15 janvier 2019. Alors que la Commission électorale nationale Indépendante (CENI) venait de déclarer Félix Tshisekedi vainqueur de la Présidentielle tenue en décembre 2018, avec 38,57 % des suffrages exprimés, classant ses rivaux Martin Fayulu deuxième, avec 34,83 %, devant Emmanuel Ramazani Shadary (23,84 %) ; des médias internationaux lancent une véritable contre-campagne affirmant avoir reçu une fuite d’information proclamant finalement Martin Fayulu vainqueur. Ces données, qui auraient fuité vers le Financial Times, TV5 Monde et Radio France internationale (RFI), seraient de deux origines différentes. Une partie, attribuée à la Commission électorale, par l’intermédiaire d’un présumé lanceur d’alerte, montrerait que Martin Fayulu a obtenu 59,4 % des voix et concernerait 86 % des suffrages exprimés. L’autre partie émane de l’Église catholique et le donne gagnant à 62,8 % des voix.
A cette époque, Martin Fayulu est le candidat d’une grande partie de l’opposition anti-Kabila. Il peut compter sur un certain Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga et dont l’emprise sur les médias internationaux n’est plus à démontrer. Joseph Kabila en souffrira énormément. Mais Katumbi n’est pas seul à se ranger dernière Fayulu. L’Église catholique, par l’entremise de la Conférence Épiscopale du Congo (CENCO), viendra appuyer cette version. Et l’Église admettra plus tard qu’elle aurait disposé d’un réseau d’observateurs, équipés notamment de téléphones portables fournis par Katumbi, qui aurait regroupé ces résultats proclamant Fayulu vainqueur.
Joseph Kabila s’impose. Il n’attend même pas la mission de l’Union Africaine conduite par Paul Kagame et qui avait demandé la suspension de la publication des résultats. La suite est donc connue. Cependant la rivalité entre ces deux camps ne cesse pas pour autant, malgré les évolutions brusques de la scène politique congolaise. Moïse Katumbi s’est allié à Félix Tshisekedi. Ce dernier a divorcé d’avec Joseph Kabila. Mais à l’approche des élections en 2023, l’alliance entre Tshisekedi et Katumbi n’existe que de nom. D’autant plus que pendant ce temps, Joseph Kabila s’est réconcilié avec Moïse Katumbi. Par ailleurs, depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi ne sera jamais en odeur de sainteté du côté de l’Église catholique. Si les prélats mettent toujours en avant leur « souci » pour le développement du pays et les populations pauvres, les premières querelles qui créent la distance entre Tshisekedi et le cardinal Ambongo sont d’ordre politique : la désignation des dirigeants de la Commission électorale, qui a échappé aux catholiques.
En effet, aux côtés des protestants, les Catholiques forment la grande majorité des confessions religieuses en RDC et tiennent à garder leur influence. Néanmoins, les autres confessions religieuses, principalement les Kimbanguistes d’un côté, mais surtout les Évangéliques de l’autre, progressent dans une société congolaise qui déserte de plus en plus les deux églises traditionnelles : Catholique et Protestante. Dans le bras de fer autour de la CENI, six autres confessions se sont opposées au choix des Catholiques et Protestants pour imposer le choix de Denis Kadima comme Président de la Commission électorale. Félix Tshisekedi ayant finit par désigner ce dernier, la rupture fut donc consommée.
Il sied également de rappeler qu’outre les querelles autour de la CENI, Félix Tshisekedi, mais surtout son épouse Denise Tshisekedi, est de confession « évangélique » et les deux n’hésitent pas à afficher leur foi en public. La Première dame notamment est une fervente chrétienne qui s’évertue à participer activement dans la vie « évangélique » au pays, qui constitue dès lors une réelle menace face à une Église catholique qui n’a pas cessé de perdre de son influence et de ses fidèles ses dernières années. A cela s’ajoute la proximité entre l’Église catholique et l’opposant Moïse Katumbi qui lorgne activement vers les élections de 2023, après avoir été privée de la Présidentielle de 2018 par Joseph Kabila. En février 2021, le Cardinal Ambongo en personne a effectué une longue visite au village natal de Katumbi, à Kashobwe, où il assistera à la pose de la première pierre de la paroisse Saint Gabriel l’Archange; une église dont la construction est financée par Moïse Katumbi.
