La République démocratique du Congo, un pays riche et aux dimensions continentales au cœur même de l’Afrique, pourtant gangrenée par une crise politique et institutionnelle qui n’en finit depuis l’aube de l’indépendance en 1960. A celles-ci, il faudra désormais ajouter une faillite économique. Tantôt victime de fluctuations de matières première qui ont réduit le budget national à plus de 40%, le Congo de Lumumba est aussi et surtout en proie à une megestion systématique à tous les niveaux de l’Etat.
De scandale en scandale, le régime de Joseph Kabila qui se bat pourtant pour trouver une solution pacifique dans un long dialogue politique avec ses opposants, doit faire face à des cas avérés de malversations de la part de ses fonctionnaires parfois positionnés ci-haut. Lubumba Papers, une affaire révélée par des médias belges mettait déjà en lumière un système sophistiqué de corruption et de détournement de deniers publics où, très souvent, le président lui-même n’est qu’étranger.
ACTE I. Prise de pouvoir maquillée en mise sous-tutelle
21 novembre 2016 à Kinshasa, l’agence bancaire de la BIAC, située le long du Boulevard du 30 juin, la principale et mythique artère de cette ville mégalopole, est étonnement calme, vidée même. Il y a à peine quelques mois, les agences de cette banque commerciale, la 4ème du pays, étaient envahies de monde, des épargnants tantôt en colère, tantôt désespérés essayaient par tous les moyens de récupérer leurs dépôts
En effet, la banque du bonhomme à l’attaché-case est dans la tourmente depuis plus d’un an maintenant. Pour des raisons qui restent encore floues, le gouverneur de la Banque Centrale, Deogratias Mutombo a décidé au début de l’année, de suspendre la ligne de crédit octroyé à la BIAC, plongeant cette dernière en faillite.
Pourtant, dans un communiqué officiel daté du 24 mai 2016 clôturant le débat à huis clos dans le dossier de la BIAC (Banque Internationale pour l’Afrique au Congo), le bureau de l’Assemblée nationale enjoint le gouvernement au remboursement, «dans un plus bref délai», des créances de cette banque arrêtées à 30 millions USD. Il rappelle à l’adresse de la BCC, Banque Centrale du Congo, «la nécessité de cristalliser son indépendance, conformément à l’art. 176 de la Constitution et l’art. 3 de la loi n°005/2002 du 07 mai 2002 relative à la constitution, à l’organisation et au fonctionnement de la Banque Centrale du Congo» et le Gouvernement à la protection des dépôts de 300.000 clients de la BIAC ce, conformément aux articles 30 et 74 de la loi 003/ 2002 du 02 février. 2002, relative à l’activité et au contrôle des établissements des crédits».
Le retrait plafonné à 500 000 francs Congolais (environ 500 dollars) et la fermeture des agences pour faire face au manque de liquidités début avril n’ont pas suffi pour sauver les épargnants de la BIAC des griffes du Gouverneur Mutombo. Le 31 mai, BCC a pris le pouvoir à la BIAC en la mettant sous la gestion d’un Comité d’Administration Provisoire, promettant au passage de trouver une solution : soit un repreneur, soit un redressement de la banque ou, finalement, une liquidation de celle-ci, afin de pouvoir rembourser plus de 400,000 épargnants en détresse.
6 mois après, malgré des annonces à répétions d’un probable repreneur du côté de la BCC, rien n’est fait. Les épargnants eux, continuent toujours de broyer du noir. C’est dans cette situation que les actionnaires de la BIAC ont cru bien faire en décidant la dissolution de cette banque, de leur gré, le 04 novembre 2016. Dans leur démarche, les actionnaires tiennent à dissoudre la banque afin de procéder ainsi à la liquidation et rembourser les épargnants.
Toutefois, il ne fallait pas attendre longtemps pour voir le gouverneur de la BCC surgir et réfuter cette dissolution. Pour Deogratias Mutombo, les actionnaires de la BIAC n’ont pas le droit de procéder à cette manœuvre. Le Gouverneur a persisté dans cette voie en envoyant une lettre le 18 novembre dernier au président de l’Association congolaise de Banques et à plusieurs institutions pour expliquer sa démarche, arguant que ni l’Assemblée générale des actionnaires ayant abouti à cette dissolution, ni même les actionnaires n’avaient le droit d’entamer une telle procédure. Ce que réfutent tout naturellement les actionnaires de la BIAC.
