Tout Congolais a surement entendu ses parents parler un jour de cette histoire de « l’aiguille dans la gorge d’un Coq». C’est l’histoire d’un vaillant Coq qui avale tout sur son passage et sèment la pagaille. Limaces, escargots, vers, les victimes tombent comme de feuilles mortes. Gonflé par cette cadence victorieuse, notre Coq va malencontreusement prendre un métal aussi fin que pointu pour cible. Il s’agit, malheureusement pour lui, d’une aiguille. Celle-ci finit par se loger dans la gorge du Coq. L’immobilisant. Le moindre mouvement pouvant ainsi lui être fatal.
Maintenant que vous avez l’image, allons vers les faits. Vital Kamerhe croyait avoir conclu l’affaire de sa vie. A Nairobi, l’ancien président de l’Assemblée nationale jette son dévolu sur Félix Tshisekedi dans une union des forces qui prend tout Kinshasa à contre-pied. Mais « VK » y croit dur comme Thomas l’apôtre du Christ. Les voilà en campagne. Comment ne pas y croire ? L’accord fait de Félix Tshisekedi candidat à la Présidentielle, et lui, Kamerhe, serait son Premier ministre, pour une inversion de rôle cinq ans plus tard. Mais voilà. L’homme propose, Dieu impose. D’autant plus qu’au Congo, les Tshisekedi ne sont pas réputés pour leur respect des textes. A peine quelques mois après leur arrivée au pouvoir, Vital Kamerhe devient la limace du nouveau président, le Coq le plus puissant de la Cour congolaise. VK est ainsi avalé dans une affaire préfabriquée où il ne pourrait pas trop prouver son innocence. La première victime d’une liste qui s’ouvre.
Après la limace Kamerhe, Joseph Kabila et sa coalition du Front Commun pour le Congo (FCC) sont des escargots qui vont finir par être, à leur tour, avalés. Ainsi, se frottant à Félix Tshisekedi au cœur de leur coalition au sommet, les voilà terrassés dans un spectacle victorieux au cœur de l’Assemblée nationale. Le 21 octobre 2020, deux doigts en l’air, à l’image de son paternel, Félix Tshisekedi parade le long du couloir le manant à l’estrade de la salle de Congrès du Palais du peuple. L’hymne de l’UDPS entonné à la place du Debout congolais le place au rang des dieux et va sans doute rendre le président congolais insensible à l’adulation excessive qui empoisonne désormais son mandat.
Peu importe si les lois du pays sont barbouillées. De toute façon, le Président peut compter sur un prestidigitateur qui œuvre depuis le Bunker de l’ambassade américaine à Kinshasa. Tshisekedi remporte ainsi la première salve des victoires face aux Kabilistes en intronisant ses trois juges à la Cour constitutionnelle qui lui sont loyaux. En décembre 2020, c’est Jeanine Mabunda, grande Kabiliste et présidente de l’Assemblée nationale, qui est éjectée. Pour l’image, elle sera remplacée par un homme qui tenait, quelques mois jadis, une pancarte dénonçant son éviction ! Thambwe Mwamba saute également du Sénat, suivant le même modèle. Félix Tshisekedi décrète la fin ingrate d’une coalition qui l’a amenée au pouvoir, s’offrant étrangement une nouvelle majorité composée pourtant des mêmes têtes que celles qui portaient jadis Joseph Kabila. La magie congolaise ! Mais celle-ci ne s’est pas opérée non sans passer par la banque. Et c’est là, étrangement, que l’affaire Beya va venir s’agripper.
L’illusion d’invincibilité
Nous n’y sommes pas encore là. La CENI devrait être apprivoisée également. Car ce pouvoir pourrait avoir une date de péremption en 2023. Mais là encore, quelques doigts « mis » à Martin Fayulu forcent le passage. Ensuite, sachez qu’après les limaces et les escargots avalés par le Coq de Limete, c’est autour des vers. La roue tourne vite au Congo, dit-on à Kinshasa. Jean-Marc Kabund n’a rien vu venir. Aussi, quand il intercepte le véhicule de la nièce du président dans une rue de Kinshasa croulant sous les incroyables embrouillages et l’incivisme au volant, il se croit loin de toute chute. Mal lui en prit. Même s’il a aidé grandement à neutraliser les premières victimes du puissant Coq de Kinshasa, sont tour arriva finalement. Tel Icare qui s’approche trop près du soleil, il est d’abord piégé dans une visite de courtoisie de la Garde présidentielle à son domicile, le poussant à la faute d’une démission impulsive. Le voilà aussi avalé, gisant dans le fond du ventre des victimes d’un pouvoir qui peut désormais se targuer d’avoir tout écrasé sur son passage. « La terre ne peut tolérer deux soleils », disait Alexandre Le Grand. La Cour congolaise ne peut tolérer deux rois.
