En République démocratique du Congo, il y a désormais un avant et après mois d’octobre 2017. Avant cette période, deux camps s’affrontaient de manière opposée dans la crise politique au pays. Le premier, celui du président Joseph Kabila, a tout fait pour repousser la tenue des élections qui pourraient mettre un terme à son règne de plus de 16 ans à la tête du pays.
De l’autre côté, toute une flopée d’opposants, de mouvements citoyens et même d’organisations de défense des droits de l’homme qui militaient pour barrer la route au camp du président Kabila.
Pendant deux ans, entre répression sanglante dans la rue, menace et impuissance, la crise politique congolaise s’acheminait maladroitement vers un cataclysme à la fin de cette année. Alors que l’accord signé le 31 décembre dernier fixait les élections avant la fin de l’année en cours, la commission électorale a annoncé qu’il serait possible que ces scrutins se tiennent comme prévu.
Le bourbier congolais
C’est dans ce décor pré-apocalyptique que l’Amérique de Donald Trump a décidé de placer son nez dans les affaires congolaises. En marge de la 72ème Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier à New York, le tout nouveau président des Etats-Unis décide alors d’envoyer l’Ambassadrice Nikki Haley à Kinshasa pour sifflet la fin de la recréation.
« Nous sommes profondément perturbés par la violence en cours au Soudan du Sud et au Congo [RDC] et surveillions étroitement la situation« , affirme Donald Trump lors d’un déjeuner avec des dirigeants africains. « Des millions de vies sont menacées et nous continuons à fournir une aide humanitaire, mais des résultats réels pour arrêter cette catastrophe nécessiteront un processus de paix dirigé par les Africains et un engagement sincère et vraiment sincère de toutes les parties impliquées. »
Nous sommes donc en octobre, le 26ème jour, lorsqu’un avion militaire américain pose ses ailes à l’Aéroport international de N’djili. L’Ambassadrice américaine y débarque avec, dans sa gibecière, un général des armées, le célèbre général Thomas Waldhauser, chef du Commandement américain pour l’Afrique (Africom).
Rapidement, à Kinshasa, les opposants y voient un signe. Chacun se rappelle alors du fameux voyage , en 1997, de Bill Richardson, l’ambassadeur américain auprès de l’ONU et médiateur de Bill Clinton, venu annoncer au maréchal Mobutu qu’il devait quitter le pouvoir.
Il faut dire que le décor était bien planté. Quelques jours avant, les Sénateurs américains Elisabeth Warren, Edward Markey, Cory Booker, Richard Durdin, Benjamin Cardin, Christopher Coons et Sherrod Brown, tous démocrates, ont envoyé une lettre au président Donald Trump, lui demandant intervenir pour aider à mettre fin à la crise politique et sécuritaire en République démocratique du Congo « Nous demandons que vous utilisiez tous les outils disponibles pour faire face à des crises politiques, de sécurité et humanitaires de plus en plus inquiétantes« , disent-ils.
De plus, en juin 2016, les États-Unis ont prononcé des sanctions ciblées à l’encontre de l’ancien chef de la police de Kinshasa, le Général Célestin Kanyama, et en septembre, à l’encontre du Général Gabriel Amisi Kumba, commandant de l’armée dans la région occidentale du pays, et de l’ancien inspecteur de la police John Numbi. En décembre, les États-Unis ont élargi les sanctions visant également Évariste Boshab, qui était alors ministre de l’Intérieur, et Kalev Mutondo, chef des services de renseignements.
Le contre-pied
A Kinshasa, Nikki Haley est accueillie avec espoir du côté de l’opposition, et donc du côté du peuple. Mais l’officielle américaine finira par faire déchanter tout un pays à l’unisson. Dès son premier contact avec les officiels congolais, l’Envoyée de l’Oncle Sam déballé le cadeau empoisonné venu de l’outre-Atlantique: des élections en 2018.
A ce moment précis, Nikky Haley prend le sous-continent congolais à contre-pied. Ni du côté de l’opposition – surtout les katumbistes qui ont bataillé fermement avec un lobbying actif auprès des autorités américaines – n’auraient alors imaginé une telle issue. Dès lors, la rencontre avec Joseph Kabila et la fermeté affichée à l’issue de cet échange de plus de deux heures n’enlèveront la saveur amère laissée sur les langues congolaises.
Mais voilà, deux choses influencent alors la position américaine. Tout d’abord, la situation réelle en République démocratique du Congo. Comme l’expliquera plus tard après cette visite l’ancien Monsieur Afrique du président Gorges Bush sénior, Herman Cohen, l’Ambassadrice Haley ne pouvait par débarquer à Kinshasa et dire « Kabila doit partir le 31 décembre ».
Tout comme selon Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo, l’expliquera un peu plus tard sur RFI, l’opposition congolaise non plus n’a pas montré grand-chose aux yeux de la Communauté internationale. Taraudée par des divisions internes, elle n’a proposé aucune une alternative crédible aux yeux des puissances de ce monde, qui du reste, ne s’empêchent plus pour décider de l’avenir du Congo.
L’avenir est dans le Cobalt
En effet, l’autre facette de la position américaine se situe loin des salons huppés de Kinshasa, mais plutôt sous terre, dans le Katanga. Comme le souligne Bloomberg, les voitures du futur dépendront de plus en plus de l’approvisionnement d’un métal obscur d’un pays des tropiques africains où il n’y a jamais eu de transition pacifique et où le travail des enfants est encore utilisé dans certaines parties de l’industrie minière.
La plupart des grands constructeurs automobiles s’engagent à construire des millions de véhicules électriques alors que les gouvernements du monde s’attaquent aux émissions polluantes des moteurs à carburant traditionnel. En conséquence, la demande pour les batteries lithium-ion et les matériaux nécessaires pour les fabriquer, y compris le cobalt, une substance relativement rare que l’on trouve principalement en République démocratique du Congo, augmente.
Pour ceux qui viennent d’atterrir en RDC, le pays abrite, rien que dans la région du Katanga, 50 à 60% des réserves mondiales de cobalt, ce qui représente la plus grande offre mondiale de minerais, ainsi que d’importantes quantités de cuivre, et un conflit affecterait gravement les États-Unis et la sécurité nationale européenne, affirment les des analystes américains. Par ailleurs, plus de la moitié de l’approvisionnement mondial en produits chimiques au cobalt raffiné utilisés pour fabriquer les unités de puissance rechargeables vient de Chine, qui reçoit 90% de cobalt du Congo.
Plusieurs semaines avant l’arrivée de Nikki Haley à Kinshasa, le ministre congolais, Lambert Mende, également porte-parole du gouvernement, a affirmé que l’occident garde une dent contre le président congolais, à la suite des contrats signés en 2007 avec les chinois. « Les Occidentaux n’ont pas pardonné l’ouverture aux Chinois, le fameux contrat du siècle (le cuivre et autres minerais contre les travaux d’infrastructure, NDLR) », dit-il au journal belge LE SOIR.
La Chine contre le glissement
La RDC a signé avec la Chine un accord minéral-infrastructure en 2007, selon lequel les entreprises chinoises devaient construire des infrastructures, y compris des routes et des hôpitaux qui sont financés par des banques chinoises en contrepartie de métaux comme le cuivre et le cobalt, les fameux « accords chinois ». Pour Lambert Mende, il y a également la révision du code minier qui pousse l’occident à demander le départ du président Kabila. « ils renâclent aussi contre la révision du code minier, que le président veut absolument boucler cette année encore. »
Ainsi, pendant que Moïse Katumbi et Didier Reynders s’entretenaient en septembre dernier à New York, une querelle a éclaté entre Pékin et Kinshasa. La RDC a interdit à la société minière Sicomines, majoritairement chinoise, d’exporter encore du cuivre et du cobalt non transformés.
Sicomines est sommée d’expédier « seulement des produits de grande valeur« , car le gouvernement s’efforce de «garantir le remboursement rapide» de l’accord de 6 milliards de dollars avec la Chine, renseigne le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, cité par Bloomberg. Les bénéfices de Sicomines remboursent les prêts que la Chine a fournis à la République démocratique du Congo, qui les seront plus rapidement si les mines explorées exportent des métaux raffinés à plus grande valeur.
Le projet minier de 3,2 milliards de dollars exploité par Sicomines représentait environ un quart du concentré de cuivre et 5% des exportations de cuivre-cathode l’année dernière en RDC. Sicomines a exporté 115 000 tonnes métriques de concentré de cuivre et 20 000 tonnes de cathodes de cuivre au premier semestre de 2017, selon la Division provinciale des mines dans le sud du Katanga, où se trouve la mine.
A Kinshasa, Nikki Haley a semblé ferme à l’idée de voir Joseph Kabila quitter le pouvoir. Néanmoins, la représentante américaine a surpris tout le monde en annonçant s’attendre à des élections pour 2018, une date qui n’est inscrite ni dans la Constitution, encore moins dans l’accord signé le 31 décembre dernier et largement soutenu par les Nations Unies. De manière téléphonée, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a publié un calendrier taillé sur mesure pour Washington, qui s’est empressée, seule, de saluer cette publication, tout en prenant le soin de se garder une duplicité qui lui est propre, en promettant de faire pression pour que ce dernier soit respecté.
Problème, rien n’indique que ce énième calendrier sera bel et bien réalisé. La CENI a affirmé haut et fort qu’il lui faudra plus de 504 jours pour organiser ces élections, soit pas avant avril 2019. Sans crier gars, elle revient sur sa propre position, en publiant un calendrier où elle s’est empressée de mentionner des conditions logistiques, financières ou en termes de ressources humaines qui laissent croire en un nouveau piège.
Par ailleurs, l’Europe, notamment la France et la Belgique qui ont souvent pris à bras la crise congolaise au profit d’un départ de Kabila, ont subitement déserté, laissant la place à l’Amérique, qui devient, visiblement, maître d’un jeu politique qui parait favorable pour le régime de Kinshasa.
Evidemment, l’Oncle Sam est une fois de plus accusé de jouer le jeu d’un oppresseur au Congo, au regard même de ce qui précède. Néanmoins, le pays semble être à l’abandon de la simple volonté du pouvoir congolais qui malmène, sans témoin, les forces impuissantes de l’opposition et une jeunesse citoyenne furieuse mais qui peine autant à constituer une voie de sortie viable. Face à la complexité de la crise, les Etats-Unis jouent donc au double jeu, grâce au pouvoir que lui confère des congolais spectateurs de leur propre agonie.
Litsani Choukran. (@litsanichoukran)