C’est un Félix Tshisekedi au visage fermé et au ton grave qui est apparu à la télévision nationale au soir du jeudi 3 novembre pour lancer un appel à l’Unité. Le président congolais a d’abord demandé aux politiques de « taire leurs différends » et de se mobiliser « comme un seul homme », avant de demander à la jeunesse à « s’organiser en groupes de vigilance » face au M23 qui, a-t-il réaffirmé, bénéficie de « l’appui du Rwanda ». L’appel du président Félix Tshisekedi arrive en en un moment où plusieurs localités dont Bunagana et récemment Rutshuru dans l’Est, sont passées sous contrôle de la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda.
Des opposants répondent à l’appel
Au lendemain de cette sortie, Martin Fayulu, pourtant opposant farouche à Tshisekedi, s’est rapidement prononcé, allant dans le même sens en dénonçant l’agression rwandaise et en appelant à une mobilisation. « De l’agression de notre pays par le Rwanda même par l’Ouganda, nous devons avoir le même langage », a-t-il plaidé depuis Londres où il est en tournée. Adolphe Muzito, également farouche opposant à Félix Tshisekedi, est également sorti de sa réserve, pour aller dénoncer ouvertement le Rwanda, y compris l’Ouganda. Le parti de l’ancien Premier ministre, le « Nouvel élan » appelle même ses partisans à descendre dans la rue le 17 novembre prochain pour « une marche de colère contre l’agression de la RDC par le Rwanda. »
Le dimanche 6 novembre, l’ex-Premier ministre Matata Ponyo qui s’était attaqué plusieurs fois au président Félix Tshisekedi, l’accusant notamment de vouloir écarter sa candidature à la prochaine présidentielle, est monté également au créneau pour appeler le peuple congolais à «une mobilisation générale pour faire face à « la guerre nous imposée injustement par le Rwanda à travers le M23 ». Aux habitants de Bunagana et de Rutshuru particulièrement, sous occupation du M23, Matata Ponyo dit sa compassion et sa sollicitude.
« Je suis de cœur avec vous et je ferai tout ce qui est possible pour que cette guerre d’agression plusieurs fois larvée en mouvement de rébellion s’arrête un jour de manière définitive. Je félicite et soutiens les Forces armées congolaises qui se battent pour préserver la paix et la sécurité de nos frères et sœurs sur le front ». Il se dit convaincu que ce qui se passe dans l’Est de la RDC n’est pas une rébellion interne, mais plutôt « une guerre d’agression à visée expansionniste avec comme objectif final l’annexion d’une partie de notre territoire par le Rwanda ».
Le leader du parti politique Leadership et gouvernance pour le développement (LGD) appelle le gouvernement congolais à renforcer son leadership et sa gouvernance, en veillant à la cohésion interne, qui passe notamment par une justice et une redistribution équitable des ressources du pays. « Le front commun intérieur dont le pays a besoin en ce moment pour préserver son intégrité ne peut pas être aisément réalisé dans les conditions actuelles caractérisées notamment par la protection des opérateurs politiques proches du pouvoir et la chasse aux sorcières ainsi que l’élimination pernicieuse des candidats présidents déclarés ou non déclarés au travers notamment des poursuites judiciaires non conformes aux lois du pays, avec l’appui des institutions publiques ».
Des silences qui étonnent
Dans l’Est du pays, près des zones de combats ou encore à Goma, capitale du Nord-Kivu, l’engouement est également observé du côté de la population où des milliers de jeunes se sont mobilisés pour intégrer l’armée. « J’ai rejoint l’armée parce que le Rwanda s’est beaucoup joué de nous», dit une fille volontaire au micro de Politico.cd. « La nation est en danger et la nation en danger a besoin de ses dignes fils et filles pour la servir sous le drapeau, pour défendre l’intégrité du territoire. Les forces armées de la République démocratique du Congo procèdent déjà au recrutement massif des jeunes pour servir sous le drapeau. Au moment où je vous parle, ils sont plus de 2 000, rien qu’à Goma. », a déclaré le Général de division Sylvain Ekenge, porte-parole de l’armée.
Pour autant, plusieurs autres formations et leaders politiques sont restés silencieux tant face à l’appel du président Félix Tshisekedi que face à cette agression rwandaise. Il y a d’abord le parti présidentiel, l’Union pour la Démocratie et le progrès Social (UDPS), qui n’a encore dit mot et qui semble ne pas être concerné par cette nouvelle guerre qui fait rage dans l’Est de la RDC. A ses côtés, des alliés du président Tshisekedi dont Vital Kamerhe et son parti de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), qui revenait pourtant d’une tournée dans l’Est, y proposant même un plan « de sortie de crise », qui s’est étrangement tue depuis la sortie du président congolais. L’Union Sacrée, la coalition au pouvoir, a également gardé silence. Même si le Premier ministre Jean-Michel Sama s’est exprimé à ce sujet durant son passage à l’Assemblée nationale pour défendre le budget de l’année prochaine, qui augmente considérablement les moyens mis à la disposition de l’armée.