Vint ensuite le tour de Moïse Katumbi, qui commençait alors à compter ses jours dans son mariage de raison avec Tshisekedi. Il l’échappe bel et évitant de déballer les résultats de ses consultations. Mais cela n’empêchera pas à l’Union Sacrée autour de Félix Tshisekedi de lui prendre ses députés. Tel un mariage où les époux font lits à part, Katumbi est toujours membre de la même Union, ayant ses cadres au gouvernement aux côtés de Tshisekedi, mais attendant suavement le jour de sa décapitation, s’orientant tantôt vers la pêche en terre sèche.
Le dossier Katumbi classé, le Coq de Kinshasa a toujours faim. Dans son Palais, un homme est pris pour cible. En apparence, il est si fin : il n’a pas de coalition comme Joseph Kabila, et ne contrôle encore moins l’est du pays comme Vital Kamerhe. François Beya, c’est son nom, n’a pas non plus la fougue de Jean-Marc Kabund. Le système Tshisekedi voit alors en lui un candidat idéal à la chute, telle une limace. Un bon matin, coupable d’avoir éteint son téléphone pendant trois jours, le voilà face dans la machine à broyer de Limete, qui le catapulte à la tête d’un coup d’Etat qui ferait rire Louis de Funès. Kinshasa en est interloqué. Des « indices sérieux » tendraient à prouver que Beya « aurait pris part à des activités portant atteinte à la sûreté de l’Etat ». Est-ce suffisant pour le broyer ? Mais oui ! Sauf que voilà, Beya est malheureusement pointu et fin. C’est finalement l’aiguille qui va coincer à la gorge du président congolais.
En sommes, loin d’une « tentative de coup d’Etat » sérieusement planifiée comme la radiotrottoir de Limete rapporte, les accusateurs de François Beya auraient livrés des enregistrements audio au président Tshisekedi. On y entendrait Beya et un groupe de collaborateurs critiquant le Chef de l’Etat depuis un Hôtel du centre-ville de Kinshasa. Et lui Beya, Conseiller spécial en matière de Sécurité, n’est pas le premier à rapporter cela au Président. La critique, dans une cour qui n’en tolère guère, se refusant toute remise en cause, avec un pouvoir qui monte à la tête, serait alors un crime de lèse-majesté.
Toutefois, rien de tel ne saurait expliquer une « atteinte à la sûreté ». Il faut trouver d’autres coupables. Les Raffles sont organisées mais ne donnent rien de concret. A Makala, une traque absurde contre des généraux emprisonnés tentent d’établir miraculeusement un lien entre eux et Beya. Au bout d’un mois certes, Beya reste étrangement le seul organisateur du Coup le plus restreint au monde. L’affaire devient compliquée pour le président Tshisekedi. Car quelques semaines avant son arrestation, Beya aurait fourré son nez de fureteur dans une affaire minier à plusieurs millions de dollars et tournant notamment autour de la corruption de députés afin de faire chavirer la majorité Kabilistes, où encore, ayant servi à renflouer les poches de plusieurs proches du Président. Il aurait alors secoué une fourmilière impliquant ses rivaux tant à la présidence que des proches puissants de la famille du président congolais.
Bref, l’enchainement de conditionnels ne fait que prouver le flou total autour de cette affaire. Beya, un homme qui a des accointances sécuritaire de Washington à Kigali en passant par Paris, fait trembler la Cour de Tshisekedi. Nul ne sait comment elle va se terminer. Encore moins comment la terminer. L’homme, fier, a refusé une mise en résidence surveillée dans une luxueuse villa à la Gombe. Le voilà coincé à la gorge du Président. Le retour à la normale n’est plus possible. Son départ fragilise un peu plus l’appareil sécuritaire d’un pouvoir plus que jamais secoué. L’Est continue de s’embraser malgré l’état de siège. Au nord, au Centre, au Sud et un peu partout, les dénonciations de Martin Fayulu commencent à prendre échos. Les populations du Kasaï n’ont d’ailleurs pas eu peur de le rappeler au président lors de sa tournée dans le coin : la situation sociale n’est pas au beau fixe. Et les promesses, multipliées depuis 2019, ne sont pas au rendez-vous. Mais Comme on dit chez nous, « celui qui avale une noix de coco entière fait confiance à son anus ».
LITSANI CHOUKRAN,
Le Fondé.