Médias internationaux comme bras armés
C’est dans ce décor que la Première dame Denise Nyakeru Tshisekedi se retrouve au cœur du combat politique. Le 7 juin 2022, Jeune Afrique ouvre le bal avec une manchette de son « envoyée spéciale » depuis Kinshasa : « Chez les Tshisekedi, la politique en famille ». Dans cet article, la Première dame de la RDC est placée à l’échafaud. Le média lui prête alors tous les derniers « crimes » politiques du régime. Elle serait à la base de l’arrestation de François Beya, l’ex-puissant conseiller du président en matière de sécurité aujourd’hui en prison. Un peu plus loin, dans ce dossier visiblement téléguidé, c’est finalement l’inquisition contre Denise Tshisekedi : sa biographie, son influence ; comment elle aurait placé ses proches à des postes clés et mêmes ses plaintes auprès du président. Tout est déballé dans une forme de journalisme d’investigation. Une investigation aussi fouillée que seule la cause du réchauffement climatique n’est pas imputée à la Première dame.
Pas très politique, le Bureau de Denise Nyakeru préfère faire un communiqué de démenti, croyant le chapitre clos. Néanmoins, ceci n’était visiblement qu’un début. Début juillet, l’Église Catholique monte étrangement au créneau. Sur le même Jeune Afrique, elle affirme alors que John Nyakeru, le frère de Denise Nyakeru, tenterait de spolier un terrain du séminaire théologique Saint-Jean XXIII, à l’ouest de Kinshasa. Le 19 juillet 2022, des représentants de l’Église catholique tournent carrément une vidéo pour accuser M. Nyakeru, qui est ambassadeur de la RDC au Kenya, d’être impliqué dans une tentative de spoliation de ce site de neuf hectares, dont les prélats assurent disposer du titre de propriété depuis l’époque coloniale. Une conférence de presse s’en suivra. Le cardinal Fridolin Ambongo et son vicaire, Monseigneur Carlos Ndaka Salabisala, y dénoncent cette fois, avec nuance, « une tentative de spoliation orchestrée par un groupe de personnes se réclamant, notamment, du frère de la Première dame ».
Deux jours après, le frère de la Première dame tente de désamorcer la crise en allant à la rencontre du Cardinal. Si plusieurs publications avaient ensuite circulé sur les réseaux sociaux, certaines affirmant que Fridolin Ambongo avait, à l’occasion de cet échange, présenté ses excuses au diplomate, la version des catholiques changera quelques jours après. Cette fois, au lieu d’accuser M. Nyakeru, le Cardinal lui demande simplement de « prouver son innocence ». Ce que l’Église ne dit pas, ce qu’à l’issue de sa rencontre avec John Nyakeru, le cardinal Ambongo a non seulement tourné une vidéo où il dément l’implication de l’Ambassadeur autour de cette affaire, mais il lui remettra alors une liste de personnes qui l’auraient cité, lui demandant de « peser de toute son influence pour que l’Église soit restaurée dans son droit » et promettant alors de publier la vidéo du démenti.
De son côté, le frère de la Première dame dément toute implication dans ce dossier et assure n’avoir aucune revendication sur la concession occupée par le séminaire théologique. Il annonce même avoir déposé plainte, le 22 juillet, auprès du commissariat provincial de la police nationale pour la ville de Kinshasa à ce sujet. Dans sa plainte, John Nyakeru explique qu’un individu répondant au nom de « Trésor », qui aurait cité son nom dans cette affaire, serait impliqué. Cet homme se serait présenté, auprès des ecclésiastiques, comme son secrétaire particulier.
