Samedi 26 octobre. Goma, la capitale du Nord-Kivu, croule sous la pluie. Toute la nuit et durant une majeure partie de la journée, le Lac Kivu entonne un bourdonnement à l’accueille des précipitations. Il fait froid, mais beau. 22°. Pourtant, dès six heures du matin, des petites colonnes de jeunes-gens se dirigent tous vers une seule destination. Drapeaux, calicots et même parfois «Vuvuzela » en mains, ils chantent, dansent et parlent beaucoup. La ville est ainsi partagée entre un calme adoucissant, aux bruits de motos et une ambiance électrique, aux bruits des sifflets.
Des centaines de personnes semblent avoir un rendez-vous avec l’histoire. A l’aéroport de la ville où elles arrivent, pour y camper toute la journée, elles attendent un homme. « On a tout fait pour l’empêcher de venir ici, mais aujourd’hui, ils ont échoué », lance Merveille en Swahili, vingtaine dépassée. Il fait allusion à Moïse Katumbi. L’opposant congolais, richissime ancien gouverneur et rival farouche de Joseph Kabila, a fini par être autorisé à entamer une tournée dans cette partie cruciale du pays, après plusieurs refus.
En effet, l’Est du Congo restera à jamais une nébuleuse politique. Aux dernières élections, les 4 provinces qui y sont issues (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri et Maniema) ont regroupé pas moins de 9,6 millions voix, soit plus de 21% du fichier électoral. A titre d’exemple, Félix Tshisekedi est élu président avec 7 051 013 voix ! Et même si les résultats détaillés ne seront jamais publiés, des influences ont émergé. D’un côté, Vital Kamerhe, originaire, s’est taillé la part du loin, en étant simplement le député le mieux élu du pays depuis son Walungu natal, dans le Sud-Kivu. De l’autre côté, Modeste Bahati arrive en embuscade, entouré d’autres leaders tels que Néhémie Mwilanya, toujours dans le sud. Au Nord, c’est un peu compliqué, plusieurs leaders y sont plébiscités. A la Présidentielle, seules les influences de campagne électorale laissent une idée. Félix Tshisekedi, l’actuel président, y était plébiscité, talonnant des foules monstrueuses de Martin Fayulu. Mais ce dernier bénéficiait d’un apport accru de plusieurs opposants, dont Moïse Katumbi. Le candidat du Front commun de Kabila était seul derrière dans la région dont il est pourtant originaire.
Ainsi, certains l’avaient compris avant tout le monde. Ce « Safari » de Moïse Katumbi, à peine rentré d’exil de trois ans, était une vraie menace politique sur les équilibres jadis établis. Aussi, plusieurs fois, l’opposant verra son avion être interdit d’atterrir, retardant cette tournée. Mais les choses ont changé à la tête du pays. Félix Tshisekedi, qui est au pouvoir depuis janvier, a entamé une véritable normalisation de la vie politique, libérant des opposants et renforçant les libertés des politiques.
Démonstration de force
A 14 heures, à Goma, un jet privé se pose à l’aéroport. Dehors, une foule exulte. « ça y est il est vraiment là », dit un homme en courant. Beaucoup n’y croyaient pas. Aussi, beaucoup n’oseront venir. Mais l’influence est considérable. En sortant de l’aéroport, Moïse Katumbi qui maîtrise bien le jeu de la communication, décide alors de faire le pied. Il est là, au milieu de ses partisans, qui inondent les rues de Goma, paradant. L’image est isolante. De quoi secouer certains à Kinshasa. Le meeting prévu ne sera qu’un détail. « Je vois pourquoi il m’ont empêché de venir« , lance-t-il à la place Afya sous les applaudissements. « Jamais je ne trahirai mon peuple. Je suis du côté du peuple. Celui qui pourra me corrompre n’est pas encore né« , se targue-t-il. Le message ici n’est pas l’objet de la tournée. Car en fait, c’est une question d’image.
Originaire du Katanga, Moïse Katumbi n’a vraiment jamais mesuré sa popularité loin des murs du cuivre. Ici à Goma, il se découvre alors une stature nationale. D’autant plus qu’au même moment, les relations avec Martin Fayulu sont tendues, sur fond des élections de 2023. Le leader de la coalition Ensemble a raflé plus de 60 sièges aux Législatives faisant de lui le principal opposant, ce qui relèguerait Fayulu derrière. Et alors que ce dernier avait triomphé dans l’Est durant la campagne électorale, Katumbi vient ici récupérer ses voix et se positionner.
Le lendemain, c’est Beni qui tombe. Sous la pluie, Katumbi parade. La ville meurtrie par des massacres des groupes armés tombe sous son charme. Il faut dire que l’ancien gouverneur y met le paquet. Devant une foule éphorique à la place Nyamwisi, il se proclame en « sentinelle » de la population. Et Beni ne demandait pas mieux. Ni Butembo voisin d’ailleurs, où Katumbi y passera la nuit. La petite histoire veut que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe aient refusé de s’y rendre, part peur d’insécurité. Lui, Katumbi, y fait trembler la terre. En véritable patron, il fait le tour du propriétaire : des rencontres avec les acteurs locaux, ceux de la lutte contre l’Ebola, avec un rassemblement immense au centre-ville.
Au-delà des foules
Mercredi, c’est Bukavu qui suffoque. Nous ne sommes pas en période électorale. Et c’est un jour de la semaine. Mais voilà, la Place de l’indépendance jette du monde. Ni la parade des autorités de lui interdire de tenir un meeting, ni la pluie n’auront raison de lui. Car comme partout où il est passé, Katumbi opte pour la démonstration de force. Bukavu marche à ses côtés, sous la pluie, dans la rue. Il les traîne tous : jeunes, vieux, pères, fils et même parfois des petits. Cris, sifflets, chants. « Bombe la torse Katumbi, Bombe la torse, tu es le Roi de la ville », chantent-ils.
Dans cette tournée particulière, loin des pleins dans les rues quand il passe, Katumbi dessine néanmoins ses prochaines cartes. Dans ses passasages à Beni, à Butembo, à Goma ou même à Bukavu, l’ancien gouverneur termine ses journées par des consultations avec des leaders locaux. Alors qu’il a annoncé l’arrivée prochaine de son propre parti politique, il est clair qu’ici, dans les collines tranquilles de l’Est du Congo, un homme est en train de chambouler les équilibres.
Les élections sont loin. Des frictions font surface dans tous les sens. Félix Tshisekedi voit déjà ses alliés du FCC lui rappeler que Joseph Kabila sera candidat en 2023. Ceux de l’UDPS rappellent à Vital Kamerhe que Félix Tshisekedi y sera candidat. Les alliances sont ainsi menacées, alors qu’ils arriveront tous à cette date fatidique avec des bilans à défendre et peut-être un vote sanction qui attend. Le seul qui n’aura ni conflit, ni bilan à défendre, c’est Moïse Katumbi. L’ancien gouverneur doit cependant surveiller ses alliés dont un certain Martin Fayulu ou le très calme Jean-Pierre Bemba. Mais une chose est sûre, les jeux seront intenses.
Litsani Choukran,
Depuis Bukavu,
POLITICO.CD.
Un commentaire
le seul qui n’aura ni conflit, ni bilan a defendre, c katumbi! quand le $ nous tiennent par le cou!