Dans la série des actes ignobles commis en terre congolaise sur sa population et ses réfugiés tel que répertorié dans le rapport Mapping des experts des Nations-Unies, se comptent également ceux commis dans le Grand Kongo (ex- Bas-Congo), par une coalition rwando-ougando-congolaise désignée sous le sigle ANC/APR/UPDF. James Kabarebe, actuellement Conseiller sécuritaire et militaire du Président rwandais, était à cette époque aux commandes de la coalition qui a commis des crimes imprescriptibles en RDC. Il se la coule douce aujourd’hui au Rwanda, jamais inquiété par la Justice. Politico rappelle les faits puisés du rapport Mapping de 2010, produit par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les crimes des Droits de l’homme et crimes internationaux commis en RDC.
À compter de la fin de 1997, les relations entre le Président Laurent-Désiré Kabila, le Rwanda et les militaires tutsi présents au sein des Forces armées congolaises (FAC) se sont fortement dégradées. Les autorités rwandaises et certains militaires tutsi congolais reprochaient notamment au Président congolais de privilégier son clan katangais, de ne pas respecter ses engagements en matière de reconnaissance du droit des Banyamulenge à la nationalité congolaise et de se montrer trop conciliant envers les ex-Forces armées rwandaises/Interahamwe [ex-FAR/Interahamwe] et les milices Maï-Maï hostiles à la présence de l’Armée patriotique rwandaise (APR) au Congo. En juillet 1998, craignant un coup d’État, le Président L-D Kabila a relevé le général rwandais James Kabarebe de ses fonctions de Chef d’État-major des FAC et ordonné le départ des militaires de l’APR du territoire congolais. En réaction, le 2 août 1998, des militaires tutsi se sont mutinés et ont lancé, avec l’aide de l’APR, de l’armée ougandaise [Ugandan People’s Defence Force (UPDF)], de l’armée burundaise [Forces armées burundaises (FAB)] et de certains militaires des ex-Forces armées zaïroises (ex-FAZ), une rébellion visant à renverser le Président L-D Kabila.
En quelques semaines, cette coalition regroupée sous la bannière d’un nouveau mouvement politico-militaire, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), a pris le contrôle des principales villes des Kivu, de la province Orientale et du Nord Katanga et a effectué une percée jusque dans la province de l’Équateur. En raison de l’intervention militaire de l’Angola et du Zimbabwe aux côtés du Président Kabila, l’offensive de la coalition dans la province du Bas-Congo et sur Kinshasa a cependant échoué. Au cours des mois suivants, la RDC s’est alors trouvée divisée en deux zones, l’une dirigée par L.-D. Kabila avec l’appui des forces armées du Zimbabwe [Zimbabwe Defence Forces (ZDF)], de l’Angola [Forças Armadas Angolanas/ Forces armées angolaises (FAA)], de la Namibie [Namibia Defence Force (NDF)], du Tchad [Armée nationale tchadienne (ANT)] et du Soudan. L’autre côté était contrôlée par la branche armée du RCD, l’Armée nationale congolaise (ANC), l’armée rwandaise (APR), l’armée ougandaise (UPDF) et l’armée burundaise (FAB).
Au fil des mois, note-t-on, la situation militaire est devenue plus complexe. Pour limiter l’emprise de l’ANC et de l’APR dans les Kivu, L.D. Kabila a noué des alliances avec des groupes armés Maï-Maï, le groupe armé hutu burundais des Forces pour la défense de la démocratie (FDD) ainsi qu’avec des ex-FAR/Interahamwe et des « éléments armés hutu » réorganisés au sein de l’Armée de libération du Rwanda (ALiR). De son côté, l’Ouganda, dont l’armée contrôlait alors une grande partie de la province Orientale congolaise, a créé et appuyé un second mouvement politico-militaire, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) présidé par Jean-Pierre Bemba, afin de gérer ses conquêtes dans la province de l’Équateur. En mars 1999, sur fond de désaccord grandissant entre le Rwanda et l’Ouganda quant à la stratégie à suivre face au Président Kabila, le RCD a éclaté en deux : une aile pro-rwandaise (RCD-Goma) et une aile pro-ougandaise [RCD-Mouvement de libération (ML)]. Malgré ces divisions, l’armée du RCD-Goma (ANC) et l’APR ont continué d’étendre leur zone d’influence dans le Nord-Katanga, les Kasaï et l’Équateur.
Le 10 juillet 1999, sous une intense pression diplomatique, un accord a été signé à Lusaka entre les principaux belligérants. Outre le cessez-le-feu, l’accord prévoyait le désarmement de tous les groupes armés, à commencer par les ex-FAR/Interahamwe, le départ des troupes étrangères et la tenue d’un dialogue politique intercongolais. Très ambitieux, l’accord n’a pas produit d’effet sur le terrain car les belligérants ont continué à chercher une solution militaire à la crise et le conflit s’est enlisé sur fond de pillage des ressources naturelles du pays et d’exacerbation de la violence contre les civils, notamment les femmes, en particulier dans les Kivu, le Nord-Katanga et la province Orientale.
Bas-Congo : le théâtre sanglant des massacres des populations civiles et autres
Tout commence le 4 août 1998. Des centaines de militaires rwandais et un petit nombre de militaires ougandais placés sous les ordres de James Kabarebe sont arrivés par avion sur la base militaire de Kitona, à Moanda, en provenance de Goma. Des militaires des ex-FAZ cantonnés sur la base de Kitona depuis plusieurs mois se sont ralliés à eux. Au cours des jours qui ont suivi, la coalition militaire rwando-ougando-congolaise a reçu le renfort de plusieurs milliers d’hommes et entamé sa conquête du Bas-Congo en passant par l’axe Moanda-Boma-Matadi. Les éléments des FAC, qui comptaient sur place de nombreux enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA) – ces enfants étaient appelés « Kadogo » en swahili – ont tenté de résister, notamment à Boma et Mbanza Ngungu, mais ils ont rapidement été dépassés et beaucoup sont morts au cours des combats.