L’épisode de la parcelle des catholiques étant encore frais, Denise Tshisekedi fait à nouveau la une de la presse, belge cette fois. Il s’agit cependant d’un média bien connu des Congolais : La libre Belgique. Une couverture non authentifiée fait la une des réseaux sociaux et où Denise Nyakeru est crucifiée sur la croix. Sur le site du média, la Première dame est la cause de tous les maux. Et si ceux de Jeune Afrique se gênaient de l’accuser d’être à la base du réchauffement climatique, Hubert Leclerc, une plume très connue au Congo tant pour son intéressement que pour ses accointances du côté de l’opposant Moïse Katumbi, y va droit. Une fois de plus, loin des critiques solides sur la gestion de Tshisekedi, l’épouse du président est ciblée. Pour autant, l’addition n’est corsée. Souvenez-vous de la composition du ticket Lamuka durant la présidentielle de 2018. Et même s’ils ne témoignent plus des mêmes ambitions, ces derniers ont néanmoins toujours eu une certaine capacité à coaliser lorsque leurs intérêts communs sont en jeux. C’est donc ainsi que Mme Marie Masimi entre en scène.
Mme Marie comme chair à canon
« Enlèvement ! », s’exclame-t-on sur les réseaux sociaux. « Encore un ?», s’interroge un journaliste. « Maman Marie a été enlevée très tôt ce matin par des personnes encagoulées », annonce un autre sur les réseaux sociaux le vendredi 05 août 2022. Qui est donc cette « Maman Marie » ? Un personnage loufoque, apparu ce dernier temps dans les médias alternatifs, ceux des réseaux sociaux, et qui n’a pas sa langue en poche. Cette dame, du haut de ses 70 ans révolus, entretien une diatribe en rouleau libre envers les autorités congolaises. Une particulièrement. Christophe Mboso N’Kodia Pwanga. Elle charge si souvent le président de l’Assemblée nationale qu’elle est même surnommée, par les internautes, de « l’ex de Mboso ». Mais que s’est-il passé ? Pourquoi est-elle arrêtée ? Les réseaux sociaux congolais s’embrasent. Tout comme les condamnations. Dans ce pays où Human Rights Watch parle d’une montée de répression sous la présidence de Félix Tshisekedi, il n’en suffisait pas plus pour que les boucans autour de cette énième affaire prenne l’ampleur.
Rapidement, il est établi que Mme Marie Masemi est détenue par la Police congolaise. Mais les dessous de l’affaire, qui sont largement occultés, ne donnent pas envie de défendre la dame. Les autorités lui reprochent alors sa toute dernière sortie vidéo. Comme les autres, à une différence près, cette dernière s’attaque non pas au président de l’Assemblée nationale, mais plutôt à la Première dame Denise Nyakeru Tshisekedi. En Lingala, elle commence d’abord par prétendre que la Première dame n’était qu’une « concubine » du Chef de l’État, qui ne l’aurait pas épousé. Elle s’enfonce un peu plus tard en prétendant que Denise Nyakeru n’était pas congolaise. La police, qui ne communique pas alors sur ce dossier, viendra compliquer la situation lorsqu’une vidéo va faire surface le lundi 08 août. Elle est filmée dans les locaux de la police et on y voit Mme Marie présentant ses « excuses à la Première dame ». Diffusée par des proches du pouvoir, la vidéo qui aurait dû aider à comprendre a plutôt un effet inverse. « En demandant pardon à la Première dame, c’est comme si c’était la Première dame qui l’avait fait arrêter. Et cela va dans le sens des condamnations », explique un analyste politique à Kinshasa.
