Un rapport publié ce mercredi 27 juillet par une Organisation non gouvernementale burundaise dénommée « Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) » révèle que le Burundi a lancé depuis près d’une année, une mission (militaire ) secrète en République Démocratique du Congo.
Selon ce rapport consulté par la rédaction de POLITICO.CD, cette structure renseigne que depuis décembre 2021, l’armée burundaise a envoyé des centaines de militaires dans la République Démocratique du Congo (RDC). Des vagues successives de soldats, renforcés par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, ont été envoyés en mission pour combattre les groupes d’opposition armés burundais de l’autre côté de la frontière.
Cette structure indique que leur principale cible est le groupe armé RED-Tabara (Mouvement de la résistance pour un État de droit-Tabara), qui a lancé des attaques sporadiques au Burundi ces dernières années. Opérant principalement depuis la RDC, RED-Tabara s’oppose au gouvernement burundais, mais sa force a fluctué au fil des ans.
« Un silence officiel entoure l’opération militaire. La présence d’un grand nombre de militaires burundais et d’Imbonerakure en RDC est un secret de polichinelle, mais plusieurs mois plus tard, le gouvernement n’a toujours pas reconnu publiquement l’envoi de troupes sur place », fait remarquer cette ONG dans son rapport.
D’après l’IDHB, les militaires et les Imbonerakure traversent la frontière de manière clandestine, généralement la nuit ; certains soldats reçoivent l’ordre d’échanger leurs uniformes militaires contre des vêtements civils et de laisser derrière eux des objets susceptibles de les identifier. « Les militaires et les Imbonerakure de retour de la RDC ont été avertis de ne pas parler de leur mission », révèle l’IDHB qui précise que « Peu ou pas d’explications sont données aux familles de ceux qui meurent sur le champ de bataille ».
Présence burundaise en RDC, un secret de Polichinelle
Les opérations transfrontalières de l’armée burundaise en RDC ne sont pas un phénomène nouveau. Depuis plus de 10 ans, les militaires burundais et les Imbonerakure cherchent périodiquement à traquer les groupes armés d’opposition burundais en RDC. Néanmoins, d’après cette structure, l’opération actuelle est d’une ampleur et d’une durée différentes : des effectifs plus nombreux, envoyés en plusieurs déploiements, combattent en RDC depuis sept mois.
« L’opération a attiré des groupes armés congolais, dont certains ont formé des alliances avec l’armée burundaise ou avec RED-Tabara. Ces collaborations ont déstabilisé davantage une région de la province du Sud-Kivu en RDC déjà déchirée par des conflits armés. Avec des lignes de front souvent changeantes, les civils congolais se sont retrouvés pris dans les combats », note ce rapport.
De plus, l’opération militaire burundaise survient à un moment où le groupe armé M23 a refait surface au Nord-Kivu, avec le soutien rwandais, ce qui a encore aggravé les tensions locales et régionales.
L’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) dit avoir a décidé de documenter certains aspects de cette opération militaire en raison du peu d’informations publiques disponibles, en particulier au Burundi, et du manque d’attention internationale qui l’entoure.
En effet, l’IDHB affirme que la nature secrète du renforcement de l’armée burundaise en RDC, ainsi que la militarisation des Imbonerakure et la rhétorique ouvertement intransigeante de hauts responsables du parti au pouvoir au Burundi, devraient inquiéter les acteurs internationaux. A l’en croire, la dérive vers une approche plus autoritaire et militariste pourrait signaler un retour en arrière vers une forme de gouvernance encore plus répressive.
Le rapport analyse également la justification de l’opération militaire burundaise en RDC, en la plaçant dans le contexte de développements politiques récents au Burundi. Parallèlement à cette opération, les dirigeants du parti au pouvoir au Burundi, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), ont intensifié leurs efforts pour endoctriner et militariser davantage les Imbonerakure, les préparant à assumer un rôle de plus en plus important dans les missions de sécurité nationale.
