivu, dominées par les Nande et les Hunde de chercher à les priver de leurs droits politiques. En cette même période, certains d’entre eux se sont alors radicalisés et en mi-1991, ont mis sur pied des petits groupes armés et ont signé leur première attaque contre les agents en charge du recensement de la population dans le territoire de Masisi.
A cette époque, pendant que les partenaires occidentaux faisaient à leur allié Mobutu Sese Seko, qui s’appelait « Roi du Zaïre » avec son parti unique, le « Mouvement Populaire de la Révolution », MPR. Celui a convoqué la conférence nationale souveraine, CNS, réunissant tous les leaders politiques du pays.
A ces assises, la question des Banyarwanda a été évoquée. Les délégués Nande et Hunde ont fait pression pour que les Banyarwanda ne puissent pas participer aux futures élections. Sur place au Nord-Kivu, les autorités locales, à l’instar le gouverneur de province à l’époque, qui était de la Communauté Nande, Jean-Pierre Kalumbo a encouragé l’enrôlement des jeunes autochtones dans des milices d’autodéfense tribale (la Ngilima pour les Nande et les Mayi-Mayi pour les Hunde et les Nyanga) afin de faire contrepoids aux miliciens issus de la MAGRIVI ; révèle la même équipe des Nations Unies dans son rapport.
Elle révèle qu’à partir de 1992, les conflits d’ordre foncier et les assassinats à caractère ethnico-politique se sont multipliés et chaque communauté a commencé à vivre dans la psychose d’une attaque de l’autre communauté. En 1993, poursuit-elle, les populations Hunde et Nyanga du territoire de Walikale croyaient ainsi à l’imminence d’une attaque des Banyarwanda hutu. Au cours du mois de mars 1993, le Gouverneur nande Jean-Pierre Kalumbo a appelé les Forces Armées Zaïroises (FAZ) pour venir aider les Ngilima et les milices nyanga et hunde (à exterminer les Banyarwanda). Le 18 mars, le Vice-Gouverneur Bamwisho, originaire du territoire de Walikale, s’est rendu dans le village de Ntoto où il a prononcé un discours incendiaire contre les Banyarwanda.
Dans ces enquêtes, l’équipe Mapping des Nations Unies avait documenté plusieurs cas de violations des droits humains et autres incidents dans les territoire de Walikale, Masisi, Rutshuru et même à Lubero, elle cite :
• Le 20 mars 1993, des éléments armés Mayi-Mayi hunde et nyanga ont tué des dizaines de paysans banyarwanda hutu au niveau du marché de Ntoto, un village situé à la frontière des territoires de Walikale et de Masisi. Ces Mayi-Mayi ont attaqué les Hutu à l’aide de fusils, d’armes blanches, de flèches et de lances. Le 21 mars 1993, le même groupe Mayi-Mayi a tué 3 des dizaines de Banyarwanda à Buoye, un village voisin de celui de Ntoto. L’attaque a eu lieu alors que les victimes sortaient des églises catholiques et protestantes du village. De nombreux Banyarwanda hutu se sont noyés dans la rivière Lowa en tentant d’échapper aux assaillants.
• Durant les mois de mars et avril 1993, des éléments armés Mayi-Mayi hunde ont tué un nombre indéterminé de civils hutu dans le quartier Kambule du village de Katoyi, dans le territoire de Masisi. Avant de quitter Kambule, ces Mayi-Mayi ont incendié les habitations appartenant aux Hutu.
• Au cours du mois d’avril 1993, des éléments armés hutu ont tué au moins douze civils hunde, parmi lesquels des enfants dans le village de Mulinde du territoire de Masisi. Les victimes ont été tuées à coups de machette, de houe et de hache.
• En avril 1993, des éléments armés hutu ont tué une cinquantaine de personnes, pour la plupart des Hunde, dans le village de Ngingwe, situé dans la collectivité Bashali, au nord-est du territoire de Masisi.
