Chaque tour de magie est constitué de trois parties ou de trois actes. On appelle premier acte « le pacte ». Le magicien vous montre une chose ordinaire. Le deuxième acte s’appelle « l’effet ». Le magicien prend la chose ordinaire et lui fait faire quelque chose d’extraordinaire. Mais vous n’êtes pas encore prêt à applaudir par ce que faire disparaitre une chose n’est pas suffisant, il faut aussi la faire réapparaitre. Ce troisième acte, qui consiste à faire réapparaitre la chose disparue, c’est le « Prestige ». L’ensemble du tour vous étourdie, vous êtes mystifié.
En matière de douane et de structure de prix en République démocratique du Congo, la Société de Transport du Congo sarl, connue Trans Congo SARL ou STC, qui a son siège social au n°3100, avenue des Poids lourds dans le quartier Kingabwa, commune de Limite ; pourrait, au regard des documents analysés par POLITICO.CD, avoir opéré l’un des plus grands tours de magie. Tenez, « le pacte », la première partie du tour, commence ici par une cargaison de 5 containers de 40 pieds contenant 135 tonnes de « dos de poulet » en carton de 10Kg importés des Pays-bas (Europe). Pour cette importation, la société a souscrit une License auprès de la banque « SOFIBANK », au numéro 0805060-BDEB-IB.
Arrive ensuite l’effet, la deuxième partie de la magie. Cette partie est faite grâce à ce qu’on appelle dans le secteur « le Commerce Triangulaire ». D’un côté, l’importateur, Trans Congo SARL, achète réellement la marchandise auprès de la société « Ep de Graaf BV / Food Today » aux Pays-bas. Une société qui est, selon son site internet consulté par POLITICO.CD, une entreprise familiale spécialisée dans la volaille depuis 1935. « La direction actuelle est la troisième génération de la famille De Graaf. Dans nos usines de production certifiées BRC-A et HALAL CORRECT à Putten, aux Pays-Bas, nous travaillons avec environ 200 employés à la découpe et à la production de produits à base de poulet. Les produits varient d’environ 250 tonnes de filets de poitrine de poulet frais par semaine, aux ailes de poulet, aux produits semi-finis comme Baader et MDM aux produits de commodité surgelés comme les hamburgers au poulet Halal et les fricandelles », explique la société. Mais voilà.
Dans son tour, Trans Congo SARL, arrivée au port de Matadi dans le Kongo central, prétend, toujours selon les documents parvenus à POLITICO.CD, avoir acheté cette marchandise auprès d’une société dénommée EGI FACTORY OFFshore basée, tenez-vous bien, au LIBAN ! Au poste douanier de la DGDA n°E 10946, cette déclaration est faite en date du 24 juillet 2020, affirmant que la valeur CIF de la marchandise importée est de 316,20 $US par Tonne. Le lanceur d’alerte qui envoie cette dénonciation, copiée notamment à plusieurs institutions, atteste cependant que le même produit, la même quantité, acheté auprès du même fournisseur aux Pays-bas et déclaré à la même période par un concurrent de TRANS CONGO SARL, a été évalué à 696,00 $US par Tonne.
Mais, rappelez-vous, il ne suffit pas de faire disparaitre une chose, il faut aussi la faire réapparaitre pour que le tour soit complet. Car échapper à la douane n’est qu’une étape, il faut à présent échapper aussi au contrôle du ministère de l’Économie. A ce niveau, TRANS CONGO SARL, affirment les documents en notre possession, dresse une structure des prix fixant son carton de dos de poulet à 15,26 $US par carton de 10kg hors TVA. Et la société prétend alors vendre le carton à 11,50 $US. Elle bat de ce fait toute la concurrence et complète son tour avec ce « Prestige ». Toutefois, il est visiblement trop gros pour passer. Notamment au niveau du ministère de l’économie. La structure de prix présentée par la société comporte ce que l’aviseur qualifie de « manipulations majeures » et de « tour de passe-passe ».
Il y a notamment les frais « OCC Laboratoire », déclarés à 270 $US par tonne, qui laisse croire que la TRANS CONGO SARL aurait donc fait un versement, au regarde de la quantité de sa cargaison, de 36.400 $US à l’Office congolaise de Contrôle (OCC). Sauf que le bulletin de liquidation consulté par POLITICO.CD indique que la société a effectué un paiement réel de 2.6007.182 CDF, soit près de 1.305,00 $US à l’OCC. Par ailleurs, TRANS CONGO SARL note des frais de « manutention à Kinshasa » de 18 $US par tonne, soit 486 $US payés pour chaque container de 27 tonnes déchargé, alors que le prix réel, renseigné dans les documents, est de 5,00 $US par tonne. L’arrêté ministériel n°065/CAB/MIN/-ECONAT/MBL/DKL/clag/2015 du 26 novembre 2015 fixe les « frais d’amortissement » à 0,1% de la valeur CIF. TRANS CONGO SARL les calcule à 2% de la sa valeur CIF. Plusieurs autres valeurs sont surévaluées. La société tentant âprement à rattraper son tour au niveau de la douane dans sa structure de prix.
« Un calcul élémentaire de la structure de prix de cette cargaison de dos de poulet projette le prix de vente TVA comprise à 7,9 $US le carton ; ce qui nous amène à solliciter ardemment l’implication de votre Autorité, Excellence Madame la Ministre, afin que cessent ces pratiques mafieuses pour le bien des consommateurs visiblement appauvris, ainsi que celui du Trésor public et des Services liés aux produits des importations, à ce jour fortement saignés par la politique des déclarations de fausses valeurs CIF des marchandises importes », appelle l’aviseur, qui s’adresse ici à l’ancien ministre de l’Économie, Acacia Bandubola, dans une lettre écrite le 20 novembre 2020 et consultée par POLITICO.CD.
Les lamentations de l’aviseur arrivent trop tard. La marchandise de TRANSCO CONGO SARL disparue à la douane, réapparait dans l’assiette des congolais, au prix fort. Le tour est parfait. Par ailleurs, les efforts de la rédaction pour recueillir une réaction de TRANS CONGO SARL sont restés vains.