18 janvier 2019. Le Sénateur américain Cory Booker est sur les nerfs. L’élu du New Jersey, un État du nord-est des États-Unis, s’inquiète particulièrement « des conflits d’intérêts potentiels d’un diplomate américain clé pour l’Afrique ». Dans une tribune publiée sur son site, il interpelle le Secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo, lui exigeant « des réponses sur l’emploi continu du diplomate au sein d’un groupe de réflexion alors qu’il était envoyé spécial pour la région des Grands Lacs d’Afrique ».
Cory Booker est alors membre de la commission sénatoriale des relations étrangères et le plus haut démocrate du sous-comité sur l’Afrique et la politique de santé mondiale. Dans une lettre adressée dans la foulée à Mike Pompeo, il dénonce un problème d’éthique et un conflit d’intérêts à l’endroit d’un certain Peter J. Pham. A l’époque, cet homme n’est autre que l’Envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs d’Afrique (SEGL). « Les inquiétudes de Booker découlent de l’emploi continu de Pham au Conseil de l’Atlantique, un groupe de réflexion où Pham est vice-président de la recherche et des initiatives régionales et directeur du Centre africain. Le Conseil de l’Atlantique accepte les contributions d’un éventail de donateurs, y compris des gouvernements étrangers, des entreprises et des particuliers », dénonce le Sénateur américain.
Fait troublant, explique le Sénateur Booker, avant les élections tant attendues de la République démocratique du Congo le mois dernier, le Dr Pham n’était pas à Kinshasa, la capitale de la RDC, ou dans les capitales régionales, ni en consultation avec nos alliés européens sur la réponse appropriée aux développements électoraux – au lieu de cela, « il était au Maroc pour les Dialogues Atlantiques, qui ont été parrainés par le gouvernement marocain et l’OCP Policy Center, qui est financé presque entièrement par le gouvernement marocain. La participation du Dr Pham aux Dialogues de l’Atlantique à un moment important pour la région des Grands Lacs soulève des sérieuses inquiétudes quant à la façon dont il priorise ses rôles simultanés », dénonce-t-il.
La lettre de Booker demande des informations sur l’embauche, les divulgations financières et l’accord d’éthique de M. Pham ainsi que sur les conseils en matière d’éthique que le Département d’État lui a fournis concernant la nécessité de se récuser de certaines questions liées à son emploi par le Conseil de l’Atlantique. « Le peuple américain mérite de savoir si ses diplomates servent les intérêts américains, et non les intérêts de gouvernements ou d’entreprises étrangers« , indique la lettre. « La région des Grands Lacs est une zone cruciale et stratégique du continent africain et elle mérite l’attention d’un diplomate chevronné qui se consacre à soutenir activement sa paix et sa stabilité à long terme. De plus, en menant une surveillance rigoureuse des ressources privées dans la diplomatie, nous pensons que les pratiques de paiement pour jouer comme celles soulevées par l’emploi simultané du Dr Pham n’ont pas leur place dans la politique étrangère américaine », enfonce-t-il.
La sortie du Sénateur Booker ne fait pas échos en République démocratique du Congo. Le pays est préoccupé par sa toute première transition démocratique du Congo à sa tête. Le président Félix Tshisekedi remplace Joseph Kabila et se rapproche des États-Unis. Mais pendant ce temps, le Département d’Etat américain n’est pas resté les mains croisées. Peter J. Pham sera d’abord « rétrogradé » au Sahel. Un poste nouvellement créé, avant de finir par être limogé quelques mois après.
Revenu dans la vie civile, l’ancien diplomate ne se cache plus. Il regagne d’abord le Think Thanks américains Atlantic Council, avant de se relancer dans les affaires. Peter Pham est ainsi nommé comme administrateur de la société Africell. D’abord libanaise, cette société se mue étrangement en une société américaine, en ouvrant simplement un bureau aux Etats-Unis. Et plus étrange encore, la société n’opère que dans les pays où M. Pham était en mission durant son mandat de diplomate.
A Kinshasa, Peter J. Pham est filmé devant la presse en février 2020. Il est aux côtés des potentiels investisseurs américains, qui seraient venus avec un budget d’un milliard de dollars. Les nouvelles autorités congolaises en quête de tels investissements, lui déroule le tapis rouge. Mais elles déchanteront par la suite. Car deux ans après la signature de ce mémorandum entre la société Général Electric et l’État congolais, aucune réalisation n’a suivi.
Bien au contraire. Alors que la rébellion du M23 pointe de nouveau son nez dans l’Est de la République démocratique du Congo, l’ancien diplomate s’illustre dans une sortie plus qu’ambiguë vis-à-vis de Kinshasa, qui dénonce l’intervention de l’armée rwandaise sur son sol, exhibant plusieurs preuves. « Si des militaires du Rwanda sont détenus en RDC par des forces paramilitaires – sans parler des combattants associés aux génocidaires qui ont perpétré le génocide contre les tutsi de 1994 – opérant avec les FARDC, cela envenime encore plus le conflit dans la région », dit M. Pham dans un tweet.
Pourquoi Peter J. Pham défend-t-il l’agression rwandaise ?