• En avril 1993, des éléments armés hutu ont incendié l’école primaire et le poste de santé du village de Kiusha dans la collectivité de Bashali, en territoire de Masisi. Dans le village de Muhongozi, ils ont incendié l’église de la 8e CEPZA (actuellement CEPAC) et tué un nombre indéterminé de civils.
• Le 22 juillet 1993, des éléments armés hutu, soutenus par des FAZ, ont tué au moins 48 personnes parmi lesquels une majorité de Hunde mais aussi trois Hutu dans le village et aux alentours de Binza, situé au nord du territoire de Masisi. Les victimes ont été tuées par balles ou à coups de machettes ou de lances. Selon un témoin oculaire, certaines victimes ont été mutilées et une femme enceinte a été éventrée. Plusieurs autres villages ont été attaqués dans les environs de Binza au cours de cette période, parmi lesquels celui de Kalembe, le 25 juillet 1993.
• Le 7 septembre 1993, des miliciens hutu ont tué au moins 38 déplacés hunde parmi lesquels des femmes et des enfants dans le village de Kibachiro au niveau de la colline Karobe. Les victimes avaient fui leur village et s’étaient regroupés à Kibachiro du fait de l’insécurité régnant dans le territoire.
Bien que le nombre total des morts survenues au cours de ces conflits est extrêmement difficile à déterminer, les tueries ont été signalées dans toutes les communautés confondues. Lorsqu’il est possible de se rendre sur les lieux, il est rare de retrouver des témoins directs des événements, car les guerres successives qui ont ravagé la province ont souvent entraîné le déplacement des populations des villages attaqués. Parlant des massacres du village de Ntoto, le rapport Mapping estime que le chiffre le plus souvent avancé est celui de 500 morts (Ndlr : Mémorandum des communautés hutu et tutsi du Nord-Kivu à la commission d’enquête sur les massacres de Walikale, Masisi et Bwito en mars et avril 1993, 25 avril 1993 ; Didier Kamundu Batundi, « Mémoire des crimes impunis, la tragédie du Nord-Kivu », 2006, p.36). L’ONG Médecins sans frontière (MSF) cité par ce rapport, note qu’en 1995 que, de 6 000 à 15 000 personnes avaient trouvé la mort entre mars et mai 1993, et que ces violences avaient provoqué le déplacement de 250 000 personnes.
Face à l’accrue des violences intercommunautaires, le Président Mobutu s’est rendu à Goma et a déployé les militaires de la Division spéciale présidentielle (DSP) en juillet 1993, afin de rétablir l’ordre dans cette partie du pays. La même période, des changements ont été engagés à la tête de la province dans le sens d’une représentation plus équilibrée des différentes communautés et aux concertations organisées entre les diverses associations de la société civile, organisées entre novembre 1993 et février 1994 ; un événement historique qui a contribué au retour progressif du calme dans la province. Toutefois, la même source fait savoir que « les problèmes de fond à l’origine du conflit n’ont pas été réglés et la situation demeurait très fragile lorsque plus de 700 000 réfugiés hutu rwandais, une partie de l’état-major des ex-FAR et de nombreux miliciens Interahamwe responsables du génocide des Tutsi sont arrivés dans la province du Nord-Kivu entre le 14 et le 17 juillet 1994 ». Leur installation durable a engendré un surcroît d’insécurité. Elle a surtout ravivé chez les communautés en conflit avec les Banyarwanda la crainte d’une domination rwandaise dans la région. Les éléments armés hutu issus de la MAGRIVI se sont en effet très vite rapprochés des ex-FAR/Interahamwe et ont renforcé leur position face aux Mayi-Mayi hunde et nyanga et à la Ngilima des Nande. À partir de la fin de l’année 1994, la guerre ethnique a repris avec un degré de violence encore plus élevé qu’en 1993 ».
Le même rapport renseigne qu’au cours de cette période, la solidarité entre Banyarwanda hutu et Banyarwanda tutsi a volé en éclat. Depuis plusieurs années, cette solidarité avait déjà été mise à l’épreuve car de nombreux Banyarwanda tutsi étaient partis combattre au sein du Front patriotique rwandais (FPR) tandis que de nombreux Banyarwanda hutu collaboraient avec les forces de sécurité du Président rwandais Juvénal Habyarimana afin d’empêcher le FPR de recruter des combattants au Zaïre.