Que dit la loi ? Dans son communiqué du 10 novembre, où elle fait savoir son opposition à la dissolution, la BCC s’appuie sur le fait que les actionnaires de la BIAC étaient « défaillants », sans donner plus de précisions. Du côté des actionnaires, on fait remarquer que la BCC n’a pas le droit de s’opposer à une dissolution, conformément aux lois. En réalité, le gouverneur Deogratias Mutombo ne peut effectivement pas s’opposer à la dissolution de la BIAC. Il s’agirait dès lors, d’une situation plus politique qu’économique.
ACTE II Des repreneurs chinois imaginaires
Décembre 2016. Devant la commission Economie et Finances de l’Assemblée nationale, le Gouverneur Déogratias Mutombo a promis une reprise incessante de la banque par des opérateurs chinois, une promesse qu’il fait depuis l’année dernière et qui peine à se concrétiser. « La China Taihe Bank, dont le capital est évalué à plus de 24 milliards de dollars américains, va reprendre la BIAC grâce à une filiale congolaise China Taihe Bank of Congo« , a annoncé M. Mutombo.
Cependant, aucune banque pesant plus de 24 milliards et dénommée » China Taihe Bank » n’existe en Chine. D’après nos fouilles, il n’existe qu’une seule référence dont le nom s’y rapproche sans être le cas. Il s’agit de la branche de l’Agricultural Development Bank of China (ADBC) à Taihe Xian, un district administratif de la province de l’Anhui en Chine populaire.
Joint au téléphone par Politico.cd, les responsables de cette banque ne reconnaissent « aucune opération en République démocratique du Congo ».
« Je ne suis pas au courant d’une reprise d’une banque par l’ADBC en ce moment, et surtout en Afrique« , a réagi un responsable de cette banque chinoise. « Nous n’avons pas d’opérations à l’étranger, nous n’opérons qu’en Chine, c’est donc une information étonnée« , a-t-il poursuivi en anglais.
Dirigée par Shumin Zhu, l’Agricultural Development Bank of China [Banque de développement agricole de Chine] est une banque de politique chinoise sous la Banque centrale populaire de Chine (PBOC). À ce titre, elle est responsable du financement des projets liés à la croissance économique de la Chine. De ce fait, elle n’a aucune intervention ou filiale en dehors de la Chine, telle que le stipule le gouverneur Deogratias Mutombo.
L’ADBC fournit en outre divers services bancaires en Chine dont les prêts pour l’achat de céréales, d’huiles alimentaires et de coton; les prêts pour le transfert et l’exploitation des terres rurales, les entreprises industrielles, les projets de sciences et technologies agricoles, la construction d’infrastructures rurales et le développement agricole, la construction de systèmes de circulation rurale, la rénovation des habitations…
De plus, l’ADBC dont le capital est de plus de 2.549 milliards de dollars américains, traverse une crise depuis 2015. Selon l’Agence Reuters cette banque, la troisième appartenant à l’Etat chinois, a dû recourir à une injection de plus de 24.2 milliards de dollars du ministère des Finances en avril 2015 (lire ici).
Par ailleurs, la China Tahie Bank n’existe pas sur la liste des banques chinoises disponible ci-dessous.
Joint au téléphone, des proches des actionnaires de la BIAC disent « ne pas être surpris d’une telle révélation »
« Nous sommes en face des gens qui n’ont jamais été honnêtes, et donc cela n’est pas une surprise« , affirme un proche des actionnaires qui a requis l’anonymat. « Ils cherchent à tout prix à avoir la BIAC pour un prix dérisoire, mais ça risque finalement de coûter plus cher qu’ils ne l’imaginent« , conclut-il.
Ni le gouverneur Deogratias Mutombo, encore moins la Banque centrale du Congo n’ont dégnainé répondre aux appels de POLITICO.CD à ce sujet.
ACTE III: Un Comité Provisoire hors mandat, mais toujours en fonction
Depuis le 25 décembre 2016, conformément à l’ordre de mission daté du 25 novembre 2016 ayant prolongé la mission du Comité d’Administration Provisoire à la tête de la BIAC pour 30 jours, cette équipe est officiellement hors mandat. Aucune prolongation légale n’a été actée. De plus, ce Comité n’a toujours pas réussi sa mission du redressement de la banque comme annoncé.
Pour autant, dans un communiqué publié le 29 décembre, les actionnaires qui attendent, avec les clients de la BIAC, la nomination d’un liquidateur toujours bloquée par la BCC grâce à une action en justice, ont volé au secours des épargnants en leur mettant officiellement en garde contre tout remboursement de crédit.
« Consécutivement à l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 4 novembre 2016 décidant de la dissolution de la BIAC et en attendant la suite des actions judiciaires en cours, les actionnaires de la BIAC portent à la connaissance du public en général et des débiteurs de la banque en particulier que tout remboursement de crédit auprès des anciens membres du Comité d’Administration Provisoire durant cette période sera considéré comme nul et de nul effet« , annonce ce communiqué.