L’incursion transfrontalière, le président Tshisekedi aurait donné le feu vert à l’armée burundaise
Selon ce rapport, le président de la RDC, Félix Tshisekedi aurait donné son accord à son homologue burundais afin que son armée traque les rebelles RED-Tabara sur le territoire congolais.
« Lorsque le président Évariste Ndayishimiye a quitté Kinshasa, la capitale congolaise, après une visite d’État de trois jours en juillet 2021, il avait une bonne nouvelle à annoncer à son gouvernement : il avait discuté avec son homologue congolais, le président Félix Tshisekedi, de la façon d’« éradiquer » les groupes armés dans l’est de la RDC. Plus important encore, les présidents avaient signé trois accords, dont l’un faisait référence à la coopération en matière de sécurité. Il semble également qu’ils aient tacitement accepté que les forces armées burundaises puissent entrer en RDC pour attaquer RED-Tabara », rapporte ce rapport.
« Ndayishimiye a eu une autre occasion de plaider sa cause lors d’un sommet régional à Nairobi le 21 avril 2022 et lors d’une visite très médiatisée du président Tshisekedi au Burundi en mai 2022. Une déclaration conjointe publiée à la fin de la visite de Tshisekedi a souligné « la nécessité de renforcer des patrouilles et opérations mixtes entre les forces de défense et de sécurité des deux pays », ajoute la même source.
Lors du sommet d’avril, les dirigeants de la Communauté d’Afrique de l’Est ont également convenu de créer une force régionale pour faire face aux menaces sécuritaires posées par les groupes armés en RDC, à laquelle les troupes burundaises pourraient participer aux côtés de celles d’autres pays d’Afrique de l’Est, excepté le Rwanda exclu par Kinshasa.
En juin 2022, le Burundi a accepté de faire partie de cette force régionale, ce qui pourrait officialiser et prolonger sa présence en RDC.
« Le feu vert officieux pour l’opération militaire du Burundi en RDC est survenu à un moment politiquement fortuit pour Ndayishimiye ; il avait besoin d’apaiser les tenants de la ligne dure au sein de son gouvernement qui étaient de plus en plus frustrés par son langage conciliant et le percevaient comme faible. Mais l’allégresse diplomatique a occulté le fait que l’armée burundaise avait déjà envoyé unilatéralement des centaines de militaires et d’Imbonerakure en RDC », prévient cette structure qui milite pour les droits de l’Homme.
Ce groupe de défense des droits humains soutient qu’Il ne s’agissait pas d’une opération conjointe avec les forces armées congolaises ni d’un effort régional plus large. Au contraire, martèle t’il, « l’armée burundaise avait noué des alliances avec des groupes armés congolais dont certains s’opposent à l’armée congolaise ».
Pour appuyer cette assertion, cette ONG cite un burundais impliqué dans la planification de l’opération depuis le début était l’agent de renseignement Joseph Mathias Niyonzima alias Kazungu, qui a joué un rôle important dans le ciblage des groupes armés en RDC depuis plusieurs années. Membre du Service national de renseignement (SNR) et ancien membre des Forces nationales de libération (FNL), Niyonzima avait déjà été envoyé en RDC en 2014 pour traquer les membres d’une faction armée dissidente des FNL. Pendant cette période, il a amené des Imbonerakure à Kiliba Ondes, près de la rivière Ruzizi dans l’est de la RDC, pour être entraînés par des militaires burundais dans le but d’attaquer les groupes d’opposition armés burundais. Des révélations sur cette formation ont fait polémique au Burundi à l’époque, contrastant avec le silence entourant l’opération en cours. Niyonzima a été impliqué dans de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires, de torture et d’autres violations des droits humains au Burundi et il a été sanctionné par l’Union européenne et les États-Unis en 2015.
« Peu de temps après la visite de Ndayishimiye à Kinshasa en juillet 2021, Niyonzima, ainsi que des responsables du renseignement militaire burundais, dont l’adjudant-major Onesphore Ndayishimiye alias Braddock, l’adjudant Jean Bosco Ahishakiye et le lieutenant-colonel Libère Niyonkuru, sont arrivés en RDC pour préparer l’arrivée de l’armée burundaise et des Imbonerakure », fait observer le rapport.