Il souligne qu’ « Après le génocide des Tutsi au Rwanda et la prise du pouvoir du FPR à Kigali, la rupture fut consommée entre les deux groupes ethniques. Entre juillet 1994 et mars 1995, plus de 200 000 Tutsi ont quitté la province du Nord-Kivu et sont rentrés au Rwanda. Certains sont partis volontairement afin de profiter des opportunités d’embauche offertes au sein de l’armée et de l’administration du nouveau régime rwandais. D’autres ont fui l’hostilité grandissante des Banyarwanda hutu et les attaques des ex-FAR/Interahamwe ainsi que la reprise de la guerre ethnique entre les Banyarwanda hutu et les Mayi-Mayi hunde et nyanga ».
Par ailleurs, pour l’équipe Mapping, la situation pour la communauté tutsi restée à Goma est devenue de plus en plus difficile à partir de la seconde moitié de 1994. Les Tutsi vivant au Nord-Kivu ont été victimes de harcèlement de la part des autres communautés et, dans certains cas, des autorités. Ils ont souvent perdu leur travail et sont devenus la cible de menaces, d’actes d’intimidation et d’extorsion, de viols et de pillages. Un nombre indéterminé de Tutsi auraient été maltraités et tués, ou auraient disparu à cette époque.
En juillet 1994, près de 1,2 millions de réfugiés hutu rwandais au lendemain du génocide des Tutsi du Rwanda se sont réfugiés sur le territoire Zaïrois, chose qui a aggravé le tissu social des communautés des provinces du Nord et du Sud-Kivu, avec les Banyarwanda qui n’étaient pas bien perçus dans ces provinces.
En 1995, cette communauté a tenté de reprendre le contrôle de la situation sur le terrain, afin de satisfaire les demandes des autorités rwandaises, le Gouvernement zaïrois a décidé d’expulser des réfugiés hutu. L’équipe Mapping indique que, du 19 au 23 août 1995, des militaires des FAZ ont rapatrié de force plusieurs milliers de réfugiés rwandais du camp de Mugunga, situé à quelques kilomètres de la ville de Goma. Les réfugiés ont été conduits dans des camions jusqu’à la frontière puis ont été remis aux autorités rwandaises. Des militaires zaïrois ont profité de l’opération pour piller les biens des réfugiés et incendier des cases et des boutiques ouvertes dans le camp.
De nombreux réfugiés, convaincus qu’ils seraient tués à leur retour au Rwanda, ont préféré fuir les camps pour se mélanger à la population banyarwanda hutu vivant dans les campagnes environnantes. Leur arrivée dans ces régions s’est accompagnée de nouvelles vagues de pillages et a provoqué une intensification de la guerre intercommunautaire dans le Masisi et le Rutshuru.
Des incidents documentés par l’équipe Mapping note que le 17 novembre 1995, des éléments armés hutu ont tué une quarantaine de Hunde lors d’une attaque contre le village de Mutobo dans le territoire de Masisi. Le chef coutumier Bandu Wabo, de la Communauté Hunde a été tué et des éléments armés hunde reunis dans les groupes maï-maï s’étaient vengés, jusqu’à tuer entre 26 et 30 Hutu ainsi que quatre militaires des FAZ dans le village de Bikenge dans le territoire de Masisi.
« Si certains groupes maï-maï hunde se sont alliés avec eux, d’autres les ont attaqués au même titre que les ex-FAR/Interahamwe et les éléments armés hutu issus de la MAGRIVI. Au cours de l’année 1995, l’attitude des forces de sécurité zaïroises est devenue de plus en plus ambiguë. Si dans certains cas, elles ont protégé les Tutsi face aux attaques des groupes armés et de la population civile, dans d’autres cas, elles les ont pris directement pour cibles »; poursuit le rapport Mapping.
Quelques mois plus tard, soit en 1996, des éléments des forces de sécurité zaïroise ont expulsé de force vers le Rwanda un nombre indéterminé de Tutsi vivant dans la ville de Goma ainsi que dans les territoires de Rutshuru, de Masisi et du Lubero, une expulsion suivi des traitements inhumains et dégradants des populations ; suivie par des pillages de nombreuses maisons appartenant à des Tutsi et réquisitionné des propriétés leur appartenant, des faits produits par des éléments FAZ.
Au cours de cette même période, l’équipe mapping dresse un tableau sombre des incidents documentés :
• Aux alentours du 3 février 1996, des éléments armés Mayi-Mayi hunde ont tué au moins 18 civils tutsi dans la « ferme d’Osso », située à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Goma dans le territoire de Masisi. Ces Mayi-Mayi ont également pillé le bétail et les biens trouvés sur place. Les victimes appartenaient à un groupe de déplacés internes de plusieurs centaines de Tutsi qui s’étaient installés sur le site à la fin de l’année 1995.
• Le 4 mars 1996, des éléments armés hutu et des ex-FAR/Interahamwe ont tué une dizaine de Banyarwanda tutsi dans le village de Bukombo du territoire de Rutshuru. Certains victimes sont mortes brûlées vives dans l’incendie de leur maison. D’autres ont été tuées à coups de machette. Avant de partir, les assaillants ont pillé et incendié plusieurs habitations. Les rescapés se sont enfuis vers la paroisse de Birambizu où ils ont été de nouveau attaqués au cours des semaines suivantes.
• Le 12 mai 1996, des éléments armés hutu ont tué plusieurs dizaines de déplacés hunde et tutsi dans le monastère de Mokoto situé dans le nord-est du territoire du Masisi. Au début du mois de janvier 1996 plusieurs centaines de déplacés hunde et tutsi fuyant les attaques des éléments armés banyarwanda hutu et des ex-FAR/Interahamwe avaient trouvé refuge dans le monastère. Au cours des jours suivants, quelques centaines de rescapés ont quitté Mokoto pour se réfugier à Kitchanga127.
• Entre les 8 et 11 juin 1996, des éléments armés hutu et des ex-FAR/Interahamwe venus des camps de Katale et Mugunga ont tué des dizaines de civils tutsi dans les environs de Bunagana et Jomba, dont le chef du poste d’encadrement administratif de Chengerero, un village situé à 10 kilomètres de Bunagana. Le massacre aurait eu lieu en représailles à l’attaque perpétrée par des militaires rwandais et ougandais à Bunagana quelques jours auparavant. Il aurait entraîné la mort d’au moins une vingtaine de civils banyarwanda hutu.
Après ces incidents graves, et face à l’insécurité grandissante dans les territoires de Masisi et Rutshuru, les FAZ ont mené en 1995 plusieurs opérations contre les différents groupes armés et milices opérant dans la province du Nord-Kivu. Au cours de ces opérations, les FAZ ont commis de multiples exactions à l’encontre des populations civiles, dont la tuerie d’une des dizaines de civils, la plupart des victimes étaient plus de la communauté hunde, dans le village de Masisi et les villages environnants par des militaires des FAZ et des miliciens hutus. Les militaires ont également pillé et incendié une partie de Masisi, détruisant de nombreux bâtiments publics parmi lesquels une école. Ces attaques auraient été décidées en représailles à la mort de quatre membres des FAZ dans le village de Bikenge, le 9 décembre 1995.
Par la suite, le Gouvernement zaïrois a décidé d’envoyer dans le Masisi près de 800 militaires de la Division spéciale présidentielle (DSP), des membres du Service d’action et de renseignements militaires (SARM) et des unités Para-commandos du 312ème bataillon, pour l’opération baptisée « Kimia » en swahili, qui veut dire « paix ».
Notre source pense que cette opération a permis de ramener un calme précaire dans le territoire pendant quelques semaines. « Faute de troupes et de soutien logistique et financier suffisants, l’opération n’a cependant pas permis de désarmer un nombre suffisant de miliciens. Par ailleurs, plutôt que de combattre les groupes armés, certaines unités de l’opération Kimia se seraient livrées au pillage des troupeaux et auraient monnayé leur protection aux Tutsi souhaitant être escortés jusqu’à Goma ou au Rwanda »
Une année après, soit en mai 1996, le Gouvernement zaïrois a lancé l’opération « Mbata » « gifle » en lingala afin de désarmer les Maï-maï hunde et nyanga ainsi que la milice Ngilima des Nande. Cependant, l’opération s’est de nouveau soldée par un échec en raison du manque de motivation des unités engagées, de l’hostilité de la population locale et de la résistance des groupes armés visés.
Elle renseigne que le 10 mai 1996, des éléments armés nande ont tué au moins quatre Banyarwanda hutu dans le village de Vitshumbi en territoire de Rutshuru. Citant (Ndlr : les entretiens avec l’équipe Mapping, Nord-Kivu, avril 2009 ; Action paysanne pour la construction et le développement communautaire intégral (APREDECI), Mission d’enquête sur la situation des droits de l’homme dans la province du Nord-Kivu, 1997, p7-8), la population locale aurait fait appel aux membres de la Ngilima afin qu’ils chassent les FAZ qui commettaient des exactions dans le village.
« Les Banyarwanda hutu auraient été pris pour cibles en raison de leur collaboration supposée avec les FAZ. Le 19 mai 1996, dans le cadre de l’opération Mbata, des militaires des FAZ ont tué un nombre indéterminé de civils accusés de soutenir les éléments armés de la Ngilima parmi lesquels un pasteur pentecôtiste lors d’une attaque contre le village de Vitshumbi. Après la reprise de Vitshumbi, les militaires ont enfermé la population civile pendant deux jours dans les églises du village. Ils ont également pillé le village. Le 29 mai 1996, des militaires des FAZ ont massacré plus de 120 civils dans le village de Kibirizi situé dans la collectivité Bwito dans le territoire de Rutshuru. Les FAZ ont bombardé le village à l’arme lourde et incendié plusieurs maisons » ; lit-on dans ce rapport.
Et de poursuivre : « en juin 1996, des militaires des FAZ ont massacré plus d’une centaine de personnes dans le village de Kanyabayonga du territoire de Lubero. La plupart des victimes ont été tuées lors du bombardement du village à l’arme lourde et de l’incendie volontaire de centaines de maisons. Kanyabayonga était considéré comme l’un des fiefs de la Ngilima et la plupart des victimes étaient des éléments armés nande ou des civils suspectés de soutenir le groupe ».
L’équipe Mapping estime enfin que cette guerre interethnique aurait fait en 1995 près de mille morts et provoqué le déplacement de 100 000 personnes. « En juin 1996, la province comptait entre 100 000 et 250 000 déplacés. On estimait alors que depuis 1993, entre 70 000 et 100 000 personnes étaient mortes du fait de la guerre ethnique dans la province. Ces chiffres restent impossibles à vérifier en raison de l’absence de statistiques fiables et du grand nombre de disparitions forcées survenues à l’époque dans la province. Un cas allégué illustratif de la pratique très répandue des disparitions forcées a pu être documenté par le Mapping et est présenté ci-dessous à titre d’exemple. Le 16 août 1995, deux civils hunde ont disparu en se rendant dans les champs situés dans les environs de la localité de Kitchanga au carrefour des territoires de Masisi, Walikale et Lubero. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés. La population a toujours suspecté les miliciens hutu présents dans les environs de les avoir fait disparaître ».
Plusieurs organisations ont par la suite déploré d’autres actes inhumains, notamment des pillages des bâtiments destinés à l’enseignement, les hôpitaux et les dispensaires ont été régulièrement ciblés, en particulier dans le territoire du Masisi.
Ce genre de violation contre les communautés a également été signalé dans la Province Orientale et celle du Sud-Kivu.
Thierry M. RUKATA