« Le point de chute sera le Palais de la Nation« , l’assistance exulte. Nous sommes le 28 mars à la résidence de feu Étienne Tshisekedi, leader historique de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), principal parti de l’opposition en République démocratique du Congo. La déclaration précédente est celle de Jean-Marc Kabund, Secrétaire général de ce parti, qui s’offre un véritable spectacle, en protestation contre l’échec des discussions autour de l’arrangement particulier pour l’application de l’accord du 31 décembre.
La veille, l’Eglise catholique qui facilitait les discussions pour appliquer cet accord signé entre le Pouvoir et l’Oppisition, a jeté l’éponge devant la persistance des deux parties à camper sur leurs positions. Pour l’UDPS et son SG, c’est une fois de trop. Eux qui ont « accepté » de garder Kabila au pouvoir au profit de cet accord n’allait plus se laisser faire. Une mobilisation est donc prévue pour déboulonner le locataire du Palais de la Nation.
Officiellement toutefois, les opposants ne prévoient que de « déposer » un mémo au président Kabila. « Cette marche a pour objectif d’exiger l’application de l’Accord du 31 décembre comme l’unique voie de sortie de crise dans notre pays. Elle vise aussi le dépôt d’un mémo au Palais de la Nation, » a écrit Jean-Marc Kabund dans la correspondance pour « informer » le gouverneur André Kimbuta.
Néanmoins, après la nomination de Bruno Tshibala, un transfuge de l’UDPS, le ton est monté. Martin Fayulu, député et cadre du Rassemblement, a déjà lancé son appel quelques minutes après l’annonce officielle de « cet affront ». Moïse Katumbi, le co-fondateur du Rassemblement à lancé son plus long communiqué jamais rédigé à ce sujet.
« Face à une application contraire à l’esprit et à la lettre de l’accord de la Saint-Sylvestre, face au cynisme de Joseph Kabila qui veut diriger la RD Congo par défi, face à la dictature qui s’installe, suivons l’exemple des pères de l’indépendance, prenons notre courage à deux mains. Levons-nous pour mettre un terme à ce pouvoir dictatorial. C’est notre droit et c’est notre devoir !« , appelle-t-il.
« Prendre pacifiquement le Palais »
Selon les organisateurs, la marche commencera comme habituellement au Boulevard triomphal. Les militants emprunteront le Boulevard de la libération (Ex-24 novembre) avant d’atteindre le Boulevard du 30 juin en passant par l’Avenue Batetela, le Boulevard Tshatshi, Avenue Okito, Avenue Limera pour atterrir au Palais de la Nation. Un schéma bien simple mais parait, à l’heure actuelle, peu faisable.
« Jamais dans l’histoire de la RDC une marche n’a atteint le périmètre du Palais de la Nation. De plus, depuis que les mobilisations ont commencé durant cette crise politique, elles vont de manière décroissante et souvent ne dépassent pas le stade de Martyrs [sur le Boulevard triomphal]. Il est peu plausible de voir les opposants atteindre même le Boulevard du 30 juin« , fait savoir un ancien agent des services de sécurité congolais, interrogé par POLITICO.CD à ce sujet dimanche.
En effet, le chemin le plus court menant au Palais de la nation à partir du Boulevard triomphal fait 5,4 kilometrès, soit pas moins d’une heure de marche. Ce tronçon traverse entre autres un camp militaire et l’Inspection générale de la Police congolaise. Outre cela, le Palais de la nation est situé dans le quartier résidentiel de la Gombe, dans la commune du même nom, où sont également localisées plusieurs ambassades et missions diplomatiques, y compris la résidence du Président Kabila. En plus d’être situé le long du fleuve Congo, le périmètre avoisinant cette zone est sous haute sécurité depuis l’attaque de la résidence présidentielle, le GLM, en février 2011.
« La seule marche qui est allée plus loin dans l’histoire du pays, c’est celle qui accompagnait Tshisekedi à la Primature, qui avait à atteint quand même l’ISP Gombe, avant que Kongolo Mobutu [un des fils du Maréchal Mobutu] ne vienne enlever Tshisekedi et disperser les manifestants par du gaz Lacrymogène« , renseigne notre source.
Néanmoins, Jean-Jacques Wondo, journaliste et expert congolais des questions sécuritaires, fait une remarque qui va à l’encontre des affirmations précédentes. « La loi du nombre reste toujours à l’avantage de la population congolaise, kinoise en particulier vu que les régimes tombent en Afrique presque toujours de la capitale et jamais des périphéries »
« La population détient potentiellement les ressorts et atouts nécessaires pour contrôler facilement la capitale. Mais cela exige une bonne organisation, une bonne préparation dans l’encadrement des manifestants comme au Burkina Faso en octobre 2014 et une ferme détermination des manifestants de manifester jusqu’au finish. Le pouvoir de Kinshasa ne dispose pas suffisamment d’éléments armés ou de police (en réserve) pour tenir longtemps. Il y a aussi une démotivation morale chez beaucoup de policiers et des militaires, même de la garde républicaine« , ajoute-il.
Editeur du site Défense & Sécurité du Congo (desc-wondo.org), M. Wondo fait également savoir que l’armée congolaise n’est pas forcément dans ses meilleurs jours. « Beaucoup d’entre eux alignent des arriérés de paiement depuis janvier. Ils pourront se montrer complaisants avec les manifestants. Les conjonctures politique et sociales (grève ou menace de grève de la fonction publique) et économiques peuvent constituer un catalyseur pour favoriser les prises des Palais de la Nation et du Peuple. Mais cela ne s’improvise pas. Il faut une meilleure synergie et coordination entre les acteurs de la société civile, particulièrement la jeunesse, les mouvements citoyens, les syndicats et les organisations confessionnelles) et les acteurs politiques. Sur ce point, les politiciens congolais doivent énormément apprendre comment cela s’est passé au Burkina Faso« , explique-t-il.
« Le rapport de forces est potentiellement à l’avantage des manifestants. Mais cela ne suffit pas sans les aspects évoqués plus haut. C’est comme le Congo, un pays potentiellement riche, mais pauvre dans le quotidien des Congolais« , conclut M. Wondo.
Par ailleurs, l’UDPS a souvent fait de déclarations de ce genre, comme durant la Présidentielle de 2011 où Étienne Tshisekedi lui-même promettait une récompense à celui qui lui amènera le président Kabila ligoté dans le coffre d’une voiture. En février dernier, Jean-Marc Kabund avait faussement annoncé que les travaux du mausolée de Tshisekedi avait commencé dans l’enceinte du siège de son parti à Kinshasa.
A 24 heures de l’épreuve, Félix Tshisekedi, comme plusieurs dirigeants de l’opposition, ont réitéré leur appelle à cette manifestation qu’ils disent tous vouloir être « pacifique ». La Belgique, comme l’Union Européenne ont de leur part mis en garde les autorités congolaises et les opposants contre des actes de violences. Les autorités congolaises et les services de la police ont refusé s’exprimer.