La décision de la justice est attendue depuis le 04 décembre dernier dans ce dossier, alors que plusieurs sources judiciaires ont confirmé à Politico.cd que des juges auraient reçu des menaces de la part du gouverneur Deogratias Mutombo pour statuer en sa faveur. « Nous devrions rendre le jugement depuis longtemps mais certains d’entre nous craignent parce qu’ils ont été menacé par le gouverneur [Deogratias Mutombo]« , affirme un juge qui a requis l’anonymat à Politico.cd.
Dans un communiqué du 30 décembre, le Président du Comité d’Administration Provisoire, un proche du gouverneur Mutombo, a menacé sans ambages les clients de la banque, leur demandant, contre tout fondement juridique, de continuer à payer leurs crédits, alors qu’il est hors mandat depuis le 25 décembre.
« Monsieur Bekila [Ndlr: le Président du Comité d’Administration Provisoire] est sans qualité pour engager la Biac et il y a lieu même de relever à l’attention du public que l’intéressé est actuellement en appel dans le cadre des résolutions prises par les actionnaires« , explique Mt Pierre Okendembo Mulamba, l’avocat des actionnaires de la BIAC à Direct.cd.
Selon lui, les créances remboursées « devaient servir au remboursement des épargnants et non pas au fonctionnement d’une banque en difficulté, dissoute par les actionnaires. » « Voici un cas flagrant de dilapidation de l’épargne publique« , conclu-t-il.
Pour couronner tout, le Comité s’octroie même le droit de vendre des biens de la Banque, en violation fragrante de la loi. L’immeuble situé au numéro 03 de l’avenue colonel Ebeya dans la commune de la Gombe, au centre-ville de Kinshasa est mis en vente en janvier dernier
Ce que fustige logiquement les actionnaires de la BIAC, tout en rappelant être, comme les clients de cette banque, dans l’attente d’une dissolution.
« Consécutivement à l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires du 4 novembre 2016 décidant de la dissolution de la BIAC et en attendant la suite des actions judiciaires en cours, les actionnaires de la BIAC portent à la connaissance du public en général et des éventuels acheteurs d’actifs de la banque en particulier que toute acquisition auprès des anciens membres du Comité d’Administration Provisoire durant cette période sera considérée comme nulle et de nul effet« , dit ce communiqué des actionnaires.
« Les actionnaires de la BIAC restent en attente de l’agrément par la Banque centrale du Congo d’un liquidateur. Seul ce dernier sera habilité à procéder à l’aliénation de tout bien, immeuble ou meuble, faisant partie du patrimoine de la BIAC. En l’absence d’un liquidateur, le débiteur s’exposerait à des poursuites judiciaires et les actionnaires de la BIAC se réservent le droit d’exiger la restitution du bien en quelques mains qu’il se trouve », conclu-t-ils.
ACT IV Un gouverneur sur la sellette
Après plus de 16 ans de service à la tête de la Banque Centrale du Congo (BCC), l’indéboulonnable Jean-Claude Masangu Mulongo allait être été remplacé le 14 mai 2013 par Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, un haut cadre de la BCC, qui a gravi tous les échelons au sein de cette institution.
Quatre après, et avant même la fin de son mandat, ce natif de Kongolo, au bord de la rivière Lualaba dans l’ex-Katanga, est plus que jamais sur la selette. Alors que sa politique monetaire est plus que décriée, le Franc congolais a perdu la moitié de sa valeur face au dollar depuis sa nomination, les interventions de la BCC à la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC), la BGFIBANK ou même à la Mutuelle d’épargne et crédit du Congo (MECRECO), n’ont fait qu’empirer la situation, précipitant ces établissements bancaires vers la faillite.
En novembre dernier, un projet de loi portant organisation et fonctionnement de la BCC a même été adopté, dans le but d’enclencher le départ M. Mutombo. Ce projet préconise des réformes profondes dans l’organisation et le fonctionnement de la BCC, affaiblissant considérablement le pouvoir du Gouverneur de cette institution, lui imposant une « gestion collégiale ».
«Il y a des innovations. Maintenant la gestion est collégiale. Il y aura un gouverneur et deux vice-gouverneurs. On a augmenté le nombre des membres du conseil à treize. En même temps, le gouverneur aura deux mandats non renouvelables», a indiqué Mabi Mulumba le président de la Commission économique et financière du Sénat sur Radio Okapi.
En outre, la nomination du gouverneur de la BCC n’est plus du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat seul. «Le président de la République va nommer sur proposition du gouvernement. Cette proposition est délibérée en conseil des ministres. C’est déjà une avancée significative pour éviter que le clientélisme prenne le pas sur les réelles compétences», s’est-il réjoui le sénateur Florentin Mokonda Bonza.
