Clausewitz est un vétéran prussien des guerres napoléoniennes qui consacra ses années de retraite à rédiger ce qui allait devenir le plus fameux ouvrage sur la guerre intitulé « De la guerre ». Il posa alors un constat qui deviendra à la fois mythique et polémique : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Dès lors, et à jamais, Guerre et politique seront intimement liées. Cependant, la Guerre, dans sa conception principale, veut que deux entités s’affrontent directement. Toutefois, à une certaine époque non lointaine, un affrontement entre deux puissances a donné naissance à un concept qui est aujourd’hui au cœur de notre réflexion : la guerre froide.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les deux grands vainqueurs veulent dominer le monde : d’un côté, les États-Unis ; de l’autre, la Russie, appelée l’Union soviétique, à l’époque. Les deux camps veulent que leurs idées et leurs influences respectives s’imposent partout. Pendant un peu plus de 50 ans, ils coupent le monde en deux « blocs ». Les Américains aident les pays qui combattent les Soviétiques, et l’Union soviétique soutient ceux qui luttent contre les États-Unis. Pour autant, et aussi étrange que cela puisse être, malgré l’animosité et les tensions énormes, les deux puissances évitent de s’affronter directement. En revanche, la menace est permanente : chaque camp possède des bombes nucléaires, des armes très puissantes. C’est ainsi que l’écrivain britannique George Orwell imagina alors un concept original en 1945. Il appela cela : « Cold war », en français « Guerre froide ». Un concept est donc né.
L’histoire d’une alliance qui a mal tourné
Ne comptez pas sur les Congolais pour ne pas s’inspirer de cette expérience en matière de conflit. Et comme entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, c’est au cœur d’une amitié qui tourne mal que naîtra la guerre froide congolaise. Nous sommes août 2016, le 15 précisément. Une bagarre rangée a lieu à la 10ème de la Commune de Limete. Le jour d’avant, Etienne Tshisekedi, président du mythique parti d’opposition Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) a décidé de virer Bruno Mavungu de son poste de Secrétaire général du Parti pour le remplacer par un parfait inconnu, un certain Jean-Marc Kabund.
A 35 ans, ce jeune homme qui se présente alors comme originaire de Kamina dans la région du Katanga, est contesté par celui qui doit laisser son fauteuil. Et donc, le lendemain, dans une logique de confrontation, Bruno Mavungu investit le siège de l’UDPS à la pour annoncer la création de son nouveau parti, l’Union des Démocrates pour la Renaissance du Congo (UDRC). En colère, des « combattants » de l’UDPS, armés des bouteilles et des pierres, ont fait une descente sur place pour « chasser Mavungu et ses partisans ».
La bagarre et ses blessés vont capter toute l’attention. Cependant, derrière ce bras de fer puéril, se joue un chapitre politique riche en conséquence à ce jour. Jean-Marc Kabund, qui n’est certes pas connu sur la scène congolaise, sera maintenu. Toutefois, il doit son maintien à une alliance étrange, depuis Bruxelles. Une dizaine de jours seulement après, à Geneval, Etienne Tshisekedi ferra son « came back » à la tête d’une grande coalition d’opposition appelée « Le Rassemblement ». D’apparence, c’est une alliance dirigée par ce vieil opposant contre Joseph Kabila. Cette grand-messe serait donc organisée par l’ancien ennemi farouche du célèbre Maréchal Mobutu.
Dans les coulisses cependant, Etienne Tshisekedi doit sa résurrection à l’activisme, et au financement même, d’un certain Moïse Katumbi. Ancien gouverneur de la riche région du Katanga, surtout bras droit de Joseph Kabila, Katumbi en a eu marre d’attendre son tour et veut désormais succéder au président. Il claque donc la porte de son parti, le PPRD, et embarque avec lui 7 autres partis de la Majorité présidentielle. Devenu opposant, Moïse Katumbi se trouve face à obstacle : Etienne Tshisekedi. Le vieux, qui a passé trois décennies à s’opposer aux présidents en RDC et à se battre pour l’avènement de la démocratie, contrarie ses plans de devenir non seulement opposant principal, mais également d’affronter Joseph Kabila à des élections prévues alors en 2016, en face-à-face.
