Dans son rapport de janvier 2021 intitulé « Dans le flou en RDC, le Chef de la CENI fait des affaires autour du vote de 2018 », The Sentry, organisme Américain d’enquête qui traque l’argent sale, démontre combien le patron de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) s’est lancé dans des affaires juteuses dans le secteur des mines en République Démocratique du Congo (RDC), à travers le processus électoral de 2018 qu’il a eu a gérer. Une rocambolesque affaire dans laquelle Corneille Nangaa s’est embarqué avec des personnes dont les ramifications pourraient remonter jusqu’au groupe terroriste Hezbollah.
Tout commence dans la gestion du processus électoral. « Au cours des préparatifs du scrutin, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a attribué un contrat important qui manifestait un risque de transaction intéressée, selon des éléments consultés par The Sentry. En janvier 2018, deux sociétés, dont l’une était détenue par de futurs associés du Président de la commission, Corneille Nangaa Yobeluo, ont décroché ce contrat d’une valeur de plusieurs millions de dollars. Ce contrat, pour éliminer les doublons parmi les dizaines de millions d’inscriptions sur le fichier électoral congolais a été attribué sans appel d’offres à d’autres compagnies », révèle le document publié par The Sentry.
S’il faut s’en tenir à ce rapport, le Chef de la CENI fait des affaires dans les mines depuis les élections de 2018. « M. Nangaa comptait parmi ses futurs associés Roger Abotome Bekabisya, qui a remporté les élections supervisées par le président de la CENI en tant que député de sa province d’origine. Des documents indiquent qu’après l’annonce des résultats en 2019, les deux hommes ont participé avec d’autres individus à un projet minier avorté dans le Haut-Katanga, province regorgeant de ressources naturelles», peut-on y lire.
Naanga et les accusations qui fâchent
De quoi Corneille Naanga est-il reproché ? Ci- dessous les griefs retenus à charge du patron de la centrale électorale en RDC:
- En février 2019, peu après l’annonce des résultats des élections qui ont accordé à M. Abotome son poste de député, ce dernier s’est associé avec M. Nangaa et d’autres investisseurs pour créer la société d’exploration minière General Ressources [sic] and Services SARL, comme l’attestent plusieurs documents.
- Trois autres sociétés détenaient la GRS lors de sa création : le Domaine agro-pastoral des Uélés SARL, BTC Mining and Services SARL (BMS) et la Société coopérative Grand Katanga pour le développement SARL. Le DAU était propriétaire de 64,7% des parts et la BMS de 15,4% des parts. La SCGKD, une société contrôlée par l’homme d’affaires Jean Paul Kaduwa, possédait le reste
- Le DAU appartenait à part entière à M. Naanga et à son épouse, Yvette Lubala Nazinda, qui remporta elle aussi un siège à l’Assemblée provinciale de Kinshasa lors des élections de 2018. Quatre même individus détenaient environ 80% et de Bravo Tozali Compagnie SARL et de la BMS, successeur de la BTC focalisé sur le domaine minier. Parmi ces personnes figurait M. Abotome, qui possédait 30% de la BMS et en était le gérant.
- D’après le protocole d’accord entre le DAU, la BMS et la SCGKD, ces trois entités ont formé la GRS pour « l’exploration et l’exploitation d’éventuels gisements miniers » dans des zones d’exploitation artisanale couvrant un peu plus de neuf kilomètres carrés du territoire de Kambove dans le Haut-Katanga, province riche en cuivre et en cobalt. Le DAU, contrôlé par M. Nangaa et son épouse, a accepté de verser 400.000 dollars en guise de pas-de-porte à la SCGKD, qui était titulaire des zones minières.
- La BMS a reçu 15% des parts de la GRS en échange des services de forage et de terrassement qu’elle s’est engagée à fournir, d’après M. Abotome. D’après ce dernier, leur valeur s’élèverait entre 50.000 et 60.000 dollars. Cependant, lorsqu’il apparut peu après que M. Nangaa faisait l’objet de sanctions américaines, les associés de la GRS renoncèrent au projet, toujours selon M. Abotome, qui affirme qu’il n’y eut par conséquent aucun transfert d’argent.