Guerre ouverte contre les banquiers privés
Depuis ce 19 octobre dernier, Deogratias Mutombo s’est mis à dos l’ensemble des banquiers du pays. En cause, sa sortie qui a annoncé que « le taux de coefficient des réserves obligatoires est passé de 9 à 12% pour les comptes à vue, de 10 à 13% pour les dépôts à terme ». Selon M. Mutombo, « par cette ponction d’une partie de la liquidité excédentaire (…) l’objectif est d’amener les banques à ne pas transformer à tout moment des dépôts en francs congolais en devises étrangères » .
« On se fout de nous », s’étrangle au bout du fil le patron d’une banque congolaise interrogé par la Libre. « On ponctionne à peu près 90 millions d’euros à l’ensemble des banques. Ces montants sont officiellement chez nous mais on ne peut rien en faire. C’est un manque à gagner dans une période déjà particulièrement difficile« , déclare-t-il. «A quoi va servir cet argent?, fait mine de s’interroger un autre banquier kinois, qui a une idée très précise », s’interroge un autre.» Officiellement, les réserves obligatoires facilitent un peu la régulation du marché monétaire et sont surtout une garantie pour les clients des banques.
« Le souci, c’est que, dans la réalité, personne ne contrôle ce que la BCC fait de ces montants. Personne ne peut dire si cet argent est encore réellement dans ses caisses. il n’y a pas d’audit sérieux sur le fonctionnement ou les avoirs de la BCC. Je pense que si un changement de régime survient, il va y avoir de grandes surprises quand on va ouvrir les coffres« , explique un autre banquier congolais sur le site internet du média basé en Belgique. Et les quatre banquiers interrogés de pointer du doigt les mouvements actuels autour de deux banques : la Fibank et la BIAC.
ACTE V: 400.000 congolais pris en otage
Vendredi 10 mars, des centaines de clients de la BIAC ont envahi le siège de cette institution bancaire située le long du boulevard du 30 juin à Kinshasa, pour réclamer leurs épargnes toujours bloqués. Scandant des chants: » mbongo ebima » qui se traduit en français »nous voulons notre argent », ces derniers dans leur colère ont tenté de barricader le boulevard pour exprimer leurs ras-le-bol.
« Ça fait quasiment une semaine que nous venons ici chaque jour pour retirer notre argent mais ces gens ne nous servent pas« , se plaint un client rougi de fureur. Une autre dame, trentenaire révolu d’ajouter: « ils nous ont escroqué notre argent à nous, nous voulons notre argent, point barre ».
Près d’après, il est autorisé à ces clients de ne retirer l’argent qu’à une contre-valeur de 100 dollars en Francs Congolais avec un taux de 1200 FC pour un dollar. Pour tant, le taux actuel s’élève à 1350 FC dans des bureaux de change dans la capitale Kinshasa.
Ce que désapprouve les clients de la BIAC qui passe quasiment toute la journée au siège de cette banque commerciale pour effectuer petit à petit et jour pour jour l’opération de retrait dans leurs comptes.
« C’est vraiment sérieux cette situation qui perdure. Non, seulement que l’on nous privé de notre argent, mais pire encore, les guichetiers nous répondent avec dédains comme s’il l’on venait emprunter leur agent et les importuner », explique un autre abonné très déçu.
Le 2 mars, c’était les employés de la BIAC qui, dans une lettre adressée au Comité d’Administration provisoire, sont montés au créneau pour dénoncer le blocage imposé depuis bientôt un an par la Banque centrale du Congo, dont la mission de reprise de cette banque commerciale a largement échoué.
Dans cette lettre parvenue à POLITICO et adressée à Félix Bekila, le Président du Conseil d’Administration Provisoire (CAP) mis en place par la Banque Centrale du Congo (BCC) depuis l’année dernière, l’Intersyndicale de la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo dénonce ce Conseil qui peine à réaliser la mission qui lui a été confiée.
Ce représentant des employés de la BIAC, tout comme les actionnaires de cette banque commerciale et plus de 400.000 autres clients s’inquiètent que l’institution instaurée par Déogratias Mutombo depuis bientôt huit mois n’arrive toujours pas à trouver de repreneur et, pire, ne rend plus compte de sa mission.
Les abonnés quant à eux, demandent l’intervention des autorités compétentes pour leur trouver une solution urgente et définitive à cette situation.
Note : nous avons tenté sans succès pendant près d’un mois de contacter le Gouverneur de la Banque Centrale, Déogatias Mutombo ou ses services.
POLITICO.CD
Avec partenaires et Agences.