Tout au long de leur progression vers Kinshasa, les experts des Nations Unies ont indiqué que les troupes de la coalition rwando-ougando-congolaise, désignés dans la suite du texte sous le sigle ANC/APR/UPDF ont tué de nombreux civils et commis un grand nombre de viols et d’actes de pillage.
Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués qui se présentent comme suit :
• Le 7 août 1998, les combats entre les éléments de l’ANC/APR/UPDF et ceux des FAC pour le contrôle de Boma ont causé la mort d’un nombre indéterminé de civils, le plus souvent victimes de balles perdues. Les forces de la coalition ont tué au moins 22 civils près de la Banque centrale et des jardins municipaux. Au nombre des victimes figuraient des jardiniers, des travailleurs de l’abattoir, deux handicapés mentaux et des personnes qui attendaient un véhicule pour se rendre à Moanda.
• Entre le 7 et le 10 août 1998, à Boma, des éléments de l’ANC/APR/UPDF ont séquestré et violé, souvent collectivement, plusieurs femmes dans l’hôtel Premier Bassin qu’ils avaient réquisitionné. Ils ont également causé des dégâts matériels importants dans l’hôtel.
• Du 4 août au 4 septembre 1998, des militaires de l’ANC/APR/UPDF ont pillé systématiquement les réserves des banques à Moanda, Matadi et Mbanza Ngungu.
• Le 13 août 1998, des militaires de l’ANC/APR/UPDF ont arrêté les turbines du barrage d’Inga, privant Kinshasa et une bonne partie de la province du Bas-Congo de leur principale source d’électricité pendant près de trois semaines. En mettant hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, ils ont entraîné la mort d’un nombre indéterminé de civils, notamment des enfants et des malades dans les hôpitaux.
Le 17 août 1998, cependant, lors du sommet de la Communauté de
développement de l’Afrique australe (SADC), le Zimbabwe, l’Angola et la Namibie ont annoncé l’envoi de militaires en RDC pour appuyer l’armée restée fidèle au Président Kabila. Au cours des jours qui ont suivi, des éléments des ZDF se sont déployés à Kinshasa tandis que les FAA lançaient une offensive terrestre et aérienne dans le Bas-Congo. Le 23 août, les FAA ont repris aux militaires de l’ANC/APR/UPDF le contrôle de la base de Kitona.
Au cours de leur progression le long de l’axe Moanda-Boma-Matadi-Kisantu, les FAA ont tué des civils, commis des viols et pillé des hôpitaux et des maisons d’habitation. Lorsqu’elles entraient dans une localité, les FAA procédaient systématiquement à une opération de ratissage et exécutaient tous ceux qu’elles soupçonnaient de collusion avec leurs ennemis. Les FAA profitaient de ces opérations pour violer des femmes et piller des maisons. Les biens pillés étaient ensuite envoyés en Angola par voie fluviale, par route, voire par hélicoptère. Les FAA tuaient des civils, dont des femmes et des enfants, qui tentaient de s’opposer à ces exactions.
L’ampleur des pillages a donné aux victimes comme aux témoins le sentiment qu’il s’agissait d’une opération planifiée. Il est manifeste que la hiérarchie militaire angolaise et les autorités de Kinshasa ont du moins toléré la commission de ces différentes violations.
Dans ce contexte, l’Equipe Mapping a documenté les incidents allégués ci-après :
• Le 23 août 1998, à leur arrivée à Moanda, des éléments des FAA ont violé au moins 30 femmes et jeunes filles, la plupart dans le quartier Bwamanu. Dans certains cas, les militaires ont obligé les membres de familles des victimes à applaudir pendant les viols, sous peine d’être exécutés.
• À compter du 26 août 1998, des éléments des FAA ont exécuté sommairement, en plein centre de Boma, un nombre indéterminé de civils. Ils ont aussi violé un nombre indéterminé de femmes et de jeunes filles. Ils ont pillé les biens des civils, notamment dans les quartiers périphériques de la ville.
• À compter du 27 août 1998, des éléments des FAA ont violé six commerçantes et au moins trois jeunes filles dans le village de Manterne, à 19 kilomètres de Boma, sur la route de Matadi.
• Aux alentours du 27 août 1998, dans le village de Kinzau Mvwete, à mi-chemin entre Boma et Matadi, des éléments des FAA ont tué 45 civils, dont des femmes et des enfants.
• À compter du 4 septembre, des éléments des FAA ont violé un nombre indéterminé de femmes et de jeunes filles, en particulier lors d’opérations de ratissage dans les quartiers de Mvuadu et Kinkanda de la ville de Matadi. Les militaires ont également pillé des dizaines de résidences privées.
• Aux alentours du 6 septembre, à Kimpese, des éléments des FAA ont commis des viols et des actes de pillage sur une grande échelle.
Mi-septembre 1998, les FAA, les ZDF et les FAC ont repris le contrôle de la province du Bas-Congo. Les militaires de l’ANC/APR/UPDF se sont repliés en Angola, dans une zone sous contrôle de l’UNITA, avant de partir pour le Rwanda entre novembre et décembre. Au cours de cette période, selon le rapport Mapping, la situation humanitaire est restée très préoccupante en raison de l’ampleur des pillages commis notamment dans les hôpitaux, de la destruction des principales infrastructures et des restrictions imposées à la liberté de circulation du personnel humanitaire dans la province par le Gouvernement de Kinshasa.
Hervé Pedro