Des ramifications risquées
Autant de sociétés écrans. Avec des ramifications risquées. Qui sont les partenaires de Corneille Nangaa ? Le rapport cite entre autres BTC Mining and Services SARL, ayant des ramifications qui pourraient remonter jusqu’au groupe terroriste Hezbollah.
En juillet 2017, M. Naanga a signé une entente de collaboration avec UAB Neurotechnology, une société de biométrie, et l’entreprise congolaise Bravo Tozali Compagnie SARL (BTC). Les deux sociétés avaient formé un groupement pour répondre à une lettre d’intention de la Céni en vue de décrocher un contrat pour supprimer les doublons du fichier électoral, selon des documents consultés par The Sentry.
En formant un groupement avec la BTC, Neurotechnology a laissé de côté une collaboration éventuelle avec l’entreprise congolaise Data6tems SARL, bien que leurs sites internet respectifs affirment que Data6tems revend les produits Neurotechnology en RDC. Société installée à Kinshasa, Data6tems a été fondée par Rashid Brown Shomari, Abdul Rahim Bakhsh et Hilali Saidi. Certains documents laissent penser que Bakhsh et Saidi pourraient entretenir des liens indirects avec le Hezbollah, l’organisation politique et militante basée au Liban, ce qu’ils démentent.
Le même rapport renseigne que Abdul Rahim Bakhsh, qui semble également utiliser le nom d’Abdul Rahim Malik, et Malik Munir figurent parmi les associés de Saidi au sein d’une autre entreprise, la compagnie maritime Afroliner SARL. Depuis 2016, les deux hommes sont copropriétaires de la société de dédouanement Pacific Trading SARL, domiciliée à la même adresse qu’Afroliner. Un rapport de contrôle commandité par le gouvernement congolais à une société privée en 2013 décrit Pacific Trading comme un agent maritime contrôlé par Congo Futur, une entreprise liée au Hezbollah et soumise à des sanctions américaines. Selon le même rapport, le nom d’Afroliner est presque identique à celui d’une société belge qui aurait été dans le viseur des autorités lors d’une enquête sur Kassim Tajideen, lequel en 2018 a plaidé coupable aux États-Unis de blanchiment de fonds pour le Hezbollah.
En 2019, le département du Trésor américain avait émis des sanctions à l’encontre de trois des plus hauts responsables de la CENI, dont M. Nangaa. Les États-Unis accusaient le Président de la CENI d’utiliser des sociétés écrans pour détourner des fonds par le biais d’un système de fausses factures, de commissions occultes et de dépenses fctives. « M. Nangaa se serait enrichi personnellement, et le système aurait aussi soutenu les opérations politiques de l’ancien président Kabila en versant des pots-de-vin à la Cour constitutionnelle. Le processus d’inscription sur le fchier électoral aurait ainsi pris encore plus de retard, contribuant à repousser la date des élections et permettant ainsi au Président en exercice de rester au pouvoir au-delà du terme de son second mandat. La CENI rejette les allégations du Trésor», note l’enquête The Sentry.
Ce que recommande The Sentry
En perspective des prochaines élections, The Sentry estime que les modalités d’une éventuelle réforme de la CENI demeurent au centre des préoccupations de l’opinion publique et de la société civile congolaise, comme pour la communauté internationale. « Le train de réformes devrait revoir en profondeur les procédures d’attribution de marchés de la CENI», insiste cet organisme.
Afin d’améliorer la confiance des citoyens dans le processus démocratique et de renforcer la stabilité politique lors des prochaines échéances électorales, The Sentry formules quelques recommandations : examiner le contrat sur les données du fichier électoral; faire de l’attribution de marchés sans appel d’offres l’exception, et non la règle; empêcher des conflits d’intérêts futurs; contrôler les comptes de la CENI; s’assurer que le registre public des entreprises soit exhaustif, exact et mis à jour; ainsi que faire appliquer et respecter les lois et les règlements relatifs aux marchés publics.
Junior Ngandu