Il y a par ailleurs deux autres silences assourdissants qui sont remarqués en RDC. D’abord celui de l’ancien président Joseph Kabila et de sa coalition, le FCC. Si Joseph Kabila n’est pas habitué à s’exprimer, le silence de son parti, le PPRD, étonne néanmoins alors que durant son séjour au pouvoir, notamment en 2012, il s’était buté aux mêmes M23 soutenus par le Rwanda. « Il faut comprendre les Kabilistes. Eux, quand ils étaient au pouvoir, l’UDPS de Tshisekedi ne leur montrait aucun soutien sur ce sujet qui est pourtant crucial pour la survie du pays. C’est donc normal qu’ils se taisent », explique. Mais cela n’explique pas tout.
Les Kabilistes «en colère »
La dernière fois que les Kabilistes s’étaient exprimés au sujet de cette agression rwandaise remonte de juillet dernier. Dans un communiqué, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) avait apporté son soutien aux Forces armées de la RDC « face à la dégradation de la situation sécuritaire notamment dans la partie Est du pays », sans toutefois condamner le Rwanda ni le nommer. « Sur le plan sécuritaire, le Bureau Politique (du PPRD) constate une dégradation de la situation sécuritaire dans notre pays et s’en dit fortement préoccupé. C’est ici l’occasion de présenter nos sincères condoléances et d’exprimer toute notre compassion à ceux de nos compatriotes victimes de cette crise. Il apporte son soutien sans faille aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo face aux forces négatives qui opèrent dans notre pays, particulièrement dans sa partie Est. Il fonde une confiance totale en la capacité de nos Forces Armées à vaincre ces forces négatives« , avait dit une déclaration du PPRD.
Un proche de Joseph Kabila explique cette attitude. « Avant de partir du pouvoir, le président Honoraire était clair : nos rapports avec le Rwanda n’étaient pas bons. Nous avons été surpris, à l’arrivée du Président Tshisekedi, que notre pays change subitement de cap. Pire encore, malgré nos conseils, des officiers de l’armée ont été arrêtés ou punis simplement parce qu’ils étaient hostiles au Rwanda ou parce qu’ils étaient nommés par Kabila. Comment voulez-vous aujourd’hui que nous soyons ceux qui prennent les devants face à leurs propres erreurs ? », interroge ce très proche de Kabila qui a requis l’anonymat.
Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du PPRD, a cependant affirmé que son camp était est prêt à contribuer à résoudre la crise à l’Est. « En tant qu’opposants, on ne sait pas ce que le président de la République attend pour mobiliser la nation, la population et la classe politique autour de cette guerre. Il faut être ouvert« , a-t-il dit dans un média local. Il estime que sa famille politique, menée par Joseph Kabila est prête »à contribuer pour trouver des solutions à la situation sécuritaire dans l’Est du pays. Nous l’avons fait depuis le début, lorsque nous apportions les observations par rapport à la prise de décision sur la question de l’Est ». Il rappelle cependant que »nous avons été contre le fait que le gouvernement ait pris l’option de renégocier avec le M23 alors qu’il avait déjà disparu. Il n’y avait pas de raison de renégocier avec ces gens-là et surtout de signer des accords avec le Rwanda et l’Ouganda parce que maintenant on est pris à la gorge à cause de ces problèmes« . Pour lui, cela prouve à suffisance qu »’on est là, disposé à apporter nos observations en tant qu’opposants pour que le gouvernement ne persévère pas dans l’erreur. Même pour l’état de siège, nous avons été contre la mutualisation des forces avec l’Ouganda« .
Autour de Kabila, d’autres dénoncent « l’attitude du pouvoir » du président Félix Tshisekedi. « Cela ne permet pas de créer des conditions d’une mobilisation », dit un autre proche, qui a requis le sceau de l’anonymat. « Vous ne pouvez pas avoir des gens en prison pour avoir critiqué et appeler à la mobilisation. Le Chef de l’Etat devrait donner l’exemple et poser des gestes qui permettent que toutes les parties se mobilisent pour lui prêter mains fortes. La menace est réelle, mais c’est au Chef de faire le pas », estime-t-il, sans toutefois écarter la possibilité de voir Joseph Kabila et Félix Tshisekedi de travailler ensemble. « C’est totalement possible. Ils ont déjà travaillé ensemble. Pourquoi ne le feraient-ils pas à nouveau, pendant que notre pays est menacé. Mais il faut que nos amis au pouvoir tirent les leçons de leurs erreurs et tendent la main. Il n’y a pas que Kabila qu’il faut mobiliser. Toutes les autres forces du pays attendent du président de la République des actes forts », conclut-il.