Néanmoins, Etienne Tshisekedi est octogénaire. La moyenne d’espérance de vie étant de 40 ans en RDC, Katumbi calcule la patience, pariant sur la biologie pour l’aider à monter sur le trône de l’opposition. Toutefois, il va falloir mettre la main sur « l’UDPS ». Cette machine politique dont on ne saura jamais qui d’elle ou d’Etienne Tshisekedi aura porté l’autre, est une véritable religion qui ne saurait, même avec la disparition de son Sphinx, s’éteindre. Jean-Marc Kabund est donc la solution. A cette époque, même ce dernier est présenté comme farouche « Tshisekedistes », ses origines « Katangaises » sont censées établir un lien étroit avec le clan Katumbi, qui joue alors le grand financier de l’opposition, et donc des Tshisekedi, dans leur guerre commune contre Kabila.
Un clin d’œil, Etienne Tshisekedi n’est plus là, il passe l’arme à gauche non sans avoir porté, jusqu’au bout, son combat pour la démocratie. Toutefois, à la surprise générale, l’UDPS reste toujours le principal parti d’opposition. Et ce, malgré le débauchage de ses cadres par Joseph Kabila. Pire encore, Tshisekedi Etienne s’est réincarné dans le corps d’un autre, son propre fils, Félix ! Contre-carré, Moïse Katumbi est obligé, à contre-cœur certes, de s’allier avec ce dernier. Une amitié assez vache, mais qui tient. Même lorsque Joseph Kabila approchera le fils Tshisekedi pour le nommer Premier ministre.
Le Dol et le pouvoir
En novembre 2018, les voilà à Genève. Les élections s’approchant. Joseph Kabila ayant décidé de ne plus se représenter, l’opposition compte dégager un candidat commun pour l’emporter. Félix Tshisekedi, devenu donc président de l’UDPS, compte essentiellement sur son puissant allié et camarade Moïse Katumbi pour être désigné. Il s’est talonné par Vital Kamerhe. Il ne se doute certes de rien. Ce Kivutien, surnommé « Kamerhéon », n’a aucune chance de battre.
Le dol est un ensemble de manœuvres frauduleuses destinées à tromper, explique le Robert. A Genève, Katumbi sort sous sa manche un certain Martin Fayulu, non sans prétendre que ce choix viendrait d’autre opposants. Félix Tshisekedi ayant cependant compris ce « dol », finit par claquer la porter et rompre à jamais leur alliance. La fin d’une amitié d’apparence qui aura duré longtemps.
A Naïrobi, il est consolé bien étrangement par son ancien protagoniste Vital Kamerhe. Les deux décident alors de former une nouvelle alliance face à « LAMUKA » de Moïse Katumbi, qui se cache lors bien derrière Martin Fayulu. Car n’ayant pas pu être candidat, il compte sur la victoire de ce candidat surprise, qui signe alors un accord avec lui pour convoquer une nouvelle Présidentielle deux ans après son arrivée hypothétique au pouvoir.
Le 25 janvier 2019, Félix Tshisekedi prête serment. Il devient le tout premier président issu d’une alternance pacifique du pouvoir en RDC. Moïse Katumbi le regarde à la télévision et regrette, non sans avoir tenté, jusqu’au bout, de bloquer cette « intronisation de Tshisekedi »: tantôt via des révélations d’une défaite présumée de ce dernier, tantôt par l’entremise même de Paul Kagame, alors président de l’Union Africaine, qui ira jusqu’à demander à Joseph Kabila de sursoir la publication des résultats. Mais Joseph Kabila, qui a eu le dernier mot dans son combat face à son ancien protégé, n’en a pas voulu. D’ailleurs, il est même allié à Félix Tshisekedi dans cette nouvelle alliance au sommet. C’est donc la fin de la première manche des dessous d’une amitié qui a finalement mal tourné. Katumbi avale la pilule, mais rêve déjà de sa revanche dans une « vraie-fausse » reconciliation à lire dans le prochain acte.
Lire dans ce dossier:
ACTE I: L’histoire d’une alliance qui a mal tourné (en cours de lecture)
ACTE II: La vraie-fausse réconciliation et batailles silencieuses
ACTE III: Une Première dame cible d’attaques politiques coordonnées
ACTE IV: Moïse Katumbi, devenir Président et mourir