16 février 1991. Etienne Tshisekedi arrive à l’aéroport de Zaventem à Bruxelles où il doit prendre un avion de ligne portugaise pour le Zaïre. Le leader de l’opposition est attendu à Kinshasa, où ses partisans bravent l’immense dictateur Mobutu. Mais l’ancienne puissance coloniale l’empêche finalement d’embarquer, prétextant un problème administratif : Tshisekedi vivrait à Bruxelles en situation irrégulière.
Soudain, une bagarre exclame. Un jeune-homme est au premier plan, il a du sang sur sa chemise. Il s’agit de Félix, le fils du Sphinx. Il aurait, tantôt tenté d’apaiser la tension entre des policiers belge et ses camarades partisans de son père, tantôt lui-même essayant de se défaire des matraques de la police bruxelloise. Derrière cette scène ubuesque, le symbole d’une lutte, de père en fils, souvent victimes de multiples voltes-faces des autorités belges.
C’est la nuit que les histoires s’écrivent. Celle des Tshisekedi et la Belgique a commencé dans l’obscurité des années 1985. Poursuivis par les BCRS de Mobutu, le jeune Félix et toute sa famille atterrissent à Bruxelles. Ils venaient à peine d’être exfiltrés du Zaïre, via le Congo-Brazzaville. Au pays, Mobutu traque leur paternel. Et sa famille, talon d’Achille d’une lutte de plus en plus personnelle, en était la cible privilégiée. Mais au lieu de s’y cacher tranquillement, Félix, aussi jeune que fougueux, en profite pour prendre partie de son paternel « Ce n’est pas en Belgique que j’ai connu les débuts de son combat : avec lui nous avons été déportés au village, on appelait cela relégation », fera-t-il remarqué dans une interview au journal LE SOIR. « C’était en 1983-84, un milieu où il n’y avait ni école ni soin de santé. La naissance du parti UDPS je l’ai vécue dans ma chair, dans ma vie même… », ajoute-t-il.
Mais le cœur a ses raisons. Loin du pays, avec un père aussi carré que Cartésien, Félix n’aura que la Belgique et ses rues pour vivre et mener sa lutte. Ici, à Bruxelles, « l’autre congo », il y fera toute sa vie. A Kinshasa, on dit, en se moquant de lui, qu’il y a même été livreur de Pizza. Lui-même, dans son CV officiel, note toute une vie, et même des aventures d’entrepreneur, loin de la politique.
Mais la politique le suivra partout. Le pays l’attire, l’UDPS aussi. Dès 2011, il est même au cœur de la grande bataille politique l’opposant à Kabila. Du côté de la Belgique, où toute sa famille l’attend, les autorités tant maléables pennent pourtant partie pour Joseph Kabila, avant de le lâcher vers 2015. Mais les Tshisekedi garderont toujours des rapports particuliers avec ce pays qui colle à la peau du Congo. Le Sphinx s’y éteint et y sera pleuré, gardé, avant de retourner au Congo. Moïse Katumbi, grand allié de Félix depuis la disparition de son père, y erige le siège de la lutte pour arracher le pouvoir à Kabila.
Pour autant, ce pays sera l’un des premiers à atteindre de langueur le fils du Sphinx. A quelques deux jours de l’annonce de la victoire de Félix Tshisekedi à la Présidentielle, la presse belge est étrangement unanime : « La Ville de Bruxelles confirme que Félix Tshisekedi n’a pas obtenu son diplôme en marketing et communication ». Au lendemain de l’annonce de sa victoire, c’est aux officiels belges de monter au créneau : « les résultats de l’élection présidentielle tels que publiés par la Céni ne correspondent pas aux données collectées à partir des bureaux de vote et de dépouillement ». Reynders en tête de fil, réclame le recomptage des voix.
Huit mois après, jour pour jour, l’eau a coulé sous les ponts. Lundi, à l’aéroport militaire de melsbroek, les mêmes officiels tendent le tapis rouge au même Tshisekedi. Sourire jusqu’aux oreilles, ils viennent de voir le Messie en personne. Au Palais d’Egmont, l’ancien exilé politique est au centre de toutes les attentions, jusqu’à à être reçu de manière solennelle et officielle par le Roi Philipe. La consécration d’un destin qui illustre bien la nature des politiques belges vis-à-vis du Congo.
Humainement pourtant, Félix Tshisekedi s’offre une belle revanche. N’en déplaise à Martin Fayulu qui n’aura que de denses pour se consoler. La Communauté internationale ne reconnaît qu’un seul président plus que jamais légitime au Congo. Le fils du Sphinx vient de réussir partout où son paternel est passé. Il ne lui reste plus qu’à répondre aux multiples attentes de ce peuple qui le porte tant, celui du Congo, qui attend désormais des résultats.
LITSANI CHOUKRAN,
Le Fondé.