Moïse Katumbi a perdu sa langue
L’autre silence assourdissant est beaucoup plus proche du président Félix Tshisekedi. Il vient de Moïse Katumbi dont on ignore au moment actuel s’il est opposant ou toujours allié au président congolais. Il faut dire que l’homme n’est pas connu pour sa capacité à tenir des discours. Néanmoins, son Parti Ensemble pour la République multiplie des communications qui se bornent cependant qu’autour des enjeux électoraux. L’ancien gouverneur du Katanga s’est totalement tu sur cette question de l’agression rwandaise dans l’Est du pays. Sa dernière sortie à ce sujet date du 21 mai dernier où il s’est fendu d’un tweet peu clair : « Jamais la guerre n’apporte de solution. Face à la nouvelle épreuve que nous traversons, soyons tous unis. Tout mon soutien va aux #FARDC qui se battent avec courage face aux #M23 ! Le sort des milliers de nos compatriotes en détresse doit être notre toute première préoccupation. », avait-il dit. Jamais, depuis, Moïse Katumbi ne s’est ni exprimé sur la question, encore moins n’a ouvertement condamné l’agression rwandaise. Si les Kabilistes ont des griefs exprimés, ceux de Moïse Katumbi restent mystérieux.
« Nous préférons garder silence parce qu’une déclaration ne changera rien. Il faut des actions concrètes et nous avons toujours dit cela », explique un proche du président du TP Mazembe, qui a requis l’anonymat.Pour autant, plusieurs à Kinshasa, sourtout du côté du président Tshisekedi, estiment que ce silence de Moïse Katumbi est résultat d’une « accointance avec Kigali ». « Tout le monde dans ce pays sait qu’il (Katumbi) ne peut pas l’ouvrir face à Kagame parce qu’ils sont liés », dit un cadre de l’UDPS qui a également requis l’anonymat, sans toutefois donner plus d’explications. Toutefois, Moïse Katumbi est assez proche du président rwandais Paul Kagame.
En 2018, le séjour de l’ancien gouverneur du Katanga dans la capitale rwandaise les 28 et 29 avril, lors de la cérémonie de remise du prix Mo Ibrahim, a fait l’objet d’une vive polémique à,Kinshasa. Le président rwandais s’était plaint que « les problèmes du Congo ne sont pas seulement des problèmes du Congo, ils nous affectent aussi en tant que voisin« . Ce à quoi Katumbi avait affirmé : « Je pense que le président (Kagame) a tout dit« . « Maintenant que je suis au Rwanda, ils vont inventer d’autres fausses accusations parce qu’ils n’aiment pas le Rwanda… », avait déclaré Katumbi devant la presse à Kigali. Déjà à cette époque, plusieurs à Kinshasa avaient épinglé Katumbi. « Moïse Katumbi refuse de pointer Paul Kagame du doigt pour son mauvais rôle dans l’instabilité de la RDC ! Quel rapport ne cite pas le nom du Rwanda dans l’agression du Congo ? Cet homme est-il vraiment informé de la situation congolaise ou vit-il sous d’autres cieux ? », s’interroge un internaute sur Twitter.
De ce passage à Kigali, Moïse Katumbi avait notamment noué des relations étroites avec le président Paul Kagame, allant jusqu’à visiter le mémorial de Kigali. Des relations qui se sont fait sentir durant les élections de 2018. En effet, alors que Katumbi soutenait Fayulu, Kinshasa a vu étrangement le président Paul Kagame, à l’époque président de l’Union Africaine, exiger la suspension de la publication des résultats proclamant Félix Tshisekedi vainqueur de la Présidentielle, demandant une mission officielle en RDC pour une médiation.
« C’est grâce à Katumbi que Kagame s’était impliqué en faveur de Fayulu. Et c’est grâce à ce même Katumbi que le président Tshisekedi, une fois élu, s’est rapproché de Kagame en rompant avec Kabila. Ces sont des vérités que tout le monde connaît ici », explique le cadre de l’UDPS. « Des foutaises », réplique-t-on du côté de Moïse Katumbi. « Nous ne ferons jamais le débat de caniveaux. », dit un de ses cadres. Toujours est-il que personne au Congo ne sait pourquoi ni Moïse Katumbi, ni sa formation politique n’osent dénoncer Kigali.
« Il y a quand même un manque clair de leadership. Peu importent les reproches qu’on peut faire aux politiques. Peu importent des accointances et des calculs politiques, le Chef de l’Etat est appelé à poser des actes clairs. Ça aiderait beaucoup ce pays », estime cependant un analyste.