Peter J. Pham soutient donc un communiqué des autorités rwandaises prétendant que deux de leurs soldats auraient été kidnappés par des FDLR. Problème, les deux militaires sont effectivement aux mains des autorités congolaise depuis le 29 mai 2022. Mais ils ont été appréhendés par des villageois congolais à Bihumba, dans le territoire de Rutshuru, qui est situé à plus de 20 kilomètres de la frontière rwandaise. Les autorités congolaises vont même diffuser des images de ces deux militaires rwandais en treillis, munis d’armes de combat et de pièces d’identité, prouvant les faits. Une situation qui finit par énerver les internautes congolais, y compris des personnalités publiques de la RDC. « (Monsieur Peter Pham) vous ne devriez jamais être le bienvenu en RDC. Vous êtes intellectuellement biaisé, indigne et malhonnête », dit l’ancien Ministre Daniel Mukoko Samba dans un tweet adressé à l’ancien diplomate américain.
Néanmoins, la position de Peter J. Pham n’est pas anodine. POLITICO.CD a pu établir les liens qui se cachent derrière cette position. En effet, selon les informations concordantes, Peter J. Pham est employé par TechMet, qui est un groupe industriel basé en Grande Bretagne qui détient plusieurs sociétés à travers le monde, et surtout en Afrique, spécialisée dans « la chaîne d’approvisionnement des métaux technologiques. ».
L’ancien diplomate américain est précisément employé au sein de Rainbow Rare Earths, une société du groupe TechMet, qui a notamment des mines en Afrique du sud et au Burundi. A Bujumbura justement, la société détient le projet Gakara qui produit l’un « des concentrés de la plus haute qualité au monde (généralement 54 % d’oxydes de terres rares au total (« TREO »)) grâce à des opérations minières d’essai. Le panier Gakara est fortement orienté vers le Nd/Pr, qui représente plus d’environ 19,5 % du TREO contenu et 85 % de la valeur du concentré », prend-t-elle.
Sur son site internet, Rainbow Rare Earths, société du groupe TechMet, confirme que Peter J. Pham fait partie de son Conseil d’administration, le présentant comme « un universitaire et un praticien des affaires internationales avec plus de 20 ans d’expérience en Afrique »
Des minerais pillés de la RDC ?
Mais cela n’est pas tout. TechMet a également une autre société qui exerce cette fois au Rwanda. TINCO Investments Ltd. Elle est présentée comme « la société verticalement intégrée d’extraction et d’exploration d’étain axée sur l’Afrique, est heureuse d’annoncer la réalisation d’un placement de 8 millions de livres sterling sous la forme d’un prêt convertible de deux ans. ». Selon le site internet du groupe TechMet, sa filiale rwandaise TINCO « UNE ENTREPRISE LEADER DANS L’EXPLOITATION ET LE DÉVELOPPEMENT D’ÉTAIN ET DE TUNSGTEN. ». « Tinco est le plus grand producteur d’étain et de tungstène au Rwanda avec quatre mines d’étain en production et une mine de tungstène, toutes avec de longs historiques de production et des avantages géologiques », dit le groupe. TechMet détient 28,5% de Tinco et a le droit d’acquérir un contrôle conjoint en finançant entièrement un programme d’expansion pour augmenter considérablement la production et réduire les coûts d’exploitation.
Par ailleurs, TINCO détient au Rwanda les mines de Rutongo comprennent cinq mines d’étain souterraines, à savoir Gisanze, Masoro, Nyamyumba, Gasambya et Mahaza dans la région de Rutongo au Rwanda qui abriterait l’un des plus grands gisements de cassitérite en Afrique. « TINCO détient une participation de 75 % dans l’exploitation minière d’étain de Rutongo, tandis que les 25 % restants sont détenus par le gouvernement du Rwanda », renseigne le site Nsenergybusiness.com
En novembre 2020, TechMet annonce qu’il va déployer un investissement de 20 millions de dollars dans ses opérations au Rwanda, au cours des deux prochaines années. Le sud-africain Brian Menell, directeur général de la société, a annoncé cette information lors d’une conférence de presse virtuelle avant l’Africa Mining Forum.
Toutefois, si TechMet et ses partenaires présente le Rwanda comme un des grands producteurs d’étain et de tungstène, plusieurs sources, notamment les Nations-Unies ont dénoncé le fait que le régime de Kigali pille en réalité ces ressources de la RDC. Les recherches réalisées par Global Witness dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ont révélé l’implication du Rwanda dans le pillage des minerais de la RDC. Un document d’information publié en français aujourd’hui présente les résultats des recherches menées en RDC dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, au Burundi et au Rwanda en mars et avril 2013.
« La plus grande partie de l’étain, du tantale et du tungstène produits dans le Nord et le Sud-Kivu profite aux rebelles et à des membres de l’armée gouvernementale. Les minerais sont transportés clandestinement du Congo au Rwanda et au Burundi pour être ensuite exportés. L’étain et le tantale introduits clandestinement au Rwanda sont blanchis à travers le système d’étiquetage national rwandais et exportés en tant que produits rwandais « propres » », a dénoncé Global Witness. En octobre 2021, le Conseil de sécurité de l’ONU a réclamé l’arrêt de la violence et du pillage des ressources naturelles dans l’est de la République démocratique du Congo, dans une déclaration adoptée à l’unanimité de ses 15 membres.
Les efforts de POLITICO.CD pour joindre Peter J. Pham sont restés vains. Néanmoins, l’homme est connu sulfureux en République démocratique du Congo. Dans une tribune publié en 2012 au prestigieux journal américain New York Times, il n’a pas hésité à appeler à l’imposition de la RDC, alors que le pays était menacé par les agressions de ses voisins rwandais et ougandais.
Note
En avril 2021, Litsani Choukran, le Fondateur de Politico.cd a déposé une plainte pour diffamation contre M. Pham. Dans un tweet adressé quelques jours plutôt au journaliste congolais, M. Pham avait affirmé que ce dernier était « payé par un homme politique Congolais connu pour faire des publications diffamatoires » contre lui.