« Mike Hammer est un détective privé new-yorkais qui ne réfrène pas ses pulsions primitives, il est adepte de la vengeance et de la loi du talion et n’hésite jamais à employer la violence extrême pour parvenir à ses fins : interrogatoires musclées, bagarres, tortures, tueries. Il préfère toujours user d’abord de son arme à feu et réfléchir ensuite ». Wikipédia ne parle bien évidemment pas de l’Ambassadeur des États-Unis à Kinshasa. Il s’agit ici d’un personnage de fiction des romans policiers de l’écrivain américain Frank Morrison Spillan. En RDC, ce détective privé, qui a fait sa première apparition dans le roman « I, the Jury » en 1947, adapté en film en 1953 par Harry Essex, puis en 1982 par Richard T. Heffron, résume toutefois bien le personnage qu’incarne son homonyme, l’actuel Ambassadeur des États-Unis.
L’histoire de Mike Hammer au Congo commence le samedi 22 décembre 2018 à Kinshasa. Alors que les élections qui devaient se tenir le dimanche suivant venaient d’être reportées, un homme rond, d’une veste bleu sombre, flanquée d’un pin du drapeau américain, s’extirpe d’un 4×4 aux plaques d’immatriculation diplomatiques. Mike A. Hammer a rendez-vous avec Joseph Kabila. Le nouvel ambassadeur des États-Unis à Kinshasa tient à présenter ses lettres de créances et assumer ses fonctions.
La rencontre, loin des caméras, ne durera pas longtemps. L’entourage de Kabila la veut glaciale. Le nouvel ambassadeur lui, préfère écrire quelques mots dans le livre officiel d’accréditation : « (…) Conscients que nous sommes à un moment historique de l’histoire du Congo alors que le pays se rapproche d’élections qui pourraient représenter le premier transfert pacifique et démocratique de pouvoir, les Etats-Unis sont prêts à apporter leur soutien. Des élections crédibles et transparentes offriraient l’occasion d’ouvrir de nouvelles possibilités de coopération entre nos deux pays ». Le ton est donné. Mais l’euphorie électorale ne capte pas ce moment crucial.
Pour autant, le nouveau représentant de la politique de Washington en RDC aurait dû attirer l’attention. Outre le fait d’avoir grandi en Amérique latine, vivant notamment au Honduras, au Salvador, en Colombie, au Venezuela et au Brésil, il a obtenu un baccalauréat de la Edmund A. Walsh School of Foreign Service de l’Université de Georgetown et une maîtrise au National War College (NWC, en français l’École nationale de guerre) ; une école faisant partie de la National Defense University. Située à Washington, cette école, explique son site officiel, a pour but de former les officiers supérieurs au rang de général. C’est une école interarmées qui forme les officiers de tous les corps de l’armée des États-Unis.
Par ailleurs, le nouvel Ambassadeur Hammer est devenu Vice-Président par intérim du National Defense University le 27 octobre 2017. Il était auparavant Commandant Adjoint de l’Ecole Eisenhower du NDU et a également été double Chancelier du Collège des Affaires de Sécurité Internationale. Et durant sa carrière, l’homme a servi à la Maison Blanche en tant qu’assistant spécial du président, directeur principal de la presse et des communications, et porte-parole du Conseil national de sécurité de janvier 2009 à janvier 2011. Il a également siégé au Conseil national de sécurité, a été Porte-parole adjoint de 1999 à 2000 et directeur des affaires andines de 2000 à 2001. « Mike Hammer a reçu plusieurs prix, notamment le Prix du fonctionnaire distingué de la Marine, le Distinguished Honour Award du Département d’État, le Prix Edward R. Murrow du Département pour l’excellence en diplomatie publique et plusieurs prix honorifiques supérieurs », souligne sa biographie.
Instigateur d’un chaos anti-Kabila en RDC
C’est donc un homme qui a le mot « sécurité » et « renseignements » qui reviennent en boucle dans son parcours que Washington envoie à Kinshasa, en plein duel avec le régime de Kabila. Car entre-temps, l’Administration américaine a pris position contre le président sortant de la RDC. Plusieurs de ses cadres ont été sanctionnés notamment par le Département du Trésor. Les États-Unis font une énorme pression à Joseph Kabila pour qu’il quitte le pouvoir. Alors que la psychose gagnait Kinshasa, Washington la fait monter en flèche en postant une unité des marines à Libreville au Gabon, prête à intervenir contre Kabila. L’avenir étant donc tracé.