En effet, en début de soirée, c’est autour des opposants politiques au régime de Félix Tshisekedi de récupérer l’affaire. Le professeur Devos Kitoko, Secrétaire général du parti de Martin Fayulu, publie des photos où on le voit dans le salon de Mme Masemi, et où il annonce, tout à coup, que cette dernière était membre de son parti, l’ Engagement citoyen pour le developpement (ECIDE). « La famille ECiDé vient de rendre visite à maman Marie MASEMI après sa libération par ses ravisseurs. Nos entretiens ont tourné au tour des conditions de son enlèvement, sa détention,sa rencontre avec Madame Denise Nyakeru et de la réalisation de sa vidéo de demande de pardon », fait savoir le Professeur Kitoko. « De là, les services de sécurité qui l’ont accompagné ne l’ont pas ramené à l’inspection provinciale de la police où nos avocats l’attendaient. Elle est présentement acheminée chez elle sous escorte policière après diffusion d’une vidéo où elle parle sans voir son interlocutrice », ajoute-t-il.
POLITICO.CD a vérifié ces propos. Il s’avère d’abord que Mme Masemi a bel et bien tourné une vidéo aux installations de la Police au centre-ville de Kinshasa. Cependant, c’est après sa libération que la Première dame Denise Tshisekedi aurait alors sollicité, auprès de sa famille, à la rencontrer. « J’aimerai d’abord préciser que la Première dame n’est pas plaignante dans cette affaire », explique finalement le Général Kasongo, commissaire provincial de la Police nationale congolaise (PNC) dans une vidéo tournée à l’issue de la rencontre entre la Première dame et Marie Masemi aux côtés de sa famille. Le Chef de la police avoue par ailleurs que la dame a été arrêtée sur son instruction. « Nous sommes venus ici sur demande de la Première dame auprès de la famille qui voulait la rencontrer pour lui prodiguer les conseils », ajoute-t-il. Marie Misemi prend ensuite la parole aux côtés de sa famille pour s’excuser une fois de plus et confirmer les propos du général congolais.
Cette vidéo d’une dame tout à coup consciencieuse et cherchant le pardon contraste totalement avec celle que l’opposant Devos Kitoko diffuse. Dans celle-là, la Dame reprend sa diatribe en mettant en garde le Chef de la police kinoise. Mme Misemi revient par ailleurs sur ses propos affirmant que ce sont les responsables politiques de son parti qui lui aurait mis les paroles dans la bouche contre la première dame. Une diatribe, loin d’être anodine, sort cependant d’un discours politique bien ficelée, tout comme le contexte dans lequel cette Dame arrête soudainement de s’attaquer à Mboso Kodia pour s’apprendre à la Première dame de la RDC. Un tel changement radical n’a pas été questionné. Au contraire, un débat houleux, suivi des condamnations, fait rage sur les réseaux sociaux.
Au lendemain de sa rencontre avec la Première dame, Marie Masemi est trainée au siège du parti de Martin Fayulu à Kinshasa où elle est présentée comme une héroïne. Elle porterait désormais le nom de « Marie Kimpa Nvita ». La dame affirme pourtant que la police congolaise aurait subtilisé la somme de 3500 USD lors de son arrestation. Denise Tshisekedi aura du mal à répondre. D’autant plus qu’un Général de police qui se permet d’arrêter une « vieille dame » en pleine nuit a déjà suscité le tollé.
Néanmoins, les faits sont là : la guerre politique qui va surement faire rage en 2023 a déjà commencé. Et la Première dame de la RDC est plus que jamais l’objet de la bataille actuelle. Une bataille qui n’a désormais plus de principe, guidée seulement par une volonté absolue d’arriver au pouvoir, ou celle de le conserver, en face.
Lire dans ce dossier:
ACTE I: L’histoire d’une alliance qui a mal tourné
ACTE II: La vraie-fausse réconciliation et batailles silencieuses
ACTE III: Une Première dame cible d’attaques politiques coordonnées (en cours de lecture)
ACTE IV: Moïse Katumbi, devenir Président et mourir