Sur le territoire congolais, l’armée burundaise a tissé des alliances avec au moins deux groupes armés congolais – Maï-Maï Kijangala et Gumino, essentiels à ses plans.
Pour la petite histoire, les Maï-Maï Kijangala sont dirigés par un homme connu sous le nom de Kijangala, ancien membre de plusieurs groupes Maï-Maï disparus, dont la plupart ont été créés pour défendre leurs communautés contre les attaques d’éléments armés d’autres groupes ethniques ou d’acteurs armés étrangers. Dans le passé, Kijangala avait collaboré avec RED-Tabara, dont il s’est ensuite séparé pour créer son propre groupe armé, apparemment afin de protéger son groupe ethnique Bafuliro des attaques ; comme d’autres groupes Maï-Maï, les Maï-Maï Kijangala se sont rapidement fait connaître pour le vol à main armée et le pillage de bétail.
« Son ancienne collaboration avec RED-Tabara, son contrôle sur une zone stratégique proche de la plaine de la Rusizi et ses contacts avec d’autres groupes Maï-Maï en ont fait un collaborateur attractif pour l’armée burundaise. Ses relations avec les autorités burundaises sont si étroites qu’il disposerait d’une maison à Bujumbura et se déplacerait à travers la frontière dans des véhicules appartenant au SNR ou au renseignement militaire burundais », indique cette ONG.
En outre, l’armée burundaise a également ravivé des liens avec Shaka Nyamusaraba, un commandant de l’ethnie Banyamulenge, qui dirigerait Gumino, un groupe armé majoritairement Banyamulenge ; l’armée burundaise a des liens de longue date avec Gumino, remontant à 2018. Dans le passé, Nyamusaraba était membre d’autres groupes armés et il a également servi dans les forces armées congolaises, mais il a déserté après des allégations de viol et de pillage. Opposant de longue date au gouvernement rwandais, il était en 2018 un chef de file de la branche armée du Congrès national rwandais (Rwandan National Congress, RNC) dans l’est de la RDC. Nyamusaraba a collaboré avec des membres de RED-Tabara dans le passé, mais il s’est retourné contre eux en faveur de l’armée burundaise, apparemment à cause du soutien rwandais à RED-Tabara en 2015 et 2016.
En avril 2022, le gouvernement burundais a tenté d’élargir encore ses alliances en rencontrant d’autres groupes armés congolais actifs dans la province du Sud-Kivu. Encore une fois, Niyonzima a joué un rôle clé et a rencontré des représentants d’au moins deux groupes Maï-Maï. Ces groupes s’étaient récemment affrontés avec Gumino (un des alliés de l’armée burundaise), ainsi qu’avec l’armée congolaise (avec qui Niyonzima s’était entretenu en janvier), illustrant le caractère apparemment contradictoire et opportuniste de ces alliances.
En dépit de ces allégations documentées notamment par les experts de l’ONU sur la RDC, le gouvernement burundais continue de nier la présence de son armée en RDC.
Début janvier 2022, le porte-parole militaire du Burundi, Floribert Biyereke a catégoriquement nié la présence de militaires burundais en RDC « Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas de militaires burundais en RDC. L’armée burundaise n’opère pas en RDC. Elle ne couvre que le territoire national. Aucun militaire ne peut oser aller intervenir dans un autre pays sans qu’il y ait une convention entre les deux pays », a-t-il déclaré. Trois semaines plus tard, c’était au tour du ministre de la Défense, Alain Tribert Mutabazi, accompagné de Prime Niyongabo, chef d’état-major de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB), de nier la présence de l’armée burundaise en RDC. Il a qualifié les allégations de « rumeurs ».
Cependant, ce rapport confirme qu’en privé, le gouvernement burundais a qualifié son opération d’« opération conjointe » avec les forces de sécurité congolaises.
Ci-dessous, le rapport complet https://burundihri.org/french/july_2022.php