Mais le maître de Kinshasa avait plus d’un tour dans son sac. Le 30 décembre 2018, en surprenant son monde, Kabila laisse les Congolais voter. Mais les résultats de ces élections n’iront pas dans le sens souhaité par Washington. D’autant plus que Mike Hammer, qui s’entiche d’un autre américain très connu en RDC pour avoir pondu une thèse pour la Balkanisation du pays, Peter Pharm, se sont rapprochés de l’opposition, notamment Moïse Katumbi. Mais ce dernier ayant été exclu par Kabila, Martin Fayulu devient alors le soutien farouche. L’Amérique impose une alternance au Congo, y compris le nom du futur vainqueur des élections.
Toutefois, le 9 janvier 2019, Corneille Nangaa, le sulfureux président de la CENI, sanctionné par les États-Unis, annonce la victoire de Félix Tshisekedi. Une victoire coupe-gorge, car quelques jours avant, le fils d’Etienne Tshisekedi consacre une étrange alliance entre lui et Joseph Kabila au sommet de l’État. Aux yeux de Mike Hammer et tout Washington, et de beaucoup d’autres, Kabila a trouvé là un moyen d’échapper à l’échafaud qui lui était destiné. Ainsi donc, lorsque Félix Tshisekedi prête serment le 24 janvier 2019 au Palais de la Nation à Kinshasa, l’Oncle Sam et son Ambassadeur prennent l’arrivée de ce pouvoir comme un tremplin pour en finir avec Joseph Kabila.
Opposer systématiquement Félix Tshisekedi à Kabila
À Kinshasa, Martin Fayulu en colère, s’estimant victime d’un braquage électoral, voit étrangement les États-Unis consacré le président qu’il conteste. Mike Hammer, encore lui, devient le premier conseiller du nouveau Chef de l’État. Et l’homme ira plus loin. Dans une mise en scène qu’il tire sûrement de son séjour sud-américain, il s’enfile une identité congolaise. Des surnoms locaux, il se fait appeler « Nzita ». Il enfile les maillots des Léopards, « Poulet mayo » Kinois, danses, l’américain se caricature en congolais. À Washington, il amène dans ses valises les visites de Félix Tshisekedi, en quête d’un soutien de Donald Trump. « Le Directeur de Marketing » de Félix Tshisekedi tisse soigneusement sa toile. Le nouveau président prend la température au tout début de son mandat, en déclarant vouloir « déboulonner le système dictatorial de Kabila ». Mais c’était encore trop tôt. Il fallait attendre. Attendre que des incidents balisent le chemin. Les querelles fusent au sein de la coalition avec Kabila. Un général meurt. Un juge aussi. Vital Kamerhe, ayant été avec Kabila, est écarté. La voie se libère, nous voilà face à la Cour Constitutionnelle.
L’occasion étant plus intéressante que Félix Tshisekedi découvre ses limites au pouvoir. La situation socio-économique et sécuritaire s’embourbe et le Chef de l’Etat peine à tenir ses promesses électorales. Alors que son immense projet de 100 jours s’est transformé en gâtine, avec des chantiers de sauts-de-mouton qui ne sont toujours pas achevés plus d’un an après, aller aux élections dans ces conditions conviendrait à une démarche suicidaire. Dès lors, tout chaos, naissant d’un conflit au sommet du pouvoir, pouvant soit entraîner la dissolution du Parlement, soit un énième dialogue et une transition, serait du pain bénit. Voilà Félix Tshisekedi et l’Amérique, qui tient à tout prix à en finir avec Kabila, se trouver un intérêt commun.
Il faut également noter que 60 députés congolais sont issus d’une formation politique qui n’est pas au pouvoir. Il s’agit de la coalition de Moïse Katumbi, ennemi juré de Joseph Kabila. L’ancien gouverneur du Katanga a eu à coaliser avec Félix Tshisekedi du temps de l’opposition. Depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a notamment débloqué le dossier de Katumbi autour de son passeport, qui a longtemps été bloqué par Joseph Kabila. Il y a quelques semaines, l’homme d’affaires a vu la justice congolaise lui donner raison dans son bras de fer avec Pascal Beveraggi, un proche de Kabila. Par ailleurs, Katumbi a choisi une position conciliante avec Tshisekedi. L’ancien gouverneur entretient également des liens étroits avec l’ambassadeur américain à Kinshasa. Durant les deux derniers mois, les deux hommes ont publiquement annoncé avoir échangé au moins deux fois au téléphone. Dans leur première conversation, il était entre autres question du débat houleux autour de la Commission électorale. Un dossier où Joseph Kabila chercherait à imposer son candidat à la tête de l’organisation des élections de 2023. Une question cruciale pour Moïse Katumbi, qui attend fermement ces élections pour enfin briguer la magistrature suprême.
