« Les Grandes Idées », c’est une tribune accordée aux intelligences congolaises pour apporter un regard prospectif sur les grands enjeux politiques de la RDC et de l’Afrique médiane. Jean-Jacques Wondo ouvre cette rubrique avec une tribune tout aussi profonde que riche en enseignement. Wondo est un scientifique de terrain dont l’œuvre touche la sécurité, la diplomatie et la politique dans sa globalité. JJ Wondo se questionne sur le financement, l’agenda, les enjeux, les caractéristiques d’une opposition à géométrie variable, l’absence de Kamerhe… Alors politiquons!
L’actualité de la République démocratique du Congo reste suspendue à la rencontre des leaders de l’opposition, prévue le 8 juin à Bruxelles, à l’initiative d’Etienne Tshisekedi, le président national de l’UDPS. Quelle lecture peut-on faire de cette rencontre ? Tel est l’objet de mon opinion personnelle reprise dans les lignes suivantes.
Une rencontre politique aux contours évasifs
Il faut cependant replacer l’esprit de la rencontre du Château du Lac de Genval dans le contexte de double blocage du processus électoral et du dialogue politique censé débloquer ce dernier.
Il s’agit d’une prise de responsabilité patriotique de la « fille ainée » de l’opposition congolaise qu’il faudrait inscrire dans la dynamique des initiatives nationales et internationales entreprises actuellement en vue de trouver une solution pacifique au double blocage ci-haut évoqué. A ce titre, il nous revient de saluer humblement cette rencontre qui se présente à nos yeux comme une contribution et un effort de dépassement des acteurs de l’opposition qui ne se font pas du tout confiance, mais qui osent se rencontrer : proximité avec la Table ronde et son historique consensus politique entre acteurs congolais.
Toutefois, il sied de noter en passant le déficit de communication et de préparation de cette rencontre de la part des organisateurs. Nous déplorons également les hésitations ou la méfiance de certains acteurs politiques comme l’absence d’autres ténors de l’opposition à Bruxelles.
Au vu des moyens alloués en termes d’organisation et des frais de prise en charge et de séjour des participants, plusieurs analystes soupçonnent Moïse Katumbi comme étant l’argentier de cette réunion qui fait très peur au régime de Kabila. L’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, contraint à un exil médical forcé, se révèle stratégiquement plus redoutable à l’extérieur du pays qu’embastillé par l’ANR à l’intérieur de la RDC.
Une opposition à géométrie variable et en ordre dispersé sur un fond de tension latente entre Kamerhe et Katumbi ?
En effet, si une majorité des leaders de l’opposition et plusieurs membres de la société civile ont répondu à cet appel, Vital Kamerhe, président de l’UNC et une grande partie de la Dynamique de l’opposition dont le MLC de Jean-Pierre Bemba, ont décidé de boycotter cette rencontre. Pour Vital Kamerhe, cette réunion n’apportera pas une valeur ajoutée car la seule action à mener actuellement c’est le respect des délais constitutionnels, a-t-il à la presse[1].
Le MLC a également décliné l’invitation en déclarant ne pas être partie prenante aux assises de l’opposition congolaise de Bruxelles.
Ce refus de l’ex-speaker de l’Assemblée nationale pourrait également cacher une certaine tension latente qui couve depuis 3 mois entre Katumbi et lui, selon certaines indiscrétions. Il semble que les violons ne s’accordent plus entre ces deux ex-députés les mieux élus de la RDC lors des législatives de 2006. Il n’est pas exclu que Kamerhe, qui ambitionne, entre autres, le poste de Premier ministre à défaut de la présidence, dans un ticket Katumbi – Kamerhe, se sente quelque peu en porte-à-faux dans l’hypothèse d’un possible rapprochement Katumbi – G7 – UDPS et du partage du pouvoir qui s’en suivrait si jamais Kabila est mis hors course politique. Le courant est très glacial entre Kamerhe et Katumbi qui s’accusent et se critiquent mutuellement, selon une spécialiste de la RDC que nous avons rencontrée la semaine dernière à Bruxelles.
Par ailleurs, l’UDPS a toujours été méfiante envers Kamerhe depuis les élections de 2011 car elle l’a toujours considéré comme un agent de Kabila au sein de l’opposition, entre autres à cause de son refus de s’aligner derrière le candidat de l’UDPS à ces élections. Pourtant, jusqu’à présent, Vital Kamerhe manifeste une certaine constance et se radicalise vis-à-vis du régime de Kabila. Il s’agit d’une posture que l’on pourrait mettre en parallèle avec celle d’Etienne Tshisekedi vis-à-vis de Mobutu dont il était un des proches collaborateurs à la base de la création du MPR.
Une rencontre de tous les enjeux ?
En tout état de cause, la réunion du Lac de Genval devra démontrer dans quelle mesure l’opposition est capable de faire bloc ensemble. Elle devra également permettre à cette frange de l’opposition de définir de manière concertée les voies et moyens pour contraindre Kabila à l’alternance démocratique au terme de son mandat prévu le 19 décembre 2016. La messe de Genval pourrait enfin constituer une opportunité pour l’opposition d’accorder ses violons afin de se choisir éventuellement un leader/candidat commun pour piloter les actions à mener par l’opposition et les forces sociales acquises au respect de la Constitution.
Cette réunion est également suivie de près par la communauté internationale et lui servira de jauge sur la maturité et la responsabilité politiques des leaders de l’opposition.
Pour conclure, malgré les questionnements, somme toute légitime, cette rencontre suscite un certain engouement populaire. Si elle est bien négociée, elle peut être porteuse d’un espoir pour l’évolution positive des enjeux politiques en RDC. Cependant, en cas d’échec de la réunion du Lac de Genval, l’opposition risque d’être discréditée aussi bien sur le plan intérieur par la population qui ne jure plus que par le départ du président Kabila au terme de son mandat que par les partenaires extérieurs de la RDC, favorables au strict respect de la Constitution. Il ne suffit pas que cette initiative qui s’inscrit plus ou moins dans le continuum de la rencontre de Gorée, de décembre 2015, se limite aux simples déclarations de bonnes intentions. Les leaders de l’opposition doivent tout mettre en œuvre pour surmonter leurs divergences. Ils doivent poursuivre sous d’autres cadres, dans un esprit inclusif et consensuel, les actions visant à faire bloc contre toute tentative de violation de la constitution. En ce sens, ils doivent tendre la main vers les absents et inversement, ces derniers doivent privilégier le sens de l’intérêt collectif en cette période cruciale où la RDC se trouve à la croisée des chemins.
L’opposition congolaise joue très gros et est placée face à ses responsabilités devant l’histoire de la RDC qui s’écrira à coup sûr en RDC !
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
[1] http://www.politico.cd/actualite/la-une/2016/06/05/reunion-de-bruxelles-kamerhe-rejette-ewanga-decide-de-participerbras-de-fer-audio.html.