Dans cet ensemble, les regards sont donc braqués vers la Cour Constitutionnelle. Car au Congo, la plus Haute Cour a droit sur tout. Joseph Kabila la suspendait comme une épée de Damoclès sur Félix Tshisekedi. Ayant la majorité dans les deux chambres du Parlement, l’ancien président, qui avait nommé tous les neufs juges de la Cour, a donc toute la latitude d’amorcer une destitution tant redoutée de Tshisekedi. Mais bien plus, Joseph Kabila reste au Congo, près du pouvoir, caché derrière Félix Tshisekedi, alors que l’Amérique veut bien sa tête. L’ancien président n’est protégé que par cette Haute Cour, d’abord à travers une loi d’anciens présidents qui l’absout de tout péché commis durant ses 18 ans au pouvoir, mais également, alors qu’il a effectué deux mandats successifs, le fils de Mzee Kabila devrait être libre de rempiler en 2023. Mais pour cela, il faudra que la Haute Cour puisse réfuter toute mauvaise foi. D’autant plus que, dans la querelle qui a élu domicile au sein des alliés au pouvoir, la coalition de Néhémie Mwilanya commence à fuiter le contenu de l’accord qui lie Kabila et Tshisekedi. Et ce dernier suggérait que l’ancien président soit le candidat de l’UDPS en 2023. Une utopie que nul à Limete, Saint-Siège du parti de Félix Tshisekedi, n’ose imaginer.
Une prestation de serment qui a failli embrasser le pays
Le mercredi 21 octobre, Kinshasa a longtemps retenu son souffle. La tension était palpable. Tous les regards étaient braqués vers Kingakati où Joseph Kabila aurait dû prendre une décision fatidique pour interrompre l’estocade qui est porté contre lui. Au palais du Peuple, malgré le refus des maîtres de lieux, la Garde Présidentielle a investi les bâtiments depuis la veille. Le protocole d’Etat s’est engouffré dans la salle de Congrès pour y installer la décoration officielle et préparer la cérémonie. La veille déjà, les messages d’appel au calme fusent. Les ambassadeurs de la Communauté internationale préfèrent « raisonner Kabila », lui assurant leur « soutien » dans cette bataille où il aurait raison. Tous jurent alors de ne pas se rendre à la cérémonie, mais plaident pour qu’elle ait lieu sans accroc. Depuis Nairobi et Pretoria, Kalev Mutond obtient l’engagement de deux parrains de l’accord Kabila-Tshisekedi pour un dénouement dans le calme. En échange, la prestation de serment devrait alors avoir lieu.
À 9h du matin, le Palais du peuple ressemblait à une foire. La télévision publique diffuse en direct. Les « combattants » de l’UDPS ont envahi la salle de Congrès. Tout comme les députés de l’opposition, et même quelques figures Kabilistes. Le gouverneur de la ville de Kinshasa, Gentiny Ngobila, y est. Pourtant membre éminent du parti de Kabila. Mais un seul étranger est dans la salle. Il s’agit bel et bien de Mike Hammer. Tel un artiste qui vient contempler l’exécution de son art, l’Ambassadeur américain arrive ici, comme tant d’autres congolais.
Eux, les Congolais, en tout cas ceux qui se sont présentés, sont en euphorie. Un tremblement de terre a lieu lorsque Félix Tshisekedi se pointe à l’entrée. La salle se lève et entre en ébullition. Le fils de Tshisekedi tient tout de son père, il pointe les fameux doigts de la victoire en l’air. Ça y est, Kabila est à terre. La suite ne serait que protocolaire. Trois nouveaux juges sont investis. Parmi eux, une femme, mère de cinq enfants, qui arrive au haut sommet de la justice congolaise. Une consécration de la femme largement sous représentée, mais noyée dans la polémique politique. Car si Félix Tshisekedi a son serment, la légitimité de cette Cour, n’en déplaise à Hammer, est remise en question. D’autant plus qu’en pleine cérémonie, c’est bel et bien l’hymne de l’UDPS, parti au pouvoir, qui a été entonné. Au risque de rappeler à certains les stigmates du parti-Etat, qui a ravagé le Congo durant 32 ans. Fin de l’acte II.
A suivre dans cette série:
Acte I: Kabila, Tshisekedi et la Haute Cour: la semaine où tout s’est enflammé
Acte II: Kabila – Tshisekedi et la Cour : les vraies raisons derrière la bagarre ( actuellement en lecture)
Acte III: Kabila – Tshisekedi, le